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Carel Blotkamp Kristiaan Borret Sabine Breitwieser Wouter Davidts Dieter De Clercq Xavier Douroux DTN FLC-EXTENDED Alain Géronnez Pascal Gielen Eva González-Sancho Isabelle Graw Rainier Grutman Hou Hanru Arnaud Hendrickx Fabrice Hybert Moritz Küng Tom Leenders Dieter Lesage Sven Lütticken Kobe Matthys Matt Mullican Dirk Pültau Dorothee Richter Stella Rollig Jorinde Seijdel Shedhalle Zürich Luc Steels Olga Van Oost Tjebbe van Tijen Michael Van den Abeele Tijl Vanmeirhaeghe Richard Venlet Bart Verschaffel
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Des Lieux Nouveaux ou Alternatifs pour l’Art? l’Art Contemporain, Aujourd’hui After Party
Wouter Davidts
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Carel Blotkamp Jorinde Seijdel
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Dirk Pültau Fabrice Hybert
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Dieter Lesage
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Rainier Grutman
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Dorothee Richter Isabelle Graw
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Pascal Gielen Eva González-Sancho Shedhalle Zürich
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Conditions A propos de l’Interdisciplinarité La Valorisation de Production La Condition Bicommunautaire/De Bicommunautaire Conditie La Condition Bicommunautaire: Quelques Annotations Canadiennes Un Petit Essai La Liberté dans la Restriction Produire des Collections La Mort d’un Curateur Etoile Networking Brussels l’Idéologie du Travail d’Equipe
Contributions visuelles: Tijl Vanmeirhaeghe p. 22 LARD BELGE - Michael Van den Abeele p.27 - FLC-EXTENDED p.29 - Richard Venlet p.30
Programme Recherche: de l’Art en tant que Forme de Connaissance l’Art de la Science Là, Avant et Après, et partout à l’Etat Gazeux
Bart Verschaffel
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Luc Steels Xavier Douroux
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Information et l’Espace Critique Curating the Library Depot. Kunst und Diskussion Culture Convenience Club
Hou Hanru Moritz Küng Stella Rollig Kobe Matthys
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l’Art en tant que Production Recherche Artistique en tant que Production
Sven Lütticken Matt Mullican
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Wouter Davidts & Dieter De Clercq Kristiaan Borret & Tom Leenders Alain Géronnez
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l’Art et son Public Un Institut
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A propos de l’Art, de l’Architecture, et des Architectes l’Obsession Problématique d’un Emplacement Significatif Un Centre d’Art Excentré ou Central
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A p r o p o s d e l a P l a c e d ’ u n C e n t r e d ’ A r t e t d e R e c h e r c h e à B r u x e l l e s
En Attendant La présente publication accompagne le projet intitulé Etude pour un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles. Elle pose la question de la place d’un nouveau centre des arts visuels contemporains à Bruxelles, et réunit à cet effet 31 contributions présentées sous forme de textes et d’images.
rain. Le foisonnement d’initiatives privées ne compense pas en effet l’absence à ce jour d’un organisme officiel garantissant un engagement structurel à long terme en faveur de l’art contemporain à Bruxelles. Par conséquent, les aspects ‘précaires’ de l’activité artistique comme la recherche, la réflexion et le débat sur les arts plastiques - sont fortement négligés.
P c c B
Cette lacune a conduit à la création, en 1999, de l’Association pour un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles (ACARB), dont les membres fondateurs sont Koen Brams, Wouter Davidts, Jean-Paul Jacquet, Moritz Küng, Jan Mot et Anne Pontégnie. [1] Cette association s’est fixé pour objectif d’entreprendre une étude sur la nécessité et la faisabilité d’un nouveau centre d’art contemporain à Bruxelles, et a sollicité à cet effet le soutien financier de Bruxelles/Brussel 2000.
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Bruxelles est réputée sur le plan international pour son climat artistique intense et pour son offre diversifiée sur le plan des arts visuels contemporains. Cependant, tous ceux qui auront analysé de près cette offre seront parvenus à la constatation qu’elle se caractérise dans une large mesure par la présence d’un secteur privé développé, composé d’un grand nombre d’initiatives privées de nature temporaire et fluctuante. Si ces initiatives sont toutes très précieuses, elles dépassent toutefois rarement l’alternatif et l’improvisation. Bruxelles souffre donc d’un manque manifeste d’approche sérieuse et structurelle de l’art contempo-
Par cette décision de réaliser une ‘étude’, le projet a d’emblée traduit sa doléance dans la pratique. On a décidé de travailler précisément dans l’ordre inverse à ce qui se fait habituellement pour la mise en place de la plupart des centres. Le point de départ de l’étude consistait à vérifier, par l’action même d’ ‘ajourner’ volontairement la réalisation, de reporter l’exécution,
[1] L’Etude pour un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles a trouvé son origine dans une étude réalisée par Koen Brams. En 1997, Koen Brams a réalisé une étude, à la demande presque simultanée de la Commission de la Communauté flamande de la Région de Bruxelles-Capitale et de l’association de fait qui a préparé la manifestation de Bruxelles/Brussel 2000, qui s’est exclusivement orientée vers le secteur des arts plastiques dans la région bruxelloise. Une première version de l’étude a été présentée à l’occasion d’une soirée-débat organisée sur l’initiative de Bruxelles/Brussel 2000 à la Maison de la Bellone le 27 février 1997. La prolongation de l’étude (notamment à la suite des réactions formulées pendant et après le débat) a donné lieu à une deuxième version. L’étude sur un centre d’art et de recherche à Bruxelles s’est focalisée sur une recommandation spécifique du rapport, à savoir la mise en place d’un nouveau centre d’arts plastiques contemporains à Bruxelles. En préambule à la mise en place formelle de l’Association pour un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles, un groupe (composé notamment de Koen Brams, Jan Mot, Moritz Küng, Koen Theys et Barbara Vanderlinden) s’est réuni dans un cadre informel. [2] Séances d’audition: 26 juin 1999: artistes / 29 juin 1999: galeristes (Philippe-André Rihoux, Christian Drantmann, Albert Baronian) / 2 juillet 1999: instituts (Frederik Leen, Carine Fol, Piet Coessens) / 5 juillet 1999: écoles (Mme Brys-Schatan, M. Lenain, M. Seder) / 7 juillet 1999: a.s.b.l. (Kurt Van Belleghem, Paul Willemsen, Tim Vermeulen, Laurence Rassel). Conversations: 23 octobre 1999: Christine Van Asche, Mark Kremer, Barbara Vanderlinden, Kurt Van Belleghem / 24 octobre 1999: B -sites
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4 quel serait le champ dans lequel la création d’un centre pourrait ou devrait intervenir. Par conséquent, on a décidé de détecter, de définir et de décrire d’abord les différents paramètres du contexte, au lieu d’y être confronté en cours de travail. Aussi a-t-on évité d’écrire le programme, de choisir un emplacement, de réunir les différents budgets ou de composer une équipe dans le même temps. On a au contraire choisi d’examiner ‘avec un certain recul’ quelles seraient les différentes conditions annexes pour devoir ou pouvoir poser ces choix. L’étude n’a jamais eu pour ambition de présenter ‘à l’avance’ un projet concret du futur centre, mais de rester justement ouverte - ‘en attendant’ - à ce que pourrait être la mise en œuvre d’un nouveau centre et à ce que serait la complexité du champ dans lequel un centre devrait se manifester. Au cours du projet, plusieurs initiatives ont été prises pour exposer la complexité de la problématique. Que ce soit dans des conversations publiques ou privées, des personnalités belges et étrangères ont été invitées à réfléchir sur la problématique. [2] Cette publication est la dernière initiative de la série. Elle présente un outprint de la large réflexion que l’association s’était promis de déployer. [3]
on ne définit pas immédiatement un emplacement précis, mais on présente et examine divers ‘emplacements’. La publication se présente donc comme un ‘recueil’, un ‘manuel’ pour la mise en place éventuelle d’un nouveau centre d’art contemporain à Bruxelles. Au moyen de l’image disparate formée par le large éventail des réflexions personnelles, la publication entend avant tout démontrer qu’une véritable ‘place’ est toujours affaire de personnalités concrètes. J Wouter Davidts
Pour les besoins de cette publication, artistes, théoriciens, critiques, curateurs et architectes ont été invités à apporter leur contribution. Dans ce but, on ne leur a pas demandé de concevoir un projet concret de centre à Bruxelles, mais bien de réfléchir, à partir de leur bagage spécifique, à une des facettes de la problématique globale. Cette publication ne présente donc pas un blueprint du centre d’art et de recherche à Bruxelles. Au contraire. Au fil des textes, le centre est volontairement tenu à l’écart autant que possible. La publication laisse délibérément en suspens toute proposition concrète, pour poser de façon conséquente la question abstraite de la ‘place’ d’un centre d’art et de recherche à Bruxelles. De cette manière, la publication a l’ambition de fonctionner comme un état des lieux préparatoire. Au travers des différentes contributions, Jacques André, Pierre Bismuth, Liam Gillick / 5 novembre 1999: Nicholas Bourriaud / 17 décembre 1999: Ute Meta Bauer. Interviews: 31 janvier: Daniel Buren / 28 janvier: Bart Cassiman, Jef Cornelis, Willem Oorebeek, Lex ter Braak, Richard Venlet, Bart Verschaffel / 29 janvier: Hans Brugman, Rudi Laermans, Q.S. Serafijn, Camiel Van Winkel, Barbara Visser. (publiés dans: De Witte Raaf, nr. 84, mars-avril 2000, pp. 1-19; De Witte Raaf, nr. 85, mai-juin 2000, pp. 5-8). Cycle de conférences: 3 mai 2000: l’art contemporain, aujourd’hui: Wim Delvoye, Bartomeu Mari, Barbara Vanderlinden, Camiel Van Winkel. Modérateurs: Jeroen Boomgaard & Koen Brams / 10 mai 2000: la condition bicommunautaire: Dieter Lesage, Laurence Rassel, Annick De Ville, Walter Moens, Paul Dujardin. Modérateur: Lieven Decauter / 17 mai 2000: la recherche: Xavier Douroux, Bart Verschaffel, Herman Parret, Daniel Van Der Gucht / 24 mai 2000: l’information: «Sometimes information leaves the library»: Susanne Jaeger, Tjebbe Van Tijen, Alexis Vaillant / 31 mai 2000: le tissu urbain: Patrice Neyrinck, Alain Géronnez, Lieven De Boeck, DTN. Modérateur: Koen Van Synghel. [3] Pour la publication, un comité de rédaction indépendant a été composé, dont les membres sont Bert Balcaen, Wouter Davidts, Lieven De Boeck, Dieter De Clercq et Tijl Vanmeirhaeghe.
5 La nouveauté est inévitable, inéluctable, indispensable. Il n’existe aucune issue; si une telle issue existait, elle constituerait la nouveauté. Impossible d’enfreindre les règles de la nouveauté: une telle infraction est précisément ce qu’elles exigent. Si l’on considère comme réalité ce qui est inévitable, l’exigence d’innovation est la seule réalité fournie par la culture. Boris Groys [1]
Des Lieux Nouveaux ou Alternatifs pour l’Art? - la même chose, autrement -
A l’heure actuelle, l’art s’installe dans les endroits les plus divers de notre environnement. Il prend ses quartiers dans les espaces classiques que sont l’atelier, le musée, le centre d’art ou la galerie, ainsi que dans des endroits plus conceptuels, tels qu’un livre, un magazine, une carte postale ou un site Internet. Tous ces espaces créent un contexte dans lequel l’art doit s’inscrire, et où il peut s’installer, se développer et se montrer. Donc, lorsque l’on veut créer ‘quelque part’ - que ce soit à Bruxelles, à Stockholm ou à Montréal - un ‘nouveau’ lieu pour les arts visuels, il convient de tenir compte de la forme ‘locale’ de ce contexte qui y est déjà présente. Souvent, les considérations quant au choix d’un nouveau lieu concernent plutôt la résolution de certains problèmes inhérents à la situation locale à ce moment. Par exemple, le fait de ne pas être à la hauteur, s’y prendre ‘de travers’, laisser passer un grand nombre d’opportunités, ne pas savoir éviter l’ennui, etcetera. Le contexte local possède nombre de manquements, et c’est la raison pour laquelle un nouvel espace doit être créé ou libéré.
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e désir est presque immanquablement doublé de l’ambition de créer quelque chose de ‘nouveau’. En effet, on ne veut pas se contenter de créer un ‘nouveau lieu’ - au sens de supplémentaire - mais aussi un lieu où quelque chose de fondamentalement ‘différent’ se passera. Manifestement, un changement radical ne peut advenir en faisant ‘la même chose, mais différement’, mais uniquement de ‘quelque chose de nouveau et de différent’. Cependant, la question qui se pose est de savoir comment toute l’entreprise peut être ‘nouvelle et différente’. Aujourd’hui, peut-on encore penser à des endroits fondamentalement ‘nouveaux’ pour l’art ou bien est-on condamné à formuler des ‘alternatives’? Etant donné qu’il faut tenir compte du contexte total de l’art, quel est le degré de ‘nouveauté’ que peuvent présenter les alternatives? La radicalité d’un nouvel espace dédié à l’art doit-elle nécessairement être traduite dans quelque chose de totalement nouveau ou est-ce que le renouveau, comme le disait Craig Martin à propos de l’art lui-même, réside simplement dans le glissement de l’accent? [2]
sur la manière dont cette médiation peut ou doit se dérouler.
Par rapport à la liberté spatiale presque illimitée de l’art aujourd’hui, aucun des espaces artistiques existants n’apparaît comme un endroit évident pour l’art. Depuis la modernité, il n’existe en effet aucun endroit ni espace où l’art arrive ‘comme chez soi’, où il trouve sa place naturelle. Chaque espace consacré à l’art opère une action artificielle sur l’art, à savoir une opération publique. Quel que soit l’endroit ou l’espace où l’art se produit, et où il veut être reconnu comme tel, il demande à être rendu public d’une manière ou d’une autre. Aucune œuvre d’art n’est ‘publique’ en elle-même; une œuvre d’art peut seulement exister par le biais d’une certaine forme de ‘publication’. [3] Tout espace - du musée à la carte postale, de l’exposition à la critique d’art - comprend une manipulation de l’art, en se servant du même support: la publicité. De nos jours, la réflexion sur de nouveaux endroits destinés à l’art contemporain doit inévitablement tenir compte de cette condition afin de pouvoir prendre des décisions
Dans l’espace du musée, l’art trouve doublement son salut. D’une part, il trouve un nouveau ‘client’, ce qui permet au musée de légitimer et de maintenir son existence en tant qu’institut: l’espace du musée intègre l’opération idéologique qui fait de n’importe quel objet une œuvre d’art. D’autre part, l’art trouve au musée un nouvel ‘endroit’, où un bâtiment concret sert de délimitation à l’espace dans lequel l’opération idéologique peut se produire. En tant qu’institut et que bâtiment, le musée donne corps à la condition publique de l’art et établit les frontières à l’intérieur desquelles l’art peut apparaître et être montré publiquement. Le programme concret du musée se centre sur la conservation soigneuse, l’étude et la présentation d’une collection. Au musée, l’art ne reçoit pas uniquement son espace propre, mais aussi son temps propre: l’histoire de l’art. [5]
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musée
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a médiation publique inhérente à chaque espace artistique se traduit toujours dans un programme concret. Le programme qui incarne par excellence la condition publique de l’art depuis le 19ème siècle est celui du musée. [4] En effet, le musée donne à la nouvelle publication de l’art un espace idéologique autant que concret, respectivement en tant qu’institut et que bâtiment. Depuis le 19ème siècle, les artistes travaillent de moins en moins pour un client en particulier, ils font de l’art pour la bourgeoisie anonyme des grandes villes qui devient le ‘public d’art’. Avec la perte de la relation à un client, disparaît aussi la relation à un endroit où l’œuvre sera directement placée : l’art pour tout le monde et pour personne, pour partout et pour nulle part...
Rare est l’art qui se soit réellement senti à sa place
7 au musée. En effet, le musée a toujours représenté une sorte de culture officielle. Les innombrables représentations d’un musée ne peuvent être que le signe de la puissance de la noblesse ou du clergé; dans leur nouveau statut de ‘grand art’, elles ne représentent qu’une nouvelle forme de pouvoir et d’autorité. En outre, le musée séparerait, tant idéologiquement que concrètement - comme institut et comme bâtiment l’art de la vie réelle: le musée enterrerait l’art dans l’espace mort de l’histoire de l’art; en soi axé sur le passé, le musée ne verrait pas le présent; cela empêcherait l’art de vivre au musée, et l’isolerait toujours (involontairement) de la réalité; l’art y servirait toujours une plus grande cause, sans pouvoir satisfaire ses propres désirs, et ainsi de suite. Depuis l’apparition du musée, on a toujours essayé de définir d’autres espaces, ‘alternatifs’ à ceux du musée. On pourrait même dire que tout autre ‘espace’, tout autre programme que celui du musée, a précisément été défini depuis le 19ème siècle en relation à l’espace et au programme du musée. A nouveau, se pose la question du caractère ‘nouveau’ ou ‘différent’ que prennent, peuvent prendre ou ont pris les alternatives successives au musée? Quel degré de renouveau peut qualifier les différents exposants de l’anti-musée? [6]
passé, mais sur sa signification dans le présent. L’art n’est plus taxé sur sa valeur dans l’histoire de l’art, mais sur sa pertinence actuelle. Le grand mérite de la Kunsthalle est donc également que l’espace fonctionne comme une plate-forme actuelle, où l’évolution de l’art peut être directement enregistrée et représentée.
La
vec l’art minimaliste, l’art a fait de ‘l’espace’ une partie fondamentale de son programme artistique, tant matériel qu’idéologique. [9] Depuis la fin des années ‘60, l’art s’est non seulement placé dans l’espace de sa présentation pour en faire ensuite son objet, mais il y est également intervenu pour créer et occuper, sous la forme d’interventions site specific, ses propres endroits ‘alternatifs’ au musée. Le paradigme de ce glissement, The Alternative Spaces Movement [10], au début des années ‘70, constitue le symbole du désir d’échapper aux espaces occupés de manière proprette et institutionnelle, ainsi que du développement d’un modèle spatial propre chargé de répondre à ce désir. L’Alternative Space constitue le
Kunsthalle
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utre le musée, un des premiers et des principaux espaces (institutionnels) est la Kunsthalle. [7] Pour parer au manque de place pour les pratiques artistiques actuelles au musée, la Kunsthalle se profile comme un espace réservé aux présentations actuelles. Cela induit un programme d’expositions temporaires, sans le soutien d’une collection permanente. La classification, la considération et la généalogie du musée, le lent modelage de la mémoire de l’histoire, font place dans la Kunsthalle au rapide roulement des expositions sans cesse renouvelées. [8] Dans la Kunsthalle, on ne se concentre plus sur l’art dans sa relation au
l ’ A r t
La Kunsthalle n’a jamais signifié une alternative radicale au musée. En effet, il n’est pas question de modification fondamentale dans la manière dont la médiation publique inhérente à chaque espace artistique est traduite dans le programme concret de la Kunsthalle. L’espace de la Kunsthalle contient toujours une intervention institutionnelle structurelle, selon laquelle l’art est apporté et évalué dans un espace codé (qui lui est extérieur). Fondamentalement, la Kunsthalle reste un espace de ‘présentation’, où seul le cadre (temporel) ou la perspective temporelle change. L’opération de ‘publication’ dans les espaces de la Kunsthalle peut être légitimée, non plus du point de vue de l’histoire, mais de celui du désir impératif d’actualité, qui n’y est encore que représentée; elle ne s’y produit pas encore.
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C o n t e m p o r a i n ,
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Les tables rondes publiées par De Witte Raaf dans les numéros 84 et 85 m’ont passionné, mais après lecture, elles me laissent le même sentiment d’insatisfaction que j’éprouve dans les panels ou les débats publics sur l’art (raison pour laquelle je préfère ne plus en être): j’ai l’impression que dans le choc des échanges, ce qui se dit perd toute substance. Ce qui me déplaît dans le discours propre à ce genre de rencontres - pas toujours, mais souvent - peut se résumer en deux grands points. Il y a d’abord l’évidence avec laquelle les intervenants parviennent à justifier leur pensée et leur pratique (qu’il s’agisse de la réalisation d’œuvres artistiques, de discours ou d’écrits sur l’art) dans le cadre étroit de leur propre paroisse. On évacue une question telle que “à qui s’adresse ce que vous faites?”, à moins d’y répondre implicitement en prenant le monde artistique comme public. Cela me presse, cela m’oppresse. Je ne suis pas naïf au point de croire que les œuvres de Richter et de Struth ou les essais de Verschaffel devraient pouvoir être distribués de porte en porte. Toutefois je pars du principe qu’il appartient à des personnes raisonnables et intéressées, extérieures au monde artistique, d’expliquer le propos de l’art et de la critique artistique (et plus globalement, des humanités) et pourquoi l’un ou l’autre mérite davantage qu’on s’y intéresse. Quant à la comparaison avec la recherche fondamentale des sciences exactes que des membres du monde artistique n’hésitent pas à faire en songeant à certains secteurs de l’art et de la théorie artistique contemporains, et qui contiendrait une justification de leur caractère hermétique (et, d’un autre point de vue, une justification des subsides octroyés), je trouve l’argument B -sites
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8 cadre spatial au sein duquel les artistes quittent le musée pour définir eux-mêmes les endroits où l’art peut se conserver et se montrer. Ici, le mot ‘espace’ dans le concept Alternative Space doit être pris de façon beaucoup plus large que le classique et cartésien ‘espace d’exposition’. Le développement de l’Alternative Space s’inscrit en effet dans une conceptualisation totale de la notion d’espace. Le concept d’Alternative Space représente la liberté totale, l’éclatement des paradigmes spatiaux classiques de l’art. Un espace alternatif peut donc aussi bien être un loft, un livre ou un programme de radio. L’apport de l’Alternative Space va plus loin que la recherche pure et simple d’alternatives à l’artshowing system ou aux mécanismes classiques de présentation [11] afin d’obtenir une indépendance artistique et institutionnelle. L’intérêt fondamental du mouvement qui a intégré la notion d’alternatif dans son propre nom [12] réside dans le fait qu’il fait correspondre, sur le plan de l’espace, le programme artistique à l’inéluctable programme publique de la médiation. La médiation ‘publique’ inhérente à tout espace consacré à l’art n’est plus traduite dans l’Alternative Space en un programme: le programme en soi est ‘espace’, où les deux éléments se chevauchent en tant que tels. L’Alternative Space fait en effet de l’espace de la médiation - ou de la publication - son objet, et fait correspondre de cette manière, dans l’espace, présentation et production. De l’exploration phénoménologique de l’art minimaliste à la critique institutionnelle, ‘l’espace’ - dans sa dimension physique et discursive - est compris comme une partie fondamentale du programme artistique: la signification se fait autant avec l’espace qu’elle est représentée dans cet espace. Un livre est autant un espace que son programme.
tion de faire de l’opération idéologique exécutée sur lui son objet. Il peut uniquement éviter d’être intégré à un contexte dont le code lui est extérieur au moment où il s’adresse lui-même à ce contexte à l’avance, pour l’intégrer lui-même ensuite à la présentation des œuvres. Dans ce sens, l’Alternative Space sait aussi offrir une alternative fondamentale à l’espace structurel axé sur la présentation, tant par rapport à la Kunsthalle qu’au musée. Là où l’actualité fait son entrée dans ‘l’espace’ de la Kunsthalle, les deux concordent dans l’Alternative Space: l’actualité s’y met en scène. En dépit de la rhétorique souvent naïve et romantique, le musée ne disparaît pas définitivement avec l’Alternative Space. La spécificité du site (site specificity), à savoir l’occupation de ‘lieux alternatifs’ au musée, a été développée dans les années ‘60 comme une stratégie esthétique destinée à faire comprendre dans quelle mesure la signification de l’art est déterminée par son rapport au cadre institutionnel, en partant de la conscience fatale que l’art ne peut jamais ‘réellement’ se mêler à la vie. [13] Un Alternative Space constitue ‘l’espace’ ou le ‘département’ où c’est précisément le ‘départ’ qui s’articule et est couplé à la conscience que ce départ ne peut jamais être définitif. Il incarne l’idée que toute déclaration critique existe finalement par la grâce de l’institution et fait donc correspondre, dans le départ, espace alternatif et institutionnel. L’Alternative Space est un compromis spatial: l’espace institutionnel n’est pas abandonné, mais emporté bon gré malgré et manipulé.
En développant ses propres espaces alternatifs, l’art s’est mis en position de conditionner lui-même les mécanismes qui contrôlent l’espace où il apparaît et où il est rendu public, ce qu’il ne peut faire qu’à la condispécieux. Ensuite, je suis surpris par le manque de conscience historique qui caractérise généralement le débat contemporain sur l’art. Les tables rondes de De Witte Raaf y font allusion à certains moments; en revanche, d’autres passages illustrent à leur tour cette carence. Je ne parle pas seulement d’une certaine ignorance de l’histoire de l’art en tant qu’ensemble d’objets, d’idées et de circonstances - bien que ce constat soit parfois pénible -, je vise aussi l’absence de conscience de l’histoire que nous vivons personnellement. A ce propos, je parlerais aussi bien d’un manque de réflexion de l’individu sur sa propre réflexion, d’une incapacité à relativiser historiquement. Dans un article publié parallèlement aux tables rondes (nr. 84, p.6), Camiel van Winkel met le doigt sur la plaie. L’index met en évidence une phrase lapidaire extraite de son pénétrant témoignage: “L’art contemporain est un carrousel continuel fait d’instantanés, dépourvu de la moindre mémoire.” On peut en dire autant du débat sur l’art. Le plus souvent, il possède surtout la caractéristique d’être ad-hoc. Le présent est la mesure de tout, non seulement de ce que l’on fait, de ce que l’on écrit, mais aussi de la structure institutionnelle où s’insèrent la production et la réception. L’histoire a fait son temps, l’historiographie n’est plus possible. “L’histoire finit par éveiller la méfiance en raison des hiérarchies qu’elle crée,” affirme l’index. Mais le présent appartient à l’histoire dès le lendemain. On ne réfléchit guère aux implications de cette vérité. Que ce soit dans la vie ou dans le domaine artistique, il est bien difficile de vieillir en beauté. Un débat consacré à la prépondérance de l’actualité (nr. 84, p.9) relance à un moment donné une idée postmoderne devenue familière et presque éculée: depuis les années ‘70 et ‘80, l’art a éclaté au point d’échapper désormais à une image unifiée,
9
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goinfre
de
musée
(…) the complexity of the museum is that it (…) both patrols and releases, it both limits freedoms and creates new ones. The museum is a truly complex institution. So, avant-gardism or the transgression of rules is already at the heart of the museum. However it adds nothing to the logic of the museum to put on a transgressive display of objects, because the museum is already inciting an interplay between disciplinarity and pleasure or transgression from the beginning. I believe this is one reason that the future of the museum is so hard to plot, because the museum is already a more intricate, more formidable monster than we had thought.
Norman Bryson [14]
A
l’heure actuelle, cela n’a plus aucun sens de ‘partir’, pas plus que d’emmener le musée dans ce départ. Aujourd’hui, le musée se produit à tort et à travers dans les endroits les plus impossibles, prenant un large éventail d’apparences. Le musée a conservé une attitude extrêmement ambiguë vis-à-vis de ses ‘opposants’. Par son éternel désir de récupération, le musée a réussi à reprendre précisement ces programmes où d’autres espaces se distanciaient de lui. De nos jours, toutes les formes d’anti-musée ont été proprement récupérées; elles sont interprétées avec verve par le musée lui-même. Par le développement d’une filiale consacrée à l’art
contemporain, dans la première moitié du 20ème siècle, le musée récupère la Kunsthalle. Depuis les expériences de directeurs de musée comme Alexander Dorner, Willem Sandberg ou Pontus Hulten, le musée n’est plus un lieu statique. Alors que leur tâche se limitait auparavant à l’exposition, la conservation et la présentation d’œuvres d’art du passé, les musées se sont de plus en plus concentrés ces dernières décennies sur le présent, avec l’intention d’en ‘décoder, signaler et classifier les signes signifiants’. Le manifeste de Willem Sandberg porte d’ailleurs le titre non équivoque de MAINTENANT. Le musée choisit l’actualité et annule ainsi la différence essentielle avec la Kunsthalle. [15] Ce n’est plus la collection ou les activités scientifiques, mais les changements au programme d’exposition qui constituent la force d’attraction d’un musée. L’organisation d’expositions temporaires, la marque de la Kunsthalle, se situe souvent plus haut dans l’agenda de nombreux musées que l’élaboration de leurs propre collection permanente. En outre, l’actualité a été absorbée par le musée sous tous ses aspects temporels. Entre-temps, le musée a repris tous les programmes ‘étrangers’ imaginables, de salle de cinéma, restaurant, librairie et boutique de souvenirs, crèche pour les enfants et centre de transfusion sanguine. L’usine culturelle universelle, dont le Centre Pompidou a constitué le prototype, a fait son chemin général en tant que modèle. Le musée ne se profile plus comme l’institution où l’héritage
claire et structurée. On a oublié que, depuis les révisions innombrables de l’historiographie de l’art la plus récente, l’art d’avant 1970, et en réalité l’art de tout le 19ème siècle et du 20ème, donne de soi une image à peine moins multiforme. Mais comme on l’a dit, cet art semble n’avoir plus sa place dans la discussion. La ligne de démarcation doit se situer vers les années ‘60 qui ont pris des dimensions mythiques non seulement aux yeux des jeunes mais aussi pour ceux qui ont vécu ces années. Ce qui a eu lieu avant cette époque appartient au Moyen Age du modernisme. Mais c’est précisément ce domaine qui passionne le grand public, amateur d’expositions à succès: raison supplémentaire pour exclure cet art de la discussion. Je trouve regrettable ce rejet de l’histoire, qui est inhérent à la fixation sur le présent, non que l’histoire soit susceptible de fournir des modèles de fonctionnement utiles (nous savons pertinemment aujourd’hui que la plupart sont fictifs), mais parce que la discussion actuelle bénéficie du jugement critique. Ce dernier a besoin aussi de points de comparaison pris hors du hic et nunc. Un exemple: on nous rappelle sans cesse que l’époque des ‘grands récits’ est révolue. Dans ce cas, que faut-il penser du fait que les ‘petits récits’ actuels sont toujours à l’échelle de grands murs alors que l’Utopie de Malevitch prend moins d’un mètre carré? Comment expliquer qu’à l’heure actuelle, une exposition ne puisse plus présenter des œuvres de deux ou de plusieurs artistes dans un même espace, si bien que les organisateurs d’expositions choisissent la solution de facilité et attribuent une salle à chaque artiste? “C’en est fini une fois pour toutes de l’aura de l’œuvre d’art,” affirme-t-on au cours de la table ronde, mais l’aura de l’artiste n’a jamais été aussi grande. J
Carel Blotkamp
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10 culturel est soigneusement conservé, mais comme un intervenant et producteur actif dans le champ artistique et médiatique actuel. Pour obtenir une place significative dans l’actualité, le musée doit cependant en finir avec son propre ‘passé’ de musée. Il peut ne devenir qu’un ‘lieu de travail’ pour l’art contemporain, dans la mesure où il désapprend à se comporter comme un musée. Pour cette raison, depuis les années ‘60, les musées invitent de plus en plus souvent les artistes à travailler sur place. De cette manière, ils veulent participer activement à l’art ‘en cours de développement’. [16] Cette ambition confronte le musée directement à l’impossibilité de nier sa muséalité. Le musée doit découvrir qu’il est impossible d’être dans le MAINTENANT et que l’art se détache toujours, c’est inéluctable, de l’actualité. A partir du milieu des années ‘70, les musées d’art contemporain se sentent obligés de soulever ouvertement le problème que pose cette impasse. Pour ces musées, c’est depuis lors devenu un must de se demander ouvertement, de se retourner dans la conscience funeste que leur programme contient une contradictio in terminis, de se déclarer prêts à ‘déplacer leurs propres frontières’, ‘à sortir des murs’, et ainsi de suite. Dans l’intervalle, le musée essaie d’échapper à son malaise institutionnel en prévoyant des sessions ‘d’introspection institutionnelle’ et en réalisant des espaces alternatifs propres. Le musée veut se transformer fondamentalement, d’espace axé sur la présentation à un ‘studio de production’. Depuis les années ‘70, le musée commande de plus en plus souvent aux artistes des interventions spécifiques au site, à l’extérieur, voire à l’intérieur même du musée. Par l’intermédiaire d’expositions extra-muros ou des nombreuses expositions ‘sur mesure’ pour l’institution, les artistes sont appelés à créer des espaces alternatifs intérimaires. Alors que l’occupation d’un espace alternatif constituait à l’origine un alibi pour quitter l’espace institutionnel, les artistes y retournent massivement aujourd’hui, sur demande. Le ‘départ’ est entre-temps devenu un point du programme du
musée. Se soustraire au musée et conditionner ensuite soi-même le moment de présentation en le faisant coïncider avec la production est même aujourd’hui une attitude ‘exposée’ par le musée. A l’heure actuelle, le musée commande et organise sans problème ses propres ‘espaces alternatifs’. La classique différence terminologique entre les divers ‘espaces artistiques’ a tellement diminué qu’elle est devenue insignifiante. Les divers espaces artistiques divergent souvent si peu sur le plan du programme que, au fond, c’est ‘pareil’ partout. D’une manière ou d’une autre, chaque espace organise des expositions, publie des ouvrages, réunit des collections, accompagne des productions, et ainsi de suite. Le rapport entre le programme et sa dénomination est devenu peu clair dans la mesure où ils n’ont plus grand chose à voir avec les concepts classiques de musée, Kunsthalle ou espace. Tous ces espaces font partie d’un vaste continuum institutionnel, conditionné par un programme artistique global :le musée. La condition de coordination pour chaque alternative déclarée reste celle de la publicité, du ‘musée virtuel omniprésent’. [17]
La
même
chose,
autrement
Changing a name changes almost nothing. Within the artworld there are almost no alternatives. A real alternative requires a critical examination of all existing categories of art and artistic experience. But it is unlikely that the artworld would undertake such an examination. The artworld exists by maintaining and renewing the cult of art. It can hardly be expected to transcend the ideology it produces.
Allan Wallach [18]
O
n peut se poser la question de savoir dans quelle mesure, lors de l’établissement du programme d’un nouvel espace dédié à l’art contemporain, on peut parler d’ ‘alternative’, voire de ‘nouveauté’. En effet, à quoi et pour qui s’agit-il d’une alternative? Et quel
[1] Boris Groys, Over het nieuwe. proeve van een cultuureconomie, dans: De Witte Raaf, nr. 47, januari 1994, jrg. 8, pp. 1-3. [2] Michael Craig-Martin, The Art of Context, in: Minimalism, Tate Gallery Liverpool, 1989: “radical art never creates anything entirely new : it simply shifts the emphasis.” [3] Camiel Van Winkel, Moderne Leegte. Over Kunst en Openbaarheid, SUN, Nijmegen, 1999, p. 101. [4] Bart Verschaffel, Niet voor het museum. Over kunst en openbaarheid, dans: Jan Baetens & Lut Pil (eds.), Kunst in de publieke ruimte, Universitaire Pers Leuven, Leuven, 1998. [5] Bart Verschaffel, op. cit. (note 4), p. 108. [6] Douglas Davis, Davis, The museum transformed : design and culture in the post-Pompidou age, Abbeville Press, New York, 1990, p. 169. Dans la suite du texte, j’utiliserai la notion Kunsthalle comme équivalent de la conception francaise du centre d’art contemporain (cfr. Josep M. Montaner, Nouveaux Musées, Espaces pour l’art et la culture, Gustavo Gilli, Barcelona, 1990.), ou de la conception américaine de institute for contemporary art (cfr. Kay Larson, Rooms with a point of view, in: Artnews, vol. 76, nr. 8, octobre 1976, p. 35). [7] Pedro Lorente, Cathedrals of urban modernity: the first museums of contemporary art, 1800-1930, Ashgate, Aldershot/ Brookfield, 1998, p. 160. [8] Lex ter Braak, Het versnelde ronddolen, dans: Kunst & Museumjournaal, jrg. 6, nr. 1, 1995, p. 54. [9] Lawrence Weiner, comme cité dans: Roselee Goldberg, Space as Praxis, in: Studio International, vol. 190, nr. 977, sept/oct 1975.
11 est le sens de cette ‘nouveauté’? Aujourd’hui, la question de la médiation ‘publique’ dans un espace artistique et ensuite de sa traduction dans un programme se pose autrement. Puisque le musée est emporté partout et prend forme partout sans problème, l’acte articulé consistant à le quitter n’est souvent rien de plus qu’une mise en scène déplacée. Cela ne sert à rien de dire qu’on le ‘quitte’, puisque le continuum institutionnel s’y déploie aussi sans la moindre peine. Pourtant, il n’est pas si évident que le programme artistique global complémentaire du musée s’y installe dans son intégralité. Aujourd’hui, l’enjeu pourrait consister, non plus à réfléchir à un programme qui serait ‘différent’ de celui du musée, mais de réfléchir à ce que l’on souhaite faire du programme artistique global. Dans sa négation, l’institution est confirmée une fois de plus: l’histoire a prouvé que chaque forme d’anti-musée est quand même immanquablement récupérée. Le musée soumet continuellement son programme à une mise à jour avide. Au sein de l’espace institutionnel de coordination, des ‘espaces partiels’ intéressants peuvent être créés, qui peuvent être à leur tour traduits dans un programme ‘partiel’. S’il est impossible donc d’éviter que l’art doive passer par l’interface publique du musée, il est possible de bricoler la médiation publique an sich. Le programme artistique global du musée est déterminé par un grand nombre de paramètres différents, comme la collection, l’étude, la production ou l’information, et de conditions, telles que l’actualité, l’interdisciplinarité, la publication, le contexte social, l’indépendance ou l’architecture. Ces paramètres et conditions constituent, tant au niveau géographique et idéologique que conceptuel, un contexte spatial et discursif au sein duquel les activités d’un musée, et en fin de compte de tout ‘espace artistique’, se produisent, et au sein duquel la ‘publication’ inévitable de l’art trouve place. Ces paramètres et conditions ne sont pas stables, mais subissent un glissement continuel d’intérêt
et de sens. La définition d’espaces ‘nouveaux’ ou ‘alternatifs’ s’inscrit donc principalement dans le renouveau constant de l’étalonnage de ces paramètres. Quel est le sens que peuvent prendre la collection, l’étude, l’interdisciplinarité ou l’indépendance (ici et maintenant)? Comment traduire ces paramètres et conditions dans un ‘nouvel’ espace et un nouveau programme? Et comment concilier les deux? Qu’est-ce que collectionner signifie à l’heure actuelle? Et quels sont les espaces nécessaires, adaptés ou superflus à cet effet? Comment l’art s’inscrit-il par rapport à une notion telle que l’étude? Et comment peut-on faire place aux différentes stratégies d’étude de cet art-là? Une alternative significative ne se limite plus au programme artistique global dans sa totalité, mais uniquement à l’offre locale du programme. Par exemple, dispose-t-on ‘ici’ d’une bibliothèque, d’une collection officielle représentative, d’un réseau ou d’une culture de débat? Dans la définition d’un nouvel endroit, cela revient principalement à comprendre des paramètres ou conditions spécifiques, sortis de leur contexte global pour ensuite les articuler, les nier ou les adapter expressément au niveau ‘local’. Le renouveau réel réside dans la répétition continuelle des mêmes questions et l’exécution et la justification des mêmes choix. C’est seulement alors qu’il sera possible d’occuper une ‘place’ significative pour l’art: une place où il ne vient plus nécessairement ‘chez lui’, mais où il trouve son ‘site’. J Wouter Davidts
[10] Pour une description et un aperçu du mouvement, voy. entre autres Jacki Apple & Mary Delahoyd, Alternatives in restrospect: a historical overview 1969-1975, New museum, New York, 1981; John Russell, Art in Unexpected Places, The New York Times. New York, 1980, p. 1, 27-28; Sandy Nairne, The institutionalization of Dissent, in: Bruce Ferguson, Reesa Greenberg & Sandy Nairne (eds.), Thinking about Exhibitions, Routledge, Londen, 1996, pp. 387-410; Stephen Reichard, Alternative Art Spaces: One to One Politics for the Avant-garde, in: René Block, New York, Downtown Manhattan, SoHo : Ausstellungen, Theater, Musik, Performance, Video, Film, Akademie der Künste, Berlijn, 1976, pp. 239-251. [11] Kay Larson, Rooms with a point of view, in: Artnews, october 1977, p. 33. [12] Brian ‘O Doherty, comme cité in: Kay Larson, op. cit. (note 11), p. 35. [13] Pour une analyse du phénomène de la fuite des musées, voy. Wouter Davidts, Het museum buiten spel gezet. Over stadstentoonstellingen, in: De Witte Raaf, nr. 88, november-december 2000, pp. 17-19. [14] Norman Bryson, The Logic of the Curatorial Gaze, in: Annette W. Balkema & Henk Slager, Still, The Museum, Still Foundation/ Sun, Rotterdam / Nijmegen, 1997, p. 34. [15] Lex Ter Braak, op. cit. (note 8), p. 54. [16] Pierre Gaudibert, Modernité, art moderne, musée d’art moderne, in: L’ Art Contemporain et le Musée, Les Cahiers du Musée National d’Art Moderne, hors série, 1989, p. 12. [17] Camiel Van Winkel, op. cit. (note 3), p. 104. [18] Allan Wallach, Is the alternative space a true alternative? in: Studio International, vol. 195, nr. 990/1, 1980, p. 73. B -sites
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A f t e r - P a r t y Réglons son compte à l’art et nominons-le, avec toute son escorte, pour la liste du Patrimoine culturel de l’UNESCO. Là-bas, dans l’au-delà culturel, il pourra fêter son after-party. Et nous pourrons enfin aller de l’avant. Ou n’est-ce pas suffisant? Faut-il, pour vivre cette situation éclairée, que nous aussi, les ‘inquiets’, partions pour ce walhalla pétrifié? Car inquiets nous le sommes, constamment préoccupés par l’art qui s’effondre dans une culture écrasée par les médias, le commerce et la politique de force. Cet art qui se meurt, qui fréquente de mauvais amis et conclut de mauvais marchés. Si nous montrons de l’enthousiasme, cela concerne rarement l’art, mais des expressions individuelles de celui-ci, dont nous chantons les louanges ou auxquelles nous attribuons une signification dictée par nos préoccupations. En d’autres termes, nous mesurons souvent la valeur de ces expressions artistiques selon que notre malaise est exposé ou apaisé. L’inquiétude continue donc à dominer. Plus encore, elle s’est transformée en un sujet an sich, en une légitimation de la critique. Nous parlons toujours, en termes implicites ou explicites, de la ‘transformation’ de l’art, de ses instituts et de ses médiateurs. Nous suggérons ainsi qu’il a été question à une époque d’une situation de l’art caractérisée par la véracité, l’authenticité et l’équilibre. Mais quand était-ce? Qui l’a vécue ? Ce paradis n’a jamais existé, c’est une utopie ou un idéal projeté rétroactivement dans l’histoire. A titre de pendant de la transformation, nous parlons au moins aussi souvent du ‘devenir’ de l’art. Cela non plus, nous ne le vivrons jamais dans un avenir idéal. Toute cette inquiétude n’est donc pas surprenante. L’art est notre désir irréalisable, un domaine exclusif où nous projetons nos souhaits. Cela semble plausible et légitime, presque romantique, mais cela signifie en même temps que cet art est défaillant par définition et qu’il frustre nos aspirations. Nous exigeons de l’art compensation et satisfaction pour la réalité imparfaite et notre impuissance à la parfaire. Il doit offrir tantôt l’éthique, l’esthétique ou le philosophique, tantôt le surprenant, le choquant ou l’extraordinaire, qui feraient défaut dans la réalité banale et pervertie. L’art doit rassurer, en ce sens que nous voulons nous savoir justement alarmés: ses provocations adoucissent notre conscience et suscitent l’illusion que nous sommes encore des êtres autonomes, qu’il se passe encore quelque chose. L’on attend de l’art qu’il voie ce que nous ne voyons pas, qu’il donne forme à ce à quoi nous ne pouvons donner forme, bref, qu’il opère à partir d’un autre paradigme. Mais il ne le fait pas - comment le pourrait-il d’ailleurs? Et voilà comment se referme le cercle de l’inquiétude. Ce sont précisément ces attentes et fixations exal-
tées qui maintiennent ce cercle disparate, fatal. Et ces attentes, que nous aimons à supposer authentiques, engagées, critiques ou philosophiques, s’intègrent parfaitement à la culture dominante, cette culture que nous interrogeons par l’art ou que nous voulons voir sous un autre jour. La culture officielle a, en effet, besoin de pendants pour pouvoir se profiler et se maintenir, pour être ‘démocratique’. Il faut donc ‘nécessairement’ ménager de la place à la critique, aux aberrations. L’art est l’un des lieux où ce discours critique et différent est toléré et même encouragé, précisément parce que là, il ne peut faire aucun tort. L’idée d’un art compensatoire s’inscrit parfaitement dans la logique funeste de l’ ‘idéologie’ utilitaire de notre culture. Dans cette optique, nos aspirations à l’égard de l’art ne sont peut-être pas tant progressistes ou primitives, que manipulées et artificielles. Evidemment, nous disons depuis longtemps avoir accepté que l’art cherche le contact avec la vie quotidienne. C’est ce que nous espérons effectivement, c’est ce que nous applaudissons et forçons. Mais malgré tout, l’art doit rester un domaine pur: son contact avec, ou son entrée dans la réalité sociale ne peut en définitive survenir qu’au métaniveau - où l’art doit découvrir ou camoufler la pourriture - afin d’éliminer la contamination. Et naturellement, nous avons les lieux d’apparition traditionnels de l’art, comme les musées, identifiés comme des bastions de pouvoir et de simulation. Malgré tout, nous continuons à réclamer ces instituts dans notre critique. Nous ne pouvons nous départir du langage et des aspirations du passé, ce qui explique que rien ne change sur l’essentiel et que nous créons surtout des self fulfilling prophecies. Aussi longtemps que l’art devra combler nos lacunes, il ne pourra que continuer à nous décevoir, à briser ou à réfléchir sans cesse nos aspirations. Il est peut-être temps que nous prenions conscience de cette ‘malveillance’ de l’art. Mais dans le cadre de notre fantasme d’un monde parfait et vierge, nous avons depuis longtemps préparé l’art, cet objet tant chéri, à l’afterparty de l’UNESCO. Oui, nous avons intérêt à l’accompagner: avec nous et l’art, cela ne s’arrangera jamais. Sans nous et l’art, la vie pétillera comme jamais auparavant. Mais après l’after party commence toujours une nouvelle fête. Alors, de quoi nous inquiétons-nous finalement? Let’s party! J Jorinde Seijdel
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A propos de l’Interdisciplinarité Toute spéculation sur les relations entre les arts rencontre la question des frontières qu’ils ont en commun. En ce sens, les premiers signes de l’évanescence des limites entre les arts apparaissent dès le début du 19ème siècle. A partir de cette époque, on ne parla plus uniquement de peinture, de poésie ou de musique mais des ‘arts’ en relation avec ‘l’art’. On pouvait désormais comparer les disciplines artistiques, confrontation qui déboucha sur le credo romantique de Robert Schumann: “L’esthétique d’un art est en même temps l’esthétique des autres arts.” Cette déclaration procède à son tour de l’idée qu’on peut renvoyer les arts à un principe métaphysique, qu’ils ne sont que les émanations d’un ‘esprit’ précédant leur matérialité. Du 19ème siècle au début du 20ème siècle, les tentatives innombrables qui préten-
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daient reprendre les arts dans une synthèse générale ou dans un système de correspondances, reposent sur une hypothèse métaphysique du même ordre. Ainsi, la Gesamtkunstwerk put rêver à son idéal de synthèse parce qu’elle se fondait sur l’idée que la différence entre les arts est réductible. Le fait que les arts se situaient par rapport à un principe central pouvait aussi bien signifier que telle forme artistique - ce qui, au 19ème siècle, s’appliquait principalement à la musique - était mieux considérée qu’une autre pour la simple raison qu’elle était plus proche de ce ‘centre’.
P r o d u c t i o n
Fabrice
Hybert
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Vous mettez en avant la notion de Production. Quelle est pour vous sa signification spécifique? La production, c’est toutes les choses à réaliser. Produire c’est en fait, à un moment donné, créer des connexions entre des compétences différentes qui réalisent une idée. C’est le moment où on cale les pensées entre elles ainsi que les vocabulaires différents. Quel est ce moment dans votre travail? Spécifiquement il y a deux moments de production. Les dessins, qui sont des écritures, notes, des trucs de vertige. Et puis après, suit le moment de l’interrogation, qui est dans un dessin, qui passe par d’autres compétences que je vais chercher ailleurs. Je sors donc de l’atelier. Où allez-vous chercher alors? Aéroports, bars, la rue, des gens que je rencontre. Tous les moyens sont bons, des rencontres d’affaires ou de petites affaires. Je teste mon idée, je vois quel impact elle a et quelle en est la résonance chez quelqu’un qui possède des compétences différentes: par exemple des compétences techniques en matière de cellules photovoltaïques, sur le plastic, en matière de l’art des bonnes prises de judo ou des algues. Pour moi c’est ce moment exceptionnel qui fait l’art.
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notre époque, ces spéculations sont comme les vestiges d’une illusion romantico-religieuse. Elles possèdent néanmoins un fondement historique. Au cours des dix premières années du 20ème siècle, la recherche de correspondances entre les arts, les nombreux ‘doubles talents’ et l’interaction entre disciplines nous éclairent sur leur développement objectif. Le simple constat que, dès le 19ème siècle, il est possible - et tentant - de relever des analogies dans le développement des médias constitue déjà une indication dans ce sens. Progressivement, les arts se sont effectivement rapprochés. Mais ce rapprochement ne doit rien au génie synesthétique de quelques artistes-cosmologistes, il est inhérent à un développement immanent aux artseux-mêmes. Cet effacement des limites entre les arts, Adorno l’a déduit du processus émancipateur auquel était soumis chacun des arts séparément. [1] L’art moderne a rejeté tout idiome intermédiaire, tout schéma abstrait imposé à la matière. Il tend vers une cohérence rationnelle qui ne serait plus garantie par un principe de fonctionnement externe - comme la tonalité, en musique, ou les lois de la perspective en peinture mais qui se réalise à partir de la matière, de manière complètement rationnelle. Dans l’œuvre moderne, rien n’est donné d’avance; tout est construction. Toutefois, plus l’emprise de ce principe de construction est forte et confronte les arts à la nudité de la matière sans forme préexistante, plus les arts se ressemblent. “De même que dans la vie en société, en art, la rationalisation implique une organisation des moyens: leur uniformisation, leur assimilation à l’intérieur de chaque branche artistique prise individuellement de même que dans les rapports entre les arts.” [2] L’abandon des conventions spécifiques aux genres rend à leur tour les disciplines artistiques moins spécifiques. Si Kandinsky a pu parler de ‘sons’ en parlant de couleurs, c’est que la couleur s’était émancipée de la représentation classique et qu’en tant que strate de la matière, elle était devenue ‘libre et disponible’. A son
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tour, le timbre s’est émancipé en musique. Dans l’opus 16, troisième composition orchestrale (1909) d’Arnold Schönberg, la musique ne se développe pas vraiment dans un sens thématique et harmonique mais selon une transformation progressive du son orchestral. La couleur y apparaît comme une strate indépendante du mouvement musical. A la lumière de ce qui précède, il n’est pas étonnant que Schönberg et Kandinsky se soient - littéralement - trouvés, et qu’à cette époque, le compositeur peignait encore ‘par hasard’. Les arts ne cherchent donc pas à se rapprocher, c’est simplement leur critique immanente qui les amène à se retrouver ‘par eux-mêmes’. “Les arts ne convergent que là où chaque branche artistique ne recherche que son principe immanent.” [3] Cependant, la prépondérance du principe de construction et l’affranchissement de la matière de tout schéma imposé ne s’opposent pas seulement au partage des différents arts. Ils s’attaquent même à l’ultime convention, c’est-à-dire à l’art dans son existence comme domaine autonome. Dans l’empire qu’il exerce sur la matière, l’art entend se confondre avec elle; il tend vers une cohérence complètement rationnelle et, en ce sens, vers une émancipation et une autonomie complètes. Mais sitôt que l’œuvre d’art totalement intégrée, rationnellement cohérente se réalise, elle bascule dans son contraire. C’est que l’omniprésent principe de construction libère si bien la matière qu’il la réduit à une masse indifférente. Le sujet peut à son tour disposer de cette matière atomisée avec une telle liberté que cette prédominance se vide de toute signification. Les structures que l’œuvre d’art apporte à la matière deviennent quelque peu arbitraires parce que la matière n’oppose plus la moindre résistance. Tandis que le sujet était venu à bout de toutes les conventions pour se concentrer exclusivement sur la matière et se confondre avec elle, il fait désormais l’expérience de l’activité organisatrice qu’il exerce lui-même sur cette matière comme quelque chose d’extérieur, de ‘conventionnel’ même. L’œuvre d’art entièrement cons-
Votre travail consiste à rechercher des partenaires? Etablir des contacts, souvent sensuels et sympathiques, il faut aller jusque-là. Il ne s’agit pas de finance, mais plutôt d’enlever de la finance, je parlerais de commerce au sens le plus générique du terme, de l’échange. Je mets dans la balance une autre façon de valoriser la compétence de ceux que je rencontre, et qui est souvent dévalorisée par un aspect purement financier, sans charge de futur ou d’avenir. Ce qu’apporte un artiste c’est justement une valorisation de l’activité même d’une entreprise, c’est à dire une possibilité d’envisager l’activité dans toutes ses potentialités et, réciproquement, d’approcher un nouveau marché pour l’artiste. Pouvez-vous nous donner un exemple de cette approche? Par exemple l’usine Amarante, une usine de feutres dans le centre de la France, avec une cinquantaine d’ouvriers, qui fabrique du feutre à partir de fibres textiles qu’on déchiquette et qu’on écrase ensuite sur des grandes palettes. Le PDG avait un problème à faire passer, à transmettre ce métier. Il a fait appel à un artiste, moi en l’occurrence, par l’intermédiaire de Dominique Truco qui était alors au Confort Moderne à Poitiers. Je me suis rendu à l’usine et j’ai en quelque sorte rallongé temporairement la chaîne de travail. Le temps de mon intervention j’ai fait poser au milieu de la chaîne une estrade blanche sur laquelle je me suis établi. Pendant que le feutre passait par les différents postes de travail, je dessinais sur la fibre blanche, avec de la fibre verte, une sorte d’aquarelle en feutre sur feutre. Tous les ouvriers étaient là. Je suis sûr qu’ils en ont discuté après, lorsque je suis parti. On a présenté l’aquarelle (600 m de long) dans une exposition, ils sont venus et ils ont vu leur métier mis en valeur de façon différente, infusé par une action artistique. Voilà un exemple de ce que j’appelle ‘production’: je donne ce B -sites
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I n t e r d i s c i p l i n a r i t é truite se voulait être complètement rationnelle et cohérente. Elle obtient le résultat inverse: elle se vide de sens. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si l’œuvre d’art ‘émancipée’, construite, et l’assemblage où divers objets insolites font irruption dans la représentation - se développent à la même époque.
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e discours d’Adorno se situe dans le contexte des développements qu’a connus la musique jusqu’à la deuxième école de Vienne, et même plus tard, jusqu’à ‘l’école sérielle’ des années ‘50. Les peintres auxquels il se réfère sont ceux que l’on rapproche le plus aisément des représentants de cette musique, comme Kandinsky et Klee. Mais l’argumentation d’Adorno rejoint aussi la proposition que Duchamp énonce à l’aide du readymade. Adorno répercute en effet le moment où la poussée émancipatrice de l’art débouche sur une impasse. Là où la subjectivité autonome, vigilante, maîtrise apparemment la matière et où l’art s’émancipe complètement, il semble s’abolir lui-même. Sa suprématie sur la matière vire au désintérêt. Duchamp note aussi cet état de complète indifférence. L’art peut naître à partir de tout. Rien n’est plus étranger à l’art, et c’est précisément cette absence d’altérité à laquelle l’art se voit confronté, qui le sape. La révolte de l’art contre tout schéma imposé va si loin que rien ne pourrait plus l’endiguer, et que l’existence même de l’art est remise en question. Depuis Duchamp, l’existence de l’art se limite au geste négatif par lequel un élément étranger est introduit dans la représentation et devient art. Le même développement immanent qui amenait l’effacement des limites entre les disciplines débouche donc également sur une situation où l’art coïncide avec sa définition tautologique, institutionnelle: l’art est ce qui est reconnu comme tel. Cet état d’indifférence a pour conséquence que, dans une certaine mesure, on peut choisir le système de référence ‘art’ - indépendamment de ce que l’on produit - et que par suite, le choix d’une discipline dépend
aussi pour une part du secteur institutionnel où l’on veut œuvrer. N’importe qui peut modifier la signification de sa ‘pratique artistique’ - il faut se méfier du flou qui entoure cette expression usuelle - en voyageant d’un cadre institutionnel à l’autre. Le développement immanent et la flexibilité institutionnelle se rendent mutuellement possibles. Il est plus facile, par exemple, de rattacher la danse moderne aux arts plastiques parce qu’en s’affranchissant des figures chorégraphiques traditionnelles, elle s’est fait ‘plus plastique’. Ensuite, elle peut envisager de se rattacher à l’art plastique en s’orientant vers le contexte institutionnel de l’art plastique qui, depuis la performance, s’est attaqué à son tour à corps perdu aux conventions formelles. Dans une certaine mesure, le choix de la forme artistique coïncide avec le choix du cadre institutionnel. Ceci ne vaut pas seulement pour l’interdisciplinarité au sein des arts; formulé dans l’enceinte d’un musée, le discours du scientifique peut également acquérir soudain une ‘dimension artistique’. Vue sous cet angle, l’interdisciplinarité peut faire l’effet d’un jeu. Mais est-elle vécue comme un jeu? L’idée que l’on puisse disposer à sa guise des cadres institutionnels n’engendre-t-elle pas plutôt un malaise? Il apparaît clairement que l’on a parfois tendance aujourd’hui à grossir précisément le caractère contraignant des disciplines. Généralement, l’annonce qu’un artiste entend se démarquer des disciplines existantes - aujourd’hui, ces communications nous parviennent par l’intermédiaire de quantité d’annonces et de brochures - ne se fait que lorsqu’il est clair qu’en première instance, l’œuvre doit être vue malgré tout dans la perspective d’une discipline déterminée. On nous dit que l’œuvre d’un artiste peut ressortir aux arts visuels, par exemple, mais, ajoute-t-on, sans que cette discipline se l’approprie pour autant, car l’œuvre est film, vidéo ou ‘proposition sociale’. En mettant avant tout l’accent sur un point de départ monodisciplinaire, on peut présenter l’interdisciplinarité comme un surplus ou, davantage, comme un tour de force, une prestation
moment, cette communication forte, et en échange on me donne la matière. C’est tout simple. Comment cette idée vous est-elle venue? D’abord la production artistique fait partie de la production tout court, même si les circuits de diffusion sont spécifiques. Mais on retrouve à l’âge postindustriel des notions proches de l’art dans la production même. L’industrialisation florissante du 19ème siècle est une notion qui a perdu son impact. Il semble que la production industrielle passe à un stade proche d’un nouvel artisanat, en modulant sur mesure ses produits et ses méthodes. Je me suis aperçu qu’il fallait mettre cela en évidence au moment de Traduction en 1990. Il y avait un problème de communication au sein d’une entreprise de produits d’entretien, représenté par un conflit entre trois unités de production. Cela coûtait beaucoup moins cher à l’entreprise de fabriquer 23 tonnes de savon comme acte de communication interne et de trouver de cette façon de nouvelles motivations pour les travailleurs, qui étaient les acteurs principaux de l’œuvre. Vous avez vous-même créé une unité de production - UR. C’était en 1992. Plusieurs choses étaient en branle au même moment, notamment l’idée d’un voyage, avec Hans Ulrich Obrist, dans les pays marqués par l’Islam. Nous voulions faire ce voyage pour aller voir quel était le pendant à l’image dans des sociétés où l’image n’a pas le statut de visibilité qu’elle a en Occident. Le voyage ne s’est jamais fait, mais il fallait trouver une façon de le financer. L’idée du reportage, d’une exposition ou de conférences dans les pays marqués par l’islam ne convenait pas. Eventuellement le tourisme nous aurait permis de faire quelque chose. La cinquième possibilité était de faire du commerce, donc de créer une société fabriquant et distribuant des chaises et des chaussures. Nous avons démarché: les chaises et les chaussures
I n t e r d i s c i p l i n a r i t é héroïque. Tandis que les beaux jours de l’avant-garde - époque où l’on était encore en droit de parler de non-respect des limites - appartiennent depuis longtemps au passé, le discours contemporain a érigé la transgression de ces limites en véritable culte. La cadence spectaculaire à laquelle on publie la violation des frontières contraste de façon surprenante avec le zèle mis à présenter toute ‘transgression’ comme une action unique. Tout se passe chaque fois comme si l’art jaillissait en perçant les murs des disciplines. L’art semble oublier continuellement la promiscuité où il est plongé afin de renouveler chaque fois la sensation de la première indiscipline. Cette interdisciplinarité affirmative trompe surtout quant à la facilité avec laquelle on se permet aujourd’hui de tels changements incessants. Ce n’est plus de l’art que de dépasser les limites de l’art. Or cette prise de conscience est fatale. Autrefois, le continu interdisciplinaire constituait l’idéal utopique de l’art. Maintenant que, après Duchamp, l’art jouit d’une liberté totale, cet idéal est devenu son cauchemar. A cause de sa liberté, l’art est menacé d’une totale indifférence. L’art est devenu une pompe à vide. Il peut tout utiliser et son propos n’a pas de limite. La disponibilité des moyens et de la matière est désormais totale. L’art a absorbé tout ce qui lui était étranger et, plus grave, il y a survécu. L’indifférence où a sombré sa libération comporte comme autre conséquence que l’art peut servir à tout et qu’en effet, il est mis partout à contribution. Bien que la première phrase du livre d’Adorno Ästhetische Theorie, qui stipule que ‘rien de ce qui concerne l’art n’est désormais évident, même son droit à l’existence’, soit toujours d’actualité, elle est plus que jamais réversible. Aujourd’hui, l’art est omniprésent. Sa présence sur la scène sociale est d’une évidence mortelle. Où que survienne le problème, il est prêt à monter au créneau. L’artiste émancipé qui ne sait que faire de sa liberté est devenu un homme orchestre.
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La faveur dont jouit aujourd’hui l’interdisciplinarité occulte la peur du vide que créerait l’indiscipline totale. Elle promet l’avènement de l’empire d’une liberté illimitée qu’en réalité elle ne souhaite pas. Elle nie le fait que cette liberté est une réalité en faisant comme si elle n’était pas encore accomplie. Elle repousse chaque fois devant elle le vide de la liberté totale et clame l’existence dans la vie de limites qui cernent les disciplines pour ensuite pouvoir mettre en scène leur violation. Cette parodie permanente du saut de la liberté de l’avant-garde ne poursuit pas d’autre but que de digérer le traumatisme que l’avant-garde porte dans son cœur. Elle exorcise ce traumatisme en le renouvelant.
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ien entendu, ce n’est pas le retour à l’ordre des anciennes disciplines qui permettra de sortir de cette impasse. L’indiscipline de l’art moderne est une condition fondamentale sur laquelle il n’est pas question de revenir. En même temps, l’art ne peut admettre son ‘point d’indifférence’. Cela reviendrait à donner libre cours aux formes les plus cyniques de la fonctionnalisation, déjà partiellement perceptibles aujourd’hui. L’art est irrémédiablement prisonnier de cette contradiction. Il ne doit pas cacher le malaise né de cette situation en écartant son effrayante liberté et en faisant comme s’il attendait toujours l’avènement du paradis interdisciplinaire. Il ferait mieux d’accepter l’impasse où il se trouve et de s’accrocher au malaise qui l’habite. En effet, si les limites tracées entre les disciplines s’estompent, l’art même n’a pas disparu. Même dans l’au-delà de l’art, le rêve interdisciplinaire échoue invariablement. Ce qui survit, c’est la matérialité des disciplines. Leur inlassable chevauchement, leurs frictions mettent en évidence l’incapacité de l’art à s’accommoder de son déclin. L’art aimerait disparaître et quantité d’artistes contemporains mettent en scène cette disparition - mais il n’y parvient pas parce qu’il
sont ‘entre deux images’. Parallèlement j’ai rencontré des artistes qui étaient dans cette problématique de valorisation de la production. On a mis en place UR, société anonyme à responsabilité limitée, qui s’appelle Unlimited Responsibility, dans le but de former des gens pour pouvoir aller chercher de la production et, en conséquence, de former l’imagination des entreprises. Que fait UR? Chercher de la matière, la matière la plus exacte pour faire l’œuvre: c’est à dire des compétences soit techniques, soit intellectuelles, soit théoriques, etc... J’entends le mot matière comme ‘un puits de matières’. Par exemple, Laurent Moriceau avait besoin de matières pour ses vêtements, à la fois du papier photographique et d’un styliste. Elian Lille d’abord a fait le stylisme, puis il en a présenté un autre. Uri Tzaig voulait une boule de couleur. On lui a trouvé des fabricants. C’est encore en cours. Parfois ça ne marche pas, ça freine. Pour un projet, soit ça va très vite, soit il faut compter 12 à 18 mois pour un gros projet. Je me sers d’UR pour mes propres productions. Je connais bien les compétences de chacun. Cela forme une sorte d’arborescence ou plutôt une série de recoupements. Il ne s’agit pas de produire l’objet fini, mais tout ce qui est autour. Les POF (Prototype d’Objets en Fonctionnement) ne m’intéressent pas du tout en tant qu’objets, d’ailleurs aucun POF n’est jamais fini; c’est simplement un prétexte pour me servir à penser, comme on se sert à boire. Par contre, au moment où on le teste, le POF est fini puisqu’on produit des vidéos: les moments sont finis, mais les POF ne s’épuisent jamais. C’est d’ailleurs le titre de mon prochain roman. Comment inscrivez-vous votre production dans le marché de l’art? En d’autres termes, ce qui n’est jamais fini, a-t-il une cote? Pour moi, la finance c’est la mort. Le monde de la finance joue sur des possibilités de surpasser des besoins, des records. A B -sites
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I n t e r d i s c i p l i n a r i t é s’enlise dans le langage qui lui permet d’exprimer cette disparition. Et cette auto-dissolution impossible à réaliser, cette négation de lui-même à la lumière de son absurdité, se manifestent dans la tendance des disciplines à s’entre-dévorer. L’érosion interdisciplinaire est aussi tenace que l’art même. Elle s’installe là où l’art ne touche pas à sa fin. L’artiste français Fabrice Hybert a exposé une œuvre qui semble représenter cette situation. Traduction était un gigantesque morceau de savon transporté en camion à travers la France. L’image de ce camion en route fut montrée aussi en vidéo, l’écran étant peint de couleur verte lors de la présentation, comme si le matériel de peinture et le matériel figuratif électronique voulaient s’interpénétrer et se fondre, à l’instar d’un morceau de savon qui glisse et fond sans cesse. Le savon est une matière absorbante mais qui ne s’évapore pas comme un éther spirituel. Le savon est trop matériel, mais il est également trop difficile à manier: c’est une non-matière. Là où elle semble fondre - dans l’eau -, elle pollue. Le savon géant de Hybert ne représente pas un état immatériel mais un processus de dissolution insoluble.
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es médias et les disciplines se fondent, s’absorbent mutuellement, mais le processus même est insoluble. Le continu indifférent des disciplines n’est donc pas une situation positive qui serait en voie de se réaliser. C’est une indifférence qui ne peut faire droit à ellemême parce qu’elle est précisément marquée en son essence par une différence insoluble. Une interdisciplinarité lucide articule l’interpénétration des disciplines, leurs frictions mutuelles en tant que moment de différence insoluble, l’indifférente différence par laquelle les médias ne se dissolvent pas et leur érosion ne s’accomplit pas dans la disparition de l’art. Une telle interdisciplinarité ne se fait pas passer pour une liberté en passe d’être conquise. Elle se sait déjà marquée par cette liberté mais elle sait aussi qu’elle ne
se confond jamais avec elle. Lorsqu’elle veut se fondre dans le continu interdisciplinaire, elle s’enlise dans la différence de langage. Ce qui lie les disciplines, c’est précisément leur différence en tant que langage. Les disciplines se frottent l’une contre l’autre là où elles n’arrivent pas par elles-mêmes, ou autrement dit, là où elles diffèrent d’elles-mêmes. L’interdisciplinarité témoigne de l’unité des disciplines dans leur différence. Ce qui explique que le rêve interdisciplinaire ne se réalise jamais. L’interdisciplinarité est le ténia insatiable par lequel l’art se dévore lui-même. J Dirk Pültau
[1] Je m’inspire ici dans une certaine mesure de certains textes qu’Adorno a écrits sur les relations entre les arts. Consultez principalement: Theodor W. Adorno, Die Kunst und die Künste, in: Ohne Leitbild. Parva Aesthetica, in: Gesammelte Schriften, Band 10-1, herausgegeben von Rolf Tiedemann unter Mitwirkung von Gretel Adorno, Susan BuckMorss und Klaus Schultz, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1996, pp. 432-453. Theodor W. Adorno, Über einige Relationen zwischen Musik und Malerei, in: Musikalische Schriften III, in: Gesammelte Schriften, Band 16, herausgegeben von Rolf Tiedemann, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1978, pp. 628-642. [2] Theodor W. Adorno, Klassik, Romantik, Neue Musik, in: Klangfiguren, Musikalische Schriften I, in: Gesammelte Schriften, Band 16, op. cit. (note 1), p.127. [3] Theodor W. Adorno, Über einige Relationen zwischen Musik und Malerei, in: Musikalische Schriften III, in: Gesammelte Schriften, Band 16, op. cit. (note 1), p. 629.
mon sens, cela ne correspond pas à quelque chose de très humain. Je n’ai pas compris à quoi ça correspondait dans un corps. Au contraire, le commerce est érotique, plus on veut donner, plus on fait des performances: d’où cette idée de voyage, que j’ai reprise avec Bernard Marcadé. Ce serait une route de production, où l’on trouverait en chemin les produits qu’on veut faire, avec du métal ou du plastique, de la soie ou de la laine. Faire la route, c’est ce qui nous intéresse ici: ce qui se passe en chemin, ce qui nourrit le vocabulaire, ce qui ouvre des perspectives. L’engagement d’un artiste consiste quand même à rendre les choses possibles, tout au moins d’abord visibles. Le reste ne m’intéresse pas: la visibilité passe certainement pour moi par l‘échange et le partage. Et le public? Le public pour moi est une notion très privée. Quand Le plus gros savon du monde est arrivé, j’ai voulu qu’il soit présenté, outre à la biennale de Lyon, dans des centres commerciaux, à une heure donnée, avec une communication locale. Et c’est ainsi que cela s’est passé. Les gens voyaient arriver une benne de camion à l’effigie du plus gros savon du monde. Ils en éprouvaient toujours une grande déception et demandaient: «Mais en quoi est-il fait?» Mais la question qu’ils se posaient en fait était: ”Pourquoi n’a-t-il pas une forme de savon? ” Le grand public, paradoxalement, a appris à voir la forme plutôt que la qualité des choses. C’est tout le développement au 20ème siècle du design, du packaging, du formatage, ce contre quoi l’art doit se battre ou de quoi il doit se différencier. L’art se doit de rendre visible le ‘problème de la forme’, sans aller dans le sens de la bonne forme. Il s’agit de créer une histoire de l’intérieur, qui donne une autre idée de la vie et de notre décor. J
Elisabeth Lebovici
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Bicommunautaire
Conditie
De Bicommunautaire Conditie / La C o n d i t i o n B i c o m m u n a u t a i r e [* ] (…) De bicommunautaire titel die ik als opgave heb meegekregen vanwege de initiatiefnemers van de Vereniging voor een Kunst- en Onderzoekscentrum te Brussel/ Association pour un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles, is een titel die men op minstens vier verschillende manieren kan lezen. (…) In elk van deze vier lezingen (…) krijgt het adjectief ‘bicommunautaire’ een andere betekenis. Een aantal van deze betekenissen worden in discussies over het bicommunautaire vaak door elkaar gehaspeld, met alle Babelse spraakverwarringen tot gevolg. (…) Mijn stelling zal (...) luiden dat het bicommunautaire hier te lande te vaak is begrepen als de absurde en bijgevolg zinloze situatie waarin wij Belgen, Brusselaars - toevallig terecht zouden gekomen zijn en te weinig als de noodzakelijke conditie voor elke beleving van zin. Of nog: we hebben teveel communautaire discussies gehad en te weinig discussies over het communautaire. (...) Het is (...) maar zeer de vraag of datgene wat men in de Belgische politiek gemeenzaam een Gemeenschap pleegt te noemen ook maar iets met gemeenschap te maken heeft. Het verkalkte politieke gemeenschapsbegrip is immers dringend toe aan een flinke détartrage. Een kunst- en onderzoekscentrum te Brussel zou zich tot taak kunnen stellen om deze klus te klaren. B -sites
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1. De bicommunautaire voorwaarde (…)
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ommunautaire discussies zijn doorgaans politieke discussies tussen de verkozenen van de twee grootste taalgroepen van dit land, waarbij al dan niet vermeende verschillen tussen beide taalgroepen gearticuleerd worden, verschillen die een gemeenschappelijke aanpak in de weg zouden staan en bijgevolg een verschillende aanpak zouden vereisen. Een centrum dat bicommunautair wil zijn, dat zichzelf het bicommunautaire als conditie gesteld heeft, zou dan een centrum zijn dat zich niet tot slechts één van beide gemeenschappen wil richten, en als zodanig ook de steun zal proberen te verwerven van zowel de Vlaamse als de Franse Gemeenschap. Onvermijdelijk zullen de initiatiefnemers van dit centrum op die manier terechtkomen in een discursief veld getekend door communautaire spanningen. De bicommunautaire conditie druist namelijk in tegen de (mono)communautaire conditie of tendens van het politieke bedrijf. (…) Het nieuw op te richten centrum ambieert blijkbaar niet om opgenomen te worden in het rijtje van structureel gesubsidieerde federale culturele instellingen als de Koninklijke Muntschouwburg, het Nationaal Orkest van België, het Paleis voor Schone Kunsten en een aantal bij het Paleis voor Schone Kunsten aangesloten verenigingen. Het centrum zou ‘bicommunautair’ willen zijn. Strikt genomen is dit een juridische vergissing. Indien het centrum bicommunautair zou willen zijn, dan zou het zich namelijk niet mogen inlaten met kunst en onderzoek. Indien het centrum zich wil inlaten met kunst en onderzoek en zich in zijn activiteiten niet wil richten tot slechts een van beide gemeenschappen, dan zou het een biculturele instelling zijn, maar als zodanig niet onder de bevoegdheid van de beide gemeenschappen, maar onder federale bevoegdheid vallen. Wie zegt in Brussel een bicommunautair centrum voor kunsten onderzoek te willen oprichten, stelt, al dan niet
Conditie bewust, de geldende bevoegdheidsverdelingen in vraag en betwist meer bepaald de culturele bevoegdheden van de federale overheid. De enige manier om toch gesubsidieerd te kunnen worden door beide gemeenschappen, maar dan wel niet door de beide gemeenschappen samen vanuit een gemeenschappelijke beslissing van die gemeenschappen, bestaat er dan in om hetzij bij beide gemeenschappen afzonderlijk naar projectsubsidies te hengelen, hetzij zich structureel tot een van beide gemeenschappen te bekennen en bij de andere gemeenschap projectsubsidies te bedingen. (…) Mij kwam het voor dat de initiatiefnemers, door de bicommunautaire conditie die zij zichzelf lijken te stellen, ook reeds een standpunt innemen inzake de reeds jarenlang sluimerende discussie over de eventuele bicommunautarisering van de federale culturele (en wetenschappelijke) instellingen. Hun standpunt lijkt zich impliciet in te schrijven in een tendens tot uitkleding van de federale staat, het steeds maar weer onttrekken van bevoegdheden aan de federale overheid. Sommigen zouden het beheer van de federale culturele instellingen immers willen overdragen aan de beide grote gemeenschappen. (…) Een inhoudelijk argument voor de bicommunautarisering zou kunnen zijn dat de (administratieve) culturele competentie zich tegenwoordig vooral op het gemeenschapsniveau zou situeren. Maar ik betwijfel of men dat zo zonder meer kan stellen. De federale overheid heeft in het verleden al bewezen dat zij best in staat is om een instelling nieuw leven in te blazen, zoals dat met de Koninklijke Muntschouwburg gebeurd is. (…) Wel is het zo dat het de federale overheid, die manifest andere prioriteiten heeft, tegenwoordig ontbreekt aan een cultureel project. Het lijkt er soms op alsof de federale overheid om haar culturele (en wetenschappelijke) bevoegdheden verlegen zit. Nochtans bieden deze bevoegdheden bijzondere kansen en zou men zonder problemen een federaal cultureel project kunnen bedenken. Misschien, zo zou men zelfs kunnen betogen, zijn er alleen maar
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De enkele keren dat ik contact heb moeten opnemen met de Belgische ambassade om een Belgische spreker, schrijver of kunstenaar naar Canada te laten komen, werd ik steeds verrast door de manier waarop de onmogelijkheid financieel tot dergelijk project bij te dragen, gerechtvaardigd werd. Als het om een Vlaming ging, moest ik me wenden tot de Vlaamse Gemeenschap, voor een Franstalige Belg tot de Communauté française en dit voor de eenvoudige (en in de ogen van mijn gesprekspartners zeer logische) reden dat cultuur niet meer tot de federale bevoegdheden behoort! Gezien België reeds in een gevorderde staat van federalisering verkeerde toen ik haar verliet, kan ik dergelijk sofistisch spraakgebruik ontcijferen. Maar stel u de verwondering voor van de Canadees uit Ottawa die in zijn eigen stad niet alleen een Franse ambassade vindt maar ook een Alliance française, niet enkel een Duitse ambassade maar eveneens een Goethe Institut, allemaal instellingen die de (nationale) cultuur als één van hun voorrechten opeisen. Zal hij wegwijs worden in de Belgische “federale tektoniek” waar Dieter Lesage het over heeft? Zal hij begrijpen waarom diezelfde “federale overheid (…) vandaag de dag geen cultureel project heeft?” In deze dubbele context - de overlapping van bevoegdheidsdomeinen, en de bijna afwezigheid van de Belgische overheid in culturele aangelegenheden - moet men het initiatief beoordelen om te Brussel een ‘bicommunautair’ centrum voor kunst en onderzoek op te zetten. Uitgaande van diezelfde dubbele premisse zal ik een korte vergelijking maken met Canada, om er op te wijzen dat
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federale culturele projecten denkbaar. Indien ze niet federaal zijn, zijn ze immers niet cultureel. Men zou namelijk kunnen stellen dat de betekenis van cultuur (in België, maar niet alleen in België) vooral federatief zou moeten zijn: ontmoetingsplaatsen te creëren tussen de leden van de zogenaamde diverse gemeenschappen. (…) Gemeenschap bestaat slechts bij de gratie van de ontmoeting. (…) Indien er geen ontmoeting is, dan ook geen gemeenschap. Er bestaat geen gemeenschap voorafgaandelijk aan de ontmoeting. Indien men mij wil volgen in deze definitie van hetgeen constitutief is voor een gemeenschap, dan zal men het misschien al minder vreemd vinden wanneer ik zeg dat het filosofisch vanzelfsprekender en constitutief correcter geweest zou zijn indien cultuur geen bevoegdheid van de gemeenschappen zou geweest zijn, maar een bevoegdheid - misschien wel de bevoegdheid par excellence - van de federatie of de federale overheid. De federatie heeft immers als basisopdracht te federeren. In de huidige staatsstructuur wordt cultuur echter teveel als zelfontdekking en te weinig als ontmoeting met de ander, het andere begrepen. Indien we deze bevindingen radicaal constitutioneel doordenken en de vraag naar de politieke haalbaarheid van het radicale even tussen haakjes zetten, dan moeten we wel voorstander worden van de herfederalisering van cultuur. Wat thans een residuaire bevoegdheid heet, is immers misschien wel de meest essentiële federale bevoegdheid, want de bevoegdheid om te federeren. In afwachting van het moment dat dit soort inzichten ook doordringen tot de politiek arena, blijft die zogenaamde residuaire bevoegdheid van de federale overheid een belangrijke hefboom voor het federeren van de gemeenschappen en gewesten van dit land. Eerder dan op beide gemeenschapsoverheden zouden de initiatiefnemers van het kunst- en onderzoekscentrum te Brussel dan ook een appel moeten doen op de federale autoriteiten, opdat zij hun residuaire biculturele bevoegdheden maximaal zouden exploiteren. Met de federale overheid kan dan in principe een globale
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structurele samenwerking genegotieerd worden, met de beide gemeenschappen kan men tot nader order alleen afzonderlijk over projectsubsidies onderhandelen. Laten we immers ook niet vergeten dat velen die tot een van de belangrijkste doelgroepen van dit centrum behoren met name de in Brussel gevestigde kunstenaars - geen boodschap hebben aan de vraag of ze tot de Vlaamse, dan wel de Franse Gemeenschap behoren. Niet alleen de buitenlandse kunstenaars die Brussel als hun stek hebben gekozen, staan hier voor een onmogelijke keuze. Ook vele Belgische Brusselaars weten niet wat ze met deze vraag moeten aanvangen. Dit brengt ons bij een tweede mogelijke lectuur van onze titel De Bicommunautaire Conditie, waarbij we het tweetalige Brussel als locatie voor het kunst- en onderzoekscentrum als conditie, als situatie, onder de loupe nemen.
2. De bicommunautaire situatie
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e hebben de bicommunautaire conditie verworpen ten gunste van een federale conditie. Thans onderzoeken we of met de bicommunautaire conditie misschien Brussel als locatie voor het kunst- en onderzoekscentrum kan worden bedoeld. Laat ik hier met de deur in huis vallen: Brussel is geen bicommmunautair gewest. Op het tweetalig gebied Brussel-Hoofdstad hebben de Vlaamse en de Franse Gemeenschap weliswaar allebei welomschreven bevoegdheden (op het vlak van onderwijs, cultuur, welzijn en gezondheidszorg), bevoegdheden die zij er uitoefenen via de gedecentreerde entiteiten die de Vlaamse Gemeenschapscommissie, respectievelijk de Commission communautaire française zijn. Maar er is bitter weinig dat de beide gemeenschappen samen beheren en ook bitter weinig waarover beide gemeenschappen samen, via de Gemeenschappelijke Gemeenschaps-commissie / Commission communautaire commune, ordonnantiën over kunnen uitvaardigen. Strikt genomen is Brussel slechts op marginale wijze bicommunautair. Zo is de Gemeen-
een dergelijk initiatief vergemakkelijkt zou worden door de infrastructuur van het Canadese federalisme, maar tegelijkertijd ondenkbaar zou zijn uit intellectueel oogpunt (of ‘filosofisch’ oogpunt, zoals de heer Lesage graag zegt). Laat me beginnen met de term ‘gemeenschap’, die sinds een 30tal jaar centraal staat in de Belgische discussies maar geen deel uitmaakt van het politieke jargon in Canada. Hier wordt de term gebruikt om een groepering van personen aan te duiden die men moeilijk kan vereenzelvigen met een bepaald grondgebied. Zo noemt men ethnic communities (in Engelstalig Canada) en communautés culturelles (in Québec) de zogenaamde ‘zichtbare’ minderheden van de immigrantenbevolking. Dezelfde term wordt ook gebruikt voor de homogemeenschap als rechtspersoon. In België daarentegen - Dieter Lesage merkt het terecht op - slaat het begrip “bijna altijd op de taalaanhorigheid,” hetgeen betekent dat het al dan niet behoren tot een gemeenschap noodzakelijkerwijze bepaald wordt door de taal, alsof dit de enige identiteitsvector is waarmee een individu in een groepsverband kan worden ondergebracht. Deze organische band tussen ‘taal en gemeenschap’ (Le français en Belgique. Une langue, une communauté heet een onlangs verschenen naslagwerk) behoort weliswaar tot de dogma’s van het romantisch nationalisme, maar wordt eigenaardig genoeg zelfs in taalkundige en meer bepaald in taalsociologische kringen niet meer unaniem aanvaard. Voor iemand als Gumperz zijn de solidariteitsbanden tussen de leden van een gemeenschap en het door hen gedeelde pakket van sociale normen minstens even belangrijk als het feit dat hun communicatie via ‘éénzelfde systeem van taaltekens’ (Bloomfield) verloopt. Zo kan men bijvoorbeeld rustig stellen dat het Britse Gemenebest en de francofonie op wereldvlak eigenlijk uit meerdere gemeenschappen bestaan, niettegenstaande B -sites
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schappelijke Gemeenschapscommissie niet bevoegd voor de biculturele en de bi-educatieve instellingen. De individuele Brusselaars kunnen ook niet zomaar ingedeeld worden in Vlamingen en Franstalige Brusselaars. De bevoegdheden van de gemeenschappen in Brussel situeren zich namelijk op het niveau van de instellingen. Nu circuleren er wel rampzalige scenario’s, waarbij de Brusselaars verplicht zouden worden om te kiezen voor deze of gene gemeenschap. Indien we toch een grondige staatshervorming zouden willen, dan zou ik veeleer voorstellen om Brussel op te vatten als één gemeenschap. (…) Indien we zouden erkennen dat Brussel een Gemeenschap is en dat dit gegeven ook een institutionele vertaling moet krijgen, dan vervalt in zeer grote mate de reden om in de Belgische staatsstructuur het ingewikkelde onderscheid tussen gewesten en gemeenschappen vol te houden. Een relatief eenvoudige federatie van drie gewesten behoort dan tot de mogelijkheden. Aan deze drie gewesten (Wallonië, Vlaanderen en Brussel) zouden dan alle voormalige gemeenschapsbevoegdheden kunnen worden overgedragen. Men zou ervoor kunnen opteren om, eens de gemeenschapsbevoegdheden werden overgedragen aan de gewesten, voor dit herdachte overheidsniveau voortaan de benaming ‘gemeenschap’ te hanteren en te spreken over de Waalse, de Vlaamse en de Brusselse Gemeenschap. (…) Aangezien de Vlaamse en de Franse Gemeenschap in Brussel geen bevoegdheden meer zouden hebben en volledig geïntegreerd zouden worden in het Vlaamse en Waalse Gewest, - hetgeen aan Vlaamse zijde al goeddeels het geval is - zouden zij ook niet langer Brussel - een volwaardig derde gewest met dezelfde bevoegdheden als de andere twee - als hun hoofdstad kunnen kiezen.
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alvast als locatie gekozen. De keuze voor Brussel - zo is mijn gok - heeft in hoofde van de initiatiefnemers ongetwijfeld veel meer te maken met de internationale rol van Brussel dan met een verknochtheid aan Brussel als zogenaamde ontmoetingsplaats van de beide Belgische gemeenschappen. De keuze voor de tweetaligheid, die ik in De Bicommunautaire Conditie gelezen heb, is in hoofde van de initiatiefnemers van een kunst- en onderzoekscentrum te Brussel veeleer een keuze voor het internationale, dan een principiële stelling binnen het kader van het Belgische federalisme. De initiatiefnemers hebben niet de ambitie om uitspraken te doen over het federalisme, ook al lijken zij dat dan per ongeluk wel te doen. Indien het niet per ongeluk is, dan zullen ze intussen begrepen hebben dat ik vele bezwaren heb tegen hun bicommunautaire optie. Ik houd me echter voor (of ik maak me zelf wijs, naargelang) dat ze vooral een kunst- en onderzoekscentrum te Brussel willen dat zich kan inschrijven in een internationaal netwerk van gelijkaardige of tenminste geestesverwante instellingen in het buitenland. De bicommunautaire conditie is dan het voorgeborchte van een waarlijk internationale dimensie. (…) Bij de initiatiefnemers van de Vereniging voor een Kunst- en Onderzoekscentrum te Brussel lijkt er me vooral een engagement te bestaan ten aanzien van een internationale gemeenschap van kunstenaars waarvan een meertalige kolonie zich in het tweetalige Brussel heeft gevestigd. Het bicommunautaire sluit nog het best aan bij de kosmopolitische, transatlantische ingesteldheid van deze gemeenschap. Niettemin bestaat het gevaar dat het wat onzorgvuldige, doordeweekse pleidooi voor de bicommunautaire conditie (…) begrepen wordt als een steun aan de politieke (technocratische) plannen tot bicommunautarisering, niet alleen van de federale culturele en wetenschappelijke instellingen, maar van Brussel tout court. (…)
(…) De initiatiefnemers van het kunst- en onderzoekscentrum dat hier ter discussie staat hebben Brussel het gebruik van een lingua franca. Anderzijds kan het voorvallen dat een gemeenschap twee of zelfs meerdere talen hanteert om een optimale communicatie te verzekeren, die alle sectoren van het dagelijkse leven omvat. Niets belet ons dus om Brussel als een tweetalige gemeenschap te beschouwen, daarin verschillend van de Vlaamse zowel als de Franstalige Gemeenschap, ware daar niet de logica van het Belgische federalisme, die precies uitgaat van de ééntaligheid van de gewesten. Ten gevolge daarvan wordt de officiële tweetaligheid slechts erkend om de Belgen ervan te verzekeren dat ze individueel het recht behouden om ééntalig te blijven. In Canada, waar de federale regering het graag over een tweetalig land from coast to coast heeft (a mari usque ad marem, luidt het officiële motto), vreest men blijkbaar minder in een juridische fictie te belanden. In het Canadese federalisme bestaat er dan ook geen uitdrukkelijk verband tussen een bepaalde taal en een bepaalde regio, hoewel in de praktijk slechts in drie van de tien provincies Frans gesproken wordt: in Québec enerzijds, in een gedeelte van Ontario en Nieuw-Brunswick anderzijds. Aan Québec, waar het overgrote deel van de Franstalige Canadezen woont, verleent men hoogstens de vage titel van ‘bron of brandpunt (foyer) van de Franse taal in Noord-Amerika’ (sic!). Nochtans bestaat hier ook een bodemgebonden interpretatie van het begrip gemeenschap, die dichter aanleunt bij het ‘Vlaamse’ standpunt: men vindt ze bij de nationalisten van Québec, die in de onafhankelijkheid van hun provincie de enige waarborg zien voor het overleven van de Franse taal. Het is eveneens in deze kringen dat de Canadese confederatie het gemakkelijkst zal omschreven worden in termen van een tweeledig, bilateraal model, waarbij Engelstaligen en Franstaligen tegenover elkaar staan. In Engelstalig Canada daarentegen geeft men meer en meer de voorkeur aan een multilateraal model, gebaseerd op de gelijkheid tussen de tien provincies B -sites
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3. Het bicommunautaire gezondheidsbulletin
D
e vraag naar de bicommunautaire conditie zou ook kunnen begrepen worden als de algemene vraag naar de verhouding tussen de gemeenschappen. Hoe luidt met andere woorden het bicommunautair gezondheidsbulletin? Of nog: overleeft België het communautaire gekrakeel, of stevent België af op de splitsing? Dit lijkt me een bijzonder moeilijke vraag. De symptomen zijn immers niet eenduidig. Er is de voorbije maanden vanzelfsprekend veel gezegd waarover ik mij, samen met diegenen die het voortbestaan van België als meertalige gemeenschap wensen, graag verheug. Sinds het aantreden van de paars-groene federale regering Verhofstadt zijn we op veel bicommunautaire symboliek getrakteerd. (…) In het algemeen - en daarom ook enigszins veralgemenend - zouden we kunnen stellen dat in de zomer van 1999 op de verschillende niveaus van het federale België een nieuwe generatie politici aan de macht is gekomen die veel meer dan de generatie Dehaene en Tobback gevoelig is voor het politieke gewicht van symbolen. (…) Maar ook op het meer technische niveau van de traditionele bevoegdheidsdisputen lijkt een en ander uitgeklaard, zij het lang niet alles. (…) “Vlaanderen laat Brussel niet los”, is lange tijd een vaak gehoorde
slogan geweest en sommige Vlaamse politici en opiniemakers hadden de Brusselse enclave liefst restloos opgenomen gezien in het Vlaamse Gewest. Aan de Franstalige minderheid in Brussel (sic) zouden vervolgens faciliteiten (resic) worden toegekend. Het spreekt vanzelf dat een benaming als Communauté Wallonie Bruxelles duidelijk maakt dat Brussel nooit door Vlaanderen kan worden opgeslokt. Langs Vlaamse zijde lijken velen dat nu ook begrepen te hebben. Het lijkt er zelfs bijna op alsof er een deal gemaakt is: de Franse Gemeenschap geeft haar aanspraken op bevoegdheden op het Vlaams grondgebied op (met name in de faciliteitengemeenten). Daartegenover staat dat Vlaanderen zijn territoriale aanspraken op Brussel opgeeft. Dit zou betekenen dat de Franse Gemeenschap het Vlaamse territorialiteitsprincipe aanvaardt en dat Vlaanderen de gewestelijke drieledigheid van België aanvaardt en België dan ook niet langer denkt als een federatie van twee gemeenschappen die samen het gearceerde gebied Brussel zouden moeten beheren. Twee communautaire toegevingen, een aan beide kanten: de sfeer is dus fantastisch. Maar misschien is dit bulletin van de communautaire gezondheid, van de bicommunautaire conditie, veel te optimistisch. Er schuilt namelijk een listige adder onder het gras. Het gevaar is immers niet denkbeeldig dat wij, Belgen, bedolven worden onder symbolen van de goede verstandhouding tussen Walen en Vlamingen en niet
veeleer dan tussen de twee Europese volken die Canada hebben gesticht. Het is wellicht omwille van dit groter aantal deelnemers, standpunten en de daaruit voortvloeiende belangen dat de Canadese federale regering erin is geslaagd niet enkel haar bestaan te rechtvaardigen, maar tevens een werkelijke greep op de cultuur te behouden. In tegenstelling tot België, waar het federale gezag in de loop der jaren werd uitgehold, heeft de Canadese overheid een reeks instellingen opgericht, o.m. het belangrijke Conseil des Arts du Canada/Canada Council for the Arts (1957), die de hoeksteen vormen van de cultuurpolitiek, in die mate zelfs dat slechts de meest bevolkte provincies (Ontario, Québec en BritishColumbia) hun eigen ministerie van cultuur (met beperkte bevoegdheden) bezitten. Dit zegt voldoende. Volledige sectoren van het culturele leven (uitgeverswezen, theater, visuele kunsten) zouden zonder federale subsidies amechtig, zoniet bedreigd zijn. Daarom zou de oprichting te Ottawa of te Montréal van een rechtstreeks van het federale niveau afhankelijk centre d’art et de recherche, zonder inspraak van de gemeente of de provincie (de twee andere niveaus in het Canadese federalisme), niet aanleiding geven tot de door Dieter Lesage beschreven juridisch-politieke verwarring. Hetgeen niet betekent dat alles optimaal zou verlopen, maar eerder dat de hindernissen van een totaal andere aard zouden zijn, meer bepaald van intellectuele aard. In de eerste plaats is Canada geografisch zodanig uitgestrekt dat de contacten tussen de twee voornaamste ‘taalgemeenschappen’ veel minder talrijk en veel minder intens waren dan in het Belgische verband, waar de Vlamingen en de Walen die wensten samen te werken eenzelfde godsdienstige en dikwijls ook eenzelfde sociale achtergrond hadden. Niets van dit alles in het Dominion
doorhebben dat we intussen stilaan ophouden Belgen te zijn. Om het met een vergelijking te zeggen: het is perfect mogelijk om te scheiden in de beste en hartelijkste verstandhouding. U mag dat rustig van mij aannemen. Het is bijgevolg dus niet omdat de verstandhouding tegenwoordig zo hartelijk is, dat de totale boedelscheiding niet nakend zou zijn. In een bepaald scenario is de hartelijke sfeer juist de voorbode van de scheiding. Ik zou maar wat graag geloven dat de tastbaar verbeterde verstandhouding tussen de gemeenschappen wijst op een hernieuwd geloof in het Belgische federale project. De verdere uitkleding van de federale staat is echter niet bepaald de beste manier om mij te overtuigen, ook niet wanneer dat spelletje constitutionele strippoker in Café Costa in een opperbeste stemming verloopt.
4. La condition bicommunautaire
I
n de Belgische politiek vinden vele communautaire discussies plaats, maar weinig discussie over het communautaire. Het zou daarom wel eens kunnen dat het gemeenschapsbegrip zoals wij dit kennen uit de Belgische politiek, niets met gemeenschap te maken heeft. Ik zou willen besluiten met de meest fundamentele betekenis die de titel De Bicommunautaire Conditie zou kunnen hebben. We moeten hem dan begrijpen naar
analogie met de uitdruking la condition humaine. Onze fundamentele conditie is misschien wel dat we bepaald worden door twee tegenstrijdige gemeenschapsbegrippen. Het begrip ‘gemeenschap’, zoals het in communautaire discussies figureert, is een warm begrip. Het voelt in elk geval warm aan, warmer dan het begrip ‘staat’, warmer ook dan het begrip ‘regio’ of ‘gewest’. Dat het begrip ‘gemeenschap’ ook warmer is dan het begrip ‘stad’ durf ik niet beweren; het begrip ‘stad’ is de laatste tijd immers behoorlijk vaak opgewarmd. Maar misschien is de warmte die het begrip ‘stad’ lijkt uit te stralen slechts een afgeleide van de warmte van het gemeenschapsbegrip: de stad als de vermeende verzamelplaats van vele gemeenschappen. Aangezien het gemeenschapsbegrip een warm begrip is, hoeft het niet te verwonderen dat de gemoederen gauw verhit raken wanneer het over de gemeenschap gaat, of liever: wanneer het gaat over de gemeenschappen. Omgekeerd is het in politieke discussies hier te lande een vaak beproefde strategie om afgekoelde discussies nieuw leven in te blazen door ze, zoals men zegt, te ‘communautariseren’. Het communautaire is de microgolfoven van het Belgische politieke debat. De communautaire microgolfoven wordt door uit-gekookte politici vaak gebruikt wanneer er te weinig tijd is om originelere politieke recepten te bedenken. Een politiek probleem wordt dan voorgesteld als een probleem dat bij uitstek
of Canada, dat lange tijd gekenmerkt werd door een soort van confessionele apartheid (meer bepaald in het scholenbeleid) en een niet uitgesproken taalassimilatiepolitiek. De kunst heeft er zich nooit kunnen ontwikkelen in de schaduw van een ‘gemeenschapsoverstijgende’ burgerij, solidair aan deze en gene zijde van de taalgrens, zodanig dat zelfs in een stad als Montréal de samenwerking tussen Franstaligen en Engelstaligen altijd iets gemaakt, geveinsd, kunstmatig had, alsof het van buitenaf opgelegd werd (door de federale regering, bijvoorbeeld). Behalve natuurlijk in de ‘culturele gemeenschappen’, waar immigranten van her en der, zopas aangekomen of in het land gevestigd sinds één (soms twee) generatie(s), vorm geven aan een nieuw, openlijk en uitgesproken multicultureel Canada. Deze evolutie is bijzonder voelbaar in de stedelijke centra: Toronto’s megacity spant de kroon inzake verscheidenheid (ten nadele van het Frans trouwens), maar Montréal, Ottawa en Vancouver volgen op de voet. Het zal dan ook niemand verbazen dat vele culturele boegbeelden, van de romanschrijver Michael Ondaatje tot de kunstenmakers van het Cirque du Soleil via de architect Moshe Safdie, niet langer overeenstemmen met het binaire model. Het tweetalige en biculturele Canada der ‘twee eenzaamheden’ (Hugh MacLennan) heeft zijn tijd gehad, net zoals het Belgique de papa (Gaston Eyskens) voordien. Het lijkt me een prachtige gelegenheid om de problematiek rond het bicommunautaire gegeven uit te diepen en het gebruikelijke fast-food denken achter ons te laten. J
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De
Bicommunautaire
vanuit ‘de gemeenschappen’ moet worden begrepen en bijgevolg ook via die weg moet worden opgelost. (…) Communautaire discussies zijn - en dat is weinig verwonderlijk - holistische discussies. Alles wordt verklaard vanuit het toebehoren tot een bepaalde gemeenschap. Individuen zouden restloos opgaan in de gemeenschap waartoe ze geacht worden te behoren. Een holistisch gemeenschapsbegrip impliceert daarom de vernietiging van de singulariteit. Na de singulariteit van de holocaust, de holocaust van de singulariteit. Individuele performantie wordt een afgeleide van de performantie van de gemeenschap waartoe men wordt verondersteld te behoren. Individuen van wie de performantie afwijkt van de communautaire performantie worden uitgeroepen tot uitzonderingen die de regel bevestigen. Dit betekent meteen dat de Belgische communautaire discussies geen discussies zijn over het communautarisme. Met andere woorden: zij hebben geen weet van een substantieel filosofisch debat waarin het communautarisme het tegen het liberalisme moet opnemen. Het communautarisme vormt daarentegen in hoge mate het gedeelde onbevraagde uitgangspunt van de antagonistische posities in de communautaire discussies. Volgens het communautarisme ontlenen individuen hun identiteit in de eerste plaats, indien al niet uitsluitend, aan hun toebehoren tot een bepaalde gemeenschap. Volgens het liberalisme daarentegen is iemands individuele identiteit afhankelijk van vrije, persoonlijke keuzes. (…) De bicommunautarisering van Brussel, begrepen als de veralgemening van de bicommunautaire conditie en de verplichting te kiezen voor deze of gene gemeenschap, gemeenschappen die vervolgens plechtig beloven te zullen samenwerken, wil de Brusselaars, onder het mom van een soort linguïstische multiculturaliteit - en bijgevolg onder een vermomming waarvoor velen terecht gevoelig zijn - deze vrijheid ontnemen. Ik geloof dat
Conditie we de vrijheid moeten bewaren om niet exclusief tot deze of gene gemeenschap te behoren. Eerst door deze vrijheid om niet restloos op te gaan in deze of gene gemeenschap is werkelijke gemeenschap mogelijk. Of liever: de werkelijke gemeenschap gaat aan het toebehoren tot deze of gene gemeenschap vooraf. Precies omdat ze aan alle communautaire drukte en drukdoenerij voorafgaat, drukdoenerij waarvan we gezien hebben dat zij zich het best laat samenvatten als de obsessionele vergelijking van de performantie van de zogenaamde gemeenschappen, kunnen we de werkelijke gemeenschap ook de werkeloze gemeenschap noemen. In tegenstelling tot het politiek-communautaire begrip van gemeenschap dat de gemeenschap denkt vanuit haar performantie, dat de gemeenschap opvat als een min of meer performante entiteit, is de werkelijke gemeenschap immers werkeloos. De bicommunautaire conditie zou dan kunnen begrepen worden als de conditie waarin de werkeloze gemeenschap geocculteerd wordt door de performante gemeenschap, waarin het politieke gemeenschapsbegrip het existentiële gemeenschapsbegrip overschaduwt. J Dieter Lesage
[*] Excerpten uit een lezingtekst, gegeven op 10 mei 2000 in het Centrum Brussel 2000/Centre Bruxelles 2000, op uitnodiging van de v.z.w. Vereniging voor een Kunst- en Onderzoekscentrum te Brussel/ a.s.b.l. Association pour un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles. Aan het debat achteraf namen deel: Annick De Ville (Bruxelles 2000/Brussel 2000), Laurence Rassel (v.z.w. Constant), Paul Dujardin (Filharmonische Vereniging van Brussel/Société Philharmonique de Bruxelles), Lieven De Cauter (KUL, RITS - moderator) en Walter Moens (adjunct-kabinetschef van Vlaams minister van Cultuur Bert Anciaux).
Bibliografische referenties Rainier Grutman Daniel Blampain, André Goosse, Jean-Marie Klinkenberg & Marc Wilmet (eds.), Le français en Belgique. Une langue, une communauté, Louvain-la-Neuve, Duculot-Communauté française de Belgique, 1997. Leonard Bloomfield, Language, Allen, London, 1958, p. 29. François Chevillet, La communauté linguistique existe-t-elle?, in: Orbis (Leuven), nr. 36, 1991-1993, pp. 5-19. John Gumperz, The Speech Community, in: Pier Paolo Giglioli (ed.), Language and Social Context, Penguin, Harmondsworth, 1972, pp. 219-231.
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O n a f h a n k e l i j k h e i d
Een Kleine Verhandeling
- over het fantasma van de onafhankelijke curator en andere merkwaardige speculaties Beschouw ik mezelf als een independent curator? Historisch gezien is het idee dat je onafhankelijk kunt zijn van het distributienetwerk van de hoge cultuur, en dus meteen ook van de instituties van het kunstbedrijf (musea, privé-verzamelaars, kunstbeurzen, enzovoort), voortgevloeid uit de avant-gardebewegingen, het dadaïsme en vanaf de jaren ‘60 ook Fluxus en verwante bewegingen. Het Fluxus-manifest van Maciunas, dat natuurlijk niemand van zijn collega’s heeft ondertekend, begint met de woorden “purge the world of dead art”. Zo goed als elk paradigma van het kunstbedrijf werd radicaal in vraag gesteld: de voorstelling van het geniale, het autonome kunstenaarssubject, de positie van de individuele artistieke auteur als maker van een afgesloten werk, de scheiding tussen artistieke en alledaagse praktijken, de scheiding tussen toeschouwer en acteur, maar ook de instituties van het kunstbedrijf zoals kunstacademies, musea en de klassieke opvattingen over het maken van tentoonstellingen. Maciunas stelde zelfs kleine ‘terroristische’ sabotagedaden tegen de museumcultuur voor: zo wou hij de sleutelgaten van de museumdeuren met kauwgum dichtplakken. (Ook dit werd door de meeste collegakunstenaars veeleer sceptisch onthaald.) Met deze radicale erfenis, die altijd ook een politieke erfenis is, blijven we het aan de stok hebben, zodra we proberen om vanuit
de reflectie over het onafhankelijke curatorschap de fundamenten van een nieuwe kunstinstitutie te leggen. Ik zal daarom maar meteen bekennen dat ik mezelf in geen geval als een independent curator beschouw. Ik sluit me aan bij Lisette Smits (curator van Casco in Utrecht), die zei: “… I consider myself a dependent curator…”. [1] Ik beschouw de figuur van de onafhankelijke curator als een fantasma dat nauw samenhangt met de idee van een onafhankelijk, in zichzelf besloten subject. Vervolg blz. 31 NN
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A
ls subject komen we bij onze geboorte in een bestaand netwerk van signifiants terecht; we zijn altijd al gesproken, en wat misschien nog belangrijker is: we zijn altijd al vanuit alle kanten gezien. Lacan stelt hieromtrent: “Ik moet om te beginnen één ding benadrukken: in het veld van het zien bevindt de blik zich buiten: ik word bekeken, ik ben dus een beeld [tableau]. In die functie kan de institutie van het subject in het veld van het zichtbare het diepst worden begrepen. In dat veld word ik fundamenteel bepaald door de blik, die zich buiten bevindt. Door de blik kom ik aan het licht, en dank zij de blik heb ik deel aan de werking van dat licht. Daaruit volgt dat de blik het instrument is waarmee het licht zichzelf belichaamt, en om deze reden word ik ook - als u me toestaat dat ik zoals zo vaak een woord hanteer door het in zijn bestanddelen te ontleden - gefoto-grafeerd.” [2] Deze ‘externe’ blik wordt in de subjectconstitutie geloochend, ten gunste van een autonoom, in het centrale perspectief verankerde subjectpositie. Met het fantasma van ‘autonomie’ tracht men immers telkenmale het kwellende en verontrustende besef dat men tot in zijn diepste wezen een niet-autonoom, afhankelijk, gespleten subject is, op de vlucht te jagen. Analoog daaraan kan de ‘autonomie’ van de kunst - of algemener geformuleerd: de pictorial turn, de pogingen om een post-poststructuralistisch standpunt te bereiken, om de auratische kunst opnieuw te bezweren, of om zich tot de fenomenologie te wenden - beschouwd worden als een van de zovele pogingen om het fantasma van ‘autonomie’ nieuw leven in te blazen. Omtrent het probleem van het auteurschap bestaat er een interessante dialogische anekdote: “Toen Foucault zijn lezing hield over de vraag ‘Wat is een auteur?’ zat tussen het publiek ook de Franse psychoanalyticus en filosoof Jacques Lacan (1901-1981). Hij vroeg het woord en zei: ‘Het gaat geenszins om de ontkenning van het subject, het gaat om de afhankelijkheid van het subject, wat iets helemaal anders is; en op het niveau van de terugkeer naar Freud gaat het erom dat het subject
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afhankelijk is van iets werkelijk heel elementairs, iets dat we onder het begrip signifiant [3] hebben proberen te vatten.’ Bij de dood van Lacan, de belangrijkste psychoanalyticus sinds Sigmund Freud, verklaarde Foucault tegenover de Corriere della Sera: ‘Het was de bedoeling van Lacan dat de duisterheid van zijn geschriften de complexiteit van zijn onderwerp zou weergeven, en dat je de arbeid die je moest leveren om ze te begrijpen ook op jezelf zou toepassen.’ “ [4]
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innen mijn praktijk als curator tracht ik ten opzichte van dit gegeven een analytisch standpunt in te nemen, en vervolgens het veld van de beeldende kunst, in enge zin, te ontsluiten. Waarbij ik ‘ontsluiten’ begrijp als het blootleggen van het spel van de wederzijdse beïnvloeding tussen kunst en (bijvoorbeeld) theorie. Ik denk daarbij bijvoorbeeld aan de wijze waarop het Depot in Wenen deze ambitie in een doorlopend project heeft gegoten. Ik denk ook aan hetgeen Amy Winter in haar artikel Der Surrealismus, Lacan und die Metapher der Frau ohne Kopf [5] beschreven heeft als de directe invloed van de kunst op de theorie, of aan hetgeen Ruth Noack en Roger Bürgel in hun tentoonstelling Dinge die wir nicht verstehen [6] hebben gedemonstreerd door theoretische reflecties en commentaren simultaan met de tentoonstelling te presenteren. Mijn interesse gaat dan ook vooral uit naar die artistieke praktijken die de grenzen van de discursieve formatie ‘beeldende kunst’ openbreken en verleggen, hetzij door middel van directe interventies, hetzij door inbreuken op andere culturele velden en instituties. Toch wens ik u met mijn reflecties over de beeldende kunst een andere richting uit te sturen. Ik hoop dat u mij daarbij wil vergezellen, want Thinking alone is criminal. [7] La Monte Young, Composition 5: “De performance blijft ertoe beperkt dat een of meer vlinders in de opvoeringsruimte worden losgelaten; daarbij zorgt men ervoor dat alle diertjes de kans krijgen de vrijheid tegemoet te vliegen.” [8]
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Recentelijk wordt mij meermaals naar de onafhankelijkheid van de criticus gevraagd. Meestal gebeurt dit met een insinuerende ondertoon. Men gaat ervan uit dat een kunstcritica die zoals ikzelf een kunsttijdschrift uitgeeft - namelijk Texte zur Kunst op de een of andere wijze gecorrumpeerd moet zijn. Een eerste aanleiding voor deze verdenking vindt men in de commerciële advertenties in ons tijdschrift. Omdat ze een economische afhankelijkheid zouden impliceren, worden ze als een verregaande beperking van onze vrijheid geïnterpreteerd. In werkelijkheid verkopen wij echter onze ‘relatieve onafhankelijkheid’ net als een waarde aan mogelijke adverteerders. Wie bij ons een advertentie plaatst, doet dit niet in de eerste plaats omdat hij of zij als tegenprestatie een review verwacht. Wij bieden veeleer een bepaalde context aan, een discussieplatform, de mogelijkheid om aan een debat deel te nemen. Het klopt echter wel dat de onafhankelijkheid die men van een criticus verwacht, op dit niveau reeds in zekere mate ingeperkt wordt. Als men een kritiek schrijft, slaagt men er immers niet altijd in om de adverteerder of - algemener geformuleerd - de reactie van de betrokken personen volledig buiten beschouwing te laten. Als criticus staat men bij wijze van spreken dan ook steeds van verschillende kanten onder druk. Deze situatie heb ik echter steeds als een grote uitdaging opgevat en als een PRODUCTIEVE BEPERKING ervaren. Wie meent dat hij zich helemaal kan onttrekken aan de greep van de kapitalistische wetmatigheden om op die B -sites
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O n a f h a n k e l i j k h e i d Thomas Schmit, Cyclus: “Water pails or bottles are placed around the perimeter of a circle. Only one is filled with water. Performer inside the circle picks the filled vessel and pours it into the one on the right then picks the one on the right and pours it into the next one on the right and so on, etc., till all the water is spilled or evaporated.” [9] Dick Higgins, Danger Music Number Eleven (for George): “Change your mind repeatedly in a lyrical manner about Roman Catholicism.” [10]
Met Fluxus en aanverwante bewegingen heeft er zich op het vlak van de paradigma’s binnen de beeldende kunst een enorme omwenteling voorgedaan. De betekenis van die omwenteling hebben we echter tot op heden nog niet in al haar facetten begrepen. Kan de beeldende kunst immers vandaag nog steeds als een representatiesysteem worden opgevat? Nu de artistieke expressie de (weliswaar grote) vlakken van het Abstracte Expressionisme in de steek heeft gelaten om zich ín de ruimte te manifesteren? Nu de kunst zich heeft ontwikkeld als een event, als een Aktion die aan de hand van partituren door iedereen kan worden uitgevoerd? Van de performatieve kunstopvattingen van kunstenaars als La Monte Young, Thomas Schmitt of Dick Higgins blijven vaak hooguit relicten over, zoals foto’s, geschreven teksten, brieven, filmopnames, enzovoort. Sinds de performatieve wending in de kunst is de ‘tekst’ vaak een onmisbaar onderdeel geworden van de kunst die we ‘te zien’ krijgen. (Bij Fluxus is dat in extreme mate het geval, omdat vele events of happenings alleen bestaan in de vorm van beschrijvingen, die elkaar dan ook nog vaak tegenspreken.) Bovendien is een disparate verschijningsvorm intussen een algemeen uiterlijk kenmerk van de hedendaagse beeldende kunst. Veel kunst presenteert zich als een constellatie van beelden, foto’s, video’s en commentaren, waarvan de betekenis slechts kan geconstrueerd worden door alle onderdelen samen te bekijken. In haar verschijning kan de kunst dan wel bijna elke denkbare vorm aannemen, ze roept daarbij onmiskenbaar betekenislacunes,
open plekken of tussenruimtes op: de betekenis van veel hedendaagse kunst kan nooit zo coherent en leesbaar worden als bij paneelschilderijen of andere zogenaamd autonome kunstwerken. Die open plekken in de ‘lectuur’ worden door de interpreterende ‘tekst’ niet enkel in stand gehouden, maar ook vergroot. De commentaren van zowel kunstenaars, critici als tentoonstellingsmakers staan immers vaak in contrast met het visuele materiaal. Een bijzonder voorbeeld daarvan is het werk van Joseph Beuys. Het visuele materiaal dat hij aanreikt is veeleer duister - bijvoorbeeld het vet en vilt dat opvallend disparaat in de ruimte is verdeeld - terwijl de bijhorende interpretatie een nieuw, en contradictorisch betekenisniveau naar boven haalt - interpretaties als warmtereservoir of redding. Die contradictie blijft onverzettelijk en kan niet worden opgelost; het oscilleren van de betekenissen wekt onze aandacht.
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m deze kwesties in een bredere context te plaatsen, wil ik graag beroep doen op een betoog van Robert W. Witkin. [11] In zijn artikel Von der ‘Berührung’ der Alten zum ‘Blick’ der Neuzeit, gesellschaftliche Strukturen und die Semiotik der ästhetischen Form maakt hij duidelijk hoe de kunst als representatiesysteem van maatschappelijke waarden naar het waardensysteem van een maatschappij kan verwijzen. Witkin stelt dat “de manier waarop dingen worden voorgesteld samenhangt met de manier waarop ze worden gezien. Die samenhang vormt de sleutel om de relatie tussen kunst en maatschappelijke structuur te begrijpen.” [12] Daartoe verwijst hij onder meer naar de Egyptische kunst. Witkin schetst het ontstaan van een kunstwerk als volgt: “Het esthetische proces gebruikt de zintuigen als waarnemingssystemen - de waarnemingsystemen zien, horen, voelen, enzovoort. Vanuit esthetisch oogpunt wordt in een kunstwerk een orde geconstrueerd van zintuiglijke waarden, van waargenomen materiaal.”
wijze onafhankelijkheid te verwerven, heeft het bij voorbaat bij het verkeerde eind. Ik ben meer geneigd de volgende stellingname te onderschrijven: hoe radicaler de kritiek, hoe meer zij veralgemeent en hoe vaker zij alles over één kam scheert, des te minder inzicht heeft ze in haar eigen complexiteit. Een criticus die zichzelf onafhankelijk en ongebonden waant, weet zelden zijn eigen belangen en betrokkenheid bij de bekritiseerde omstandigheden te reflecteren. Het baat niet de belangen of strategische motieven van de anderen te hekelen, wanneer men de eigen beweegredenen over het hoofd ziet. Een kritiek die haar object schijnbaar ongeïnteresseerd en met grote afstandelijkheid benadert, kan geen adequaat oordeel vellen. Een kunstcriticus treedt de kunst immers nooit op een neutrale wijze tegemoet. De voorkennis over het werk, de status van de kunstenaar, de doelstellingen van de galerie en de receptiegeschiedenis tot dusver spelen een cruciale rol in de waarneming, en het uiteindelijke waardeoordeel. Vanuit deze overwegingen, wil ik een pleidooi houden voor een ‘geëngageerde’, met haar milieu verbonden kunstkritiek. Ik pleit voor een connected critic (Michael Walzer), een criticus die op zeer uiteenlopende manieren betrokken is in wat men gemeenzaam het kunstbedrijf noemt. Deze criticus kan bijvoorbeeld bevriend zijn met enkele kunstenaars; hij kan bepaalde galeries respectievelijk de door hen gepropageerde doelstellingen - ondersteunen; hij kan er vriendschappelijke relaties mee onderhouden, of hij kan er afstandelijk en kritisch tegenover staan. Van doorslaggevend belang is evenwel dat hij binnen het kunstsysteem een bepaalde plaats inneemt en zijn positie bepaalt ten opzichte van de beslissingen die in dit systeem genomen worden. Dit
O n a f h a n k e l i j k h e i d [13] Dat de menselijke figuur in een Oudegyptisch reliëf helemaal anders wordt gerepresenteerd dan in de schilderkunst van de Renaissance, heeft volgens Witkin minder te maken met verschillen in het waarnemingssysteem dan met verschillen in het waardensysteem. [14] Als algemeen uitgangspunt formuleert Witkin: “Zowel in het alledaagse leven als in de complexe vormen die het esthetische proces in de kunst aanneemt, is dat proces een talige, symbolische transformatie, waarin en door middel waarvan het zintuiglijke wezen (zowel individueel als collectief) aan een orde wordt onderworpen.” [15] In de archaïsche kunst van de oude Egyptenaren, die wel de relaties tussen de lichaamsvlakken afbeelden maar niet de perspectieven, ontwaart hij een sterk ontwikkeld haptisch principe. Witkin onderscheidt daarbij drie aspecten van de haptische waarneming die in deze context relevant zijn:
1.
Het accentueren van het begrensde en continue oppervlak van het voorwerp. De voorwerpen worden ervaren als geïsoleerd, in zichzelf besloten, autonoom. Ze bezitten massa en consistentie. In tactiele termen geformuleerd: ze oefenen druk op de oppervlakte uit.
2.
Voorwerpen maken deel uit van een constellatie van afgeronde, individuele dingen. Als zodanig kunnen ze in hun onderlinge relaties worden gelokaliseerd. Vanuit een haptisch perspectief is er echter geen werkelijke interactie tussen vorm (Gestalt) en voorwerp. Hun relaties zijn co-actief. Elk onderdeel speelt de rol die het leven of het noodlot voorschrijft.
3.
Voorwerpen worden ervaren als volledig aanwezig, als geheel en al beschikbaar in het hier en nu. Dergelijke voorwerpen zijn kenbaar dankzij hun contactvlakken. Voor een dergelijke ervaring bestaat er geen werkelijkheid die zich blootgeeft, geen achtergrond, geen innerlijk leven. [16] Witkin gaat ervan uit dat een dergelijke voorstellings-
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wijze het idee van een gesloten orde representeert. Deze orde kan niet worden veranderd door interacties of door handelingen, aangezien er tussen de objecten geen relaties bestaan.
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e ontwikkeling waarin het ik zichzelf als een uniek individu is gaan beschouwen, werd al vaker in verband gebracht met de ontwikkeling van het centraal perspectief. Volgens Witkin was daar ook een complex sociaal systeem voor nodig: “De individuatie is een functie van interacties, van wederzijdse aanpassing en ruil: daardoor houdt men in het eigen handelen rekening met de handelingen van de ander. We moeten hier interactie van co-actie onderscheiden. Van co-actie is sprake wanneer de handelingen van de ene persoon weliswaar chronologisch op de handelingen van de ander zijn afgestemd, maar door die handelingen niet worden beïnvloed of bepaald.” [17] In de bijhorende voorstellingswijzen worden gaandeweg voorgrond en achtergrond geïntroduceerd. Omdat een object vanop een bepaalde afstand wordt bekeken, worden nooit meer dan deelaanzichten getoond. “Het optische ervaringsniveau, dat doorgaans wordt geassocieerd met de ogenschijnlijk meest natuurlijke en meest levensnabije kunst, houdt zich eigenlijk niet bezig met de dingen zelf, maar wel met de complexe optische relaties waarin de dingen in het gezichtsveld zijn ingebed. Op dat optische niveau beantwoordt de werkelijkheid aan datgene wat ik heb omschreven als de distale ervaring.” [18] En even verder: “Dankzij de triomf van het optische (distale) organisatieniveau in de renaissancekunst konden de emancipatie en de autonomie van het subject zich doorzetten en kon het subject uit de omknelling van het object worden bevrijd. De autonomie van het subject hangt daarom samen met het doorstoten tot een hoger abstractieniveau. Esthetisch weerspiegelt zich dat in de verschuiving naar de optische organisatie, semiotisch in het doordringen tot de symbolische organisatie - een organisatie die niet wordt beheerst door de referent, maar door het (autonome) paar signifiant-signifié.” [19]
betekent dat hij zijn beschouwingen als ‘interne’ overwegingen concipieert, wat natuurlijk niet uitsluit dat ze uitgewisseld kunnen worden. Tegen het model van de connected critic zou men kunnen inbrengen dat het de autonomie van de kunstcriticus danig in gevaar brengt. Autonomie mag men evenwel niet gelijkstellen met totale onafhankelijkheid of vrijheid. Kunstkritiek is weliswaar autonoom in de zin dat ze ‘onderworpen is aan eigen wetmatigheden’, maar tegelijkertijd is de kunstkritiek heteronoom, in zoverre er invloeden, overwegingen en categorieën van buiten de kunst in de kritiek binnendringen. Dat de kunstkritiek zich enerzijds laat verstaan als een autonoom domein met eigen regels, heeft te maken met haar bijzonder gedifferentieerde categorieën en haar zeer gespecialiseerde criteria. Anderzijds betekent dit echter niet dat de kunstkritiek volledig ‘afgescheiden’ van andere domeinen zou kunnen bestaan. De kunstcriticus handelt slechts autonoom in de mate dat hij een zeer gespecialiseerd kunstkritisch waardesysteem en referentiekader hanteert. In de traditionele visie op de kunstkritiek is dikwijls te horen dat een van haar essentiële kenmerken erin bestaat ‘kritisch afstand te kunnen nemen’. Ik zou durven beweren dat die ‘kritische distantie’ niet vanzelfsprekend is, maar telkenmale opnieuw moet gecreëerd of veroverd worden. Het gaat immers om een afstand ten opzichte van de voorwaarden van heteronomie. Die afstand mag geenszins gelijkgeschakeld worden met marginaliteit, of met een marginale sociale positie van de criticus. Of men nu aan de rand of in het centrum van de maatschappij opereert, men wordt hoe dan ook reëel of imaginair - op verschillende manieren en in verschillende mate bij die maatschappij ‘betrokken’, erdoor ingepalmd of gecorrumpeerd. Enkel de graad van betrokkenheid kan verschillen, en eventueel beïnvloed worden. B -sites
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O n a f h a n k e l i j k h e i d De vraag is echter hoe de koppeling die Witkin maakt tussen de tekentheorie en evolutiegeschiedenis van de (artistieke) voorstellingswijzen, zich verhoudt tot de ingrijpende omwenteling die de avant-gardes zoals het dadaïsme, het surrealisme, of Fluxus hebben teweeggebracht, en waarvan we de effecten nog altijd kunnen merken. We moeten immers vaststellen dat er nauwelijks nog sprake is van convergerende representatievormen. Een kunstwerk bestaat niet meer binnen een kader: het bevindt zich out of the frame, het heeft de tweedimensionaliteit en de georganiseerde driedimensionaliteit (waarmee ik doel op de organisatievorm van de autonome beeldhouwkunst) achter zich gelaten. In eenzelfde artistieke werk tref je vaak verschillende technieken aan, gaande van fotografie, tekening, model, relict, tot tekst. Kunst wordt gekenmerkt door open plekken in de betekenis en door breuken in de voorstelling. Het auteurschap vormt een terugkerend thema, de institutie van de kunst blijft een problematisch gegeven. In al hun verschillende intermediërende niveaus werpen kunstwerken de vraag op naar de werkelijkheid. Een scherp afgebakende canon van artistieke uitdrukkingsvormen bestaat immers niet meer, ook al blijven die uitdrukkingsvormen vandaag nog door ingewikkelde culturele codes gereguleerd. Er heeft zich een nieuwe organisatiestructuur ontwikkeld, waarbij het maken van tentoonstellingen en het curatorschap een mix vormen van geldverwerving en inhoudelijke bundeling van/voor artistieke posities. Dit alles heeft de institutie van de kunst tot een nieuw metaniveau gevoerd. [20] Deze gehele ontwikkeling roept meerdere vragen op. Namelijk, welke waardensystemen worden in deze volkomen nieuwe voorstellingsvormen gerepresenteerd? Welke ingrijpende economische en sociale verschuivingen vormen de achtergrond voor dergelijke veranderingen in de representatiepolitiek? Welke ideologische systemen transporteren ze? Uiteindelijk allemaal vragen naar de wijze waarop wij ons in de tijd en de ruimte positioneren.
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an het einde van deze speculaties heb ik u, zo hoop ik althans, een perspectiefwisseling laten ondergaan. Als we ons de blik van buitenaf op onszelf proberen voor te stellen, beginnen onze subjectposities op dit tableau verontrustend te verglijden en te wankelen. De antithese voor het principe van het in zichzelf besloten voorwerp treft Witkin al in het impressionisme aan. In de hedendaagse kunst kan men sinds de diverse avant-gardes een revolutie van de beeldtaal constateren. [21] Zonder precies op een concrete stijlrichting te doelen, levert de volgende stelling van Witkin een bruikbaar uitgangspunt voor reflecties over het semiotische systeem van de hedendaagse beeldende kunst: “In semiotische systemen bevindt het hoogste abstractieniveau zich daar waar de plaats van de orde het verst van de contactervaring verwijderd is, waar de symbolische relaties ook gestructureerd kunnen worden onafhankelijk van de beperkingen waaraan de relaties tussen materiële dingen op het niveau van de lichamelijke contactervaringen onderworpen zijn. Zo’n situatie doet zich voor wanneer de signifiant zich van de signifié en de referent heeft bevrijd en de twee andere niveaus in de loop van het semiotische proces aan de eigen ordeningsprincipes heeft onderworpen. Op de hoogste abstractieniveaus worden de contactrelaties volledig overgebracht door ‘formele relaties’, anders gezegd: door zuiver symbolische operaties. Deze situatie benadert men in de kunst van de 20ste eeuw, waar de zuiver esthetische elementen (waaruit de signifiant bestaat) zich steeds sterker bevrijdden van de eisen en beperkingen die betekenisgeving en referent hen hadden opgelegd. In deze kunst begint de plaats van de orde te verschuiven van het optische relatieniveau naar het niveau van de semiotische of zuiver esthetische relaties.” [22] Met uitzondering van de laatste formulering (“zuiver esthetische relaties”) die een betekenisvrijheid lijkt te suggereren, maakt deze voorstelling de weg vrij voor
Het is gewoonweg onrealistisch om te geloven dat men zich als kunstcriticus aan het kunstbedrijf kan onttrekken. De kunstcriticus is immers steeds betrokken partij, en kan de bedrijvigheid rond kunst dan ook nooit vanuit een vogelperspectief aanschouwen. Af en toe kan het wel nuttig zijn een afstandelijker standpunt in te nemen, wil men een betoog voeren dat fundamenteler is en minder van a-priori’s uitgaat. Ook Michael Walzer stelt dat een criticus af en toe kan doen alsof hij ongeïnteresseerd is en alsof er een dergelijke afstandelijkheid bestaat. Het kan echter nooit meer zijn dan een denkoefening, die uiteindelijk niets fundamenteel verandert aan de principiële betrokkenheid van de criticus. De laatste tijd stelt men mij ook regelmatig voor om eens grondiger na te denken over mijn eigen rol in het kunstbedrijf. Men acht het immers noodzakelijk dat een kunstcriticus in zijn teksten zelf rekenschap geeft van de mate waarin hij of zij de hiërarchieën en waardepatronen van het kunstbedrijf sublimeert. Want, zo stelt men, zelfs de meest ambitieuze poging om de kunst te demystificeren, draagt uiteindelijk bij tot de bestendiging van het paradigma ‘Kunst’. Zelfs die kunstcritici die het kunstenaarsschap in vraag stellen en de economische achtergronden van haar ‘succes’ blootleggen, zijn uiteindelijk bondgenoten van het kunstsysteem. En dat belet hen dan ook de fundamentele opvattingen en de waarden van dit systeem te transcenderen. Met deze diagnose - de pessimistische ondertoon buiten beschouwing gelaten - ben ik het principieel eens. Als kunstcriticus handelt men inderdaad niet belangeloos, en per slot van rekening levert men steeds een bijdrage tot de stabilisering van het referentiepunt kunst.
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de interpretaties van de waaier aan signifiants, signifiés en tekens waarmee men de hedendaagse kunst beschrijven kan - iets waartoe ik de lezers die bereid waren om me tot hier te volgen, wil uitnodigen. J Dorothee Richter
[1] Lisette Smits in: Dorothee Richter (ed.), Dialoge und Debatten. Ein internationales Symposium zu feministischen Positionen in der zeitgenössischen Bildenden Kunst, Institut für moderne Kunst Nürnberg, Verlag für moderne Kunst, Nürnberg, 2000: “I don’t know what you want but I can’t give it anymore.” [2] Jacques Lacan, Der Blick als Objekt, in: Das Seminar IV, Buch 1, Die 4 Grundbegriffe der Psychoanalyse / Textherstellung durch Jaques-Alain Michel, Berlin, Weinheim 1983 (3de druk.), p. 113. [3] Ik wil hier nogmaals benadrukken dat met het begrip ‘signifiant’ elk tekensysteem bedoeld wordt: woord, beeld, culturele codes, alle sporen, enzovoort. [4] Paolo Bianchi, Kunst ohne Werk - aber mit Wirkung, in: Kunstforum International, nr. 152, okt.dec. 2000. [5] Amy Winter, Der Surrealismus, Lacan und die Metapher der Frau ohne Kopf, in: Real Text, Schöllhammer, Kravagna, Klagenfurt, 1993. [6] Generali Foundation Wenen, 2000. [7] Thinking alone is criminal. Een project van het Kunsthaus Glarus en het Kunstmuseum van het kanton Thurgau, en de gelijknamige publicatie: Annette Schindler en Markus Landert (ed.), Allein denken ist kriminell, Thinking alone is criminal. Penser seule est criminel, Sulgen, 1995. [8] Jürgen Schilling, Aktionskunst: Identität von Kunst und Leben? Eine Dokumentation, C. J. Bucher, Luzern, 1978, p. 81. [9] The fluxus performance workbook, Editions Conz, El Djarda, Verona, 1990, p. 45. [10] The fluxus performance workbook, op. cit. (noot 9) p. 45. [11] Witkin levert vaak overtuigende inzichten,
al leidt het panoramische overzicht dat hij biedt onvermijdelijk tot een vereenvoudiging van de problematiek. [12] Robert W. Witkin, Von der “Berührung” der Alten zum “Blick” der Neuzeit, gesellschaftliche Strukturen und die Semiotik der ästhetischen Form, in: Real Text, Schöllhammer, Kravagna, Klagenfurt, 1993, p. 90. [13] Witkin, op. cit. (noot 12), p. 90. [14] Dit verschil is volgens mij niet zo erg duidelijk, aangezien een neutrale nulgraad van de waarneming niet bestaat: elk waarnemingsproces draagt immers de connotaties mee van de geldende maatschappelijke codes. [15] Witkin, op. cit. (noot 12), p. 90. [16] Witkin, op. cit. (noot 12), p. 102. [17] Witkin, op. cit. (noot 12), p. 107. [18] Witkin, op. cit. (noot 12), p. 94. [19] Witkin, op. cit. (noot 12), p. 111. [20] Op de structurele verschuiving van de posities in het spel van het te-zien-geven, zie: Dorothee Richter & Eva Schmidt, Curating Degree Zero. Ein internationales Kuratorensymposium, Institut für moderne Kunst Nürnberg, Verlag für moderne Kunst, Nürnberg, 1999. [21] Ik herinner hier aan het begrip chora, waarmee een veronderstelde voortalige toestand wordt bedoeld. Dat begrip werd geïntroduceerd door Julia Kristeva, La révolution du langage poétique, Parijs, 1974. Ook in die richting zou je de radicale breuk in de beeldende kunst verder kunnen denken. [22] Robert W. Witkin, op. cit. (noot 12), p. 98.
Niettemin meen ik dat er voor de kritiek een belangrijke taak blijft weggelegd. Er mogen goede redenen bestaan om de maatschappelijk eerder onbeduidende ‘kunst’ te ondersteunen, het maakt toch een groot verschil uit of men de bestaande opvattingen over kunst gewoonweg reproduceert dan wel kritisch ondervraagt. De criticus is weliswaar betrokken partij, maar dit mag hem niet beletten om bijvoorbeeld de heersende machtsrelaties, de klassieke mechanismen waarmee kunstenaars een reputatie kunnen opbouwen, of de uitsluiting van vrouwelijke kunstenaars te reveleren en aan te klagen. Juist omwille van haar principiële betrokkenheid kan de kunstkritiek de geijkte methodes ter discussie stellen, en de gemeenplaatsen in de waarderingen en betekenisconstructies steeds weer in twijfel trekken. De kunstkritiek kan, alleen al door een nieuwe interpretatie aan te leveren, de door haar besproken kunst terug in een nieuw daglicht plaatsen; zij kan tot dusver verwaarloosde praktijken terug onder de aandacht brengen en kan voortdurend aan de geldende beoordelingscriteria sleutelen. De kunstkritiek heeft reeds meermaals - en dat geldt zeker voor ons tijdschrift - een nieuwe kijk op algemeen aanvaarde praktijken afgedwongen, om vervolgens hun relevantie in twijfel te trekken. De taak van de kunstkritiek ligt in het voortdurend herdefiniëren van de geijkte artistieke procédés en handelswijzen. Kortom, de kunstkritiek kan zich enkel laten meten aan de situatieve waarde van haar interventies. J
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C o l l e c t i e
Het Produceren van Collecties - Generali Foundation Wenen -
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nlangs bestudeerde ik samen met de hoofdverantwoordelijke van onze studieruimte een lijst van video’s. We vroegen ons af of deze werken al dan niet ‘kunstwerken’ waren, en welke rechten wij erop hadden. Sommige videobanden hadden we aangekocht als boeken, andere werden dan weer in de Generali Foundation zelf geproduceerd naar aanleiding van performances of gelijkaardige kunstmanifestaties. De video’s hadden wij weliswaar in ons bezit maar waren niet in de lijst van onze verzameling ‘kunstwerken’ opgenomen. Een gelijkaardig probleem stelde zich reeds enkele jaren terug bij een reeks foto’s uit ons archief. In het begin van de jaren ‘90 gaf ik aan een kunstenaar de opdracht om de oprichting van ons museum fotografisch te documenteren. Het resultaat van dit project omvatte een verzameling van meer dan 400 zwartwitfoto’s. Een beperkt deel van die collectie werd gebruikt voor een advertentie naar aanleiding van de opening van de Generali Foundation in de lente van 1995. Enige tijd later werd een volgende selectie van een 100-tal foto’s verzameld in een publicatie, waarin de kunstenaar vragen stelde bij de mogelijke representatie van het werkproces en de documentatie. Inmiddels zijn we begonnen de originele fotografische afdrukken uit ons archief te halen en ze een plaats te geven in de bestanden van de verzameling. De Generali Foundation werd 11 jaar geleden opgericht door een Oostenrijks verzekeringsconcern en werd geconcipieerd als een openbare kunstvereniging. De Foundation wenste de hedendaagse kunst te steunen, en besliste daartoe een collectie op museumformaat aan te leggen. In die tijd werden bedrijfsverzamelingen in Europa nochtans zeer sceptisch bekeken. Welke kunstenaar of kunstenares was immers bereid om zijn of haar beste werk aan een verzekeringsmaatschappij te verkopen, met het vooruitzicht dat het in een of andere ruimte van de firma zou wegkwijnen? Aangezien de toenmalige state-of-theart niet onmiddellijk voor een dergelijk initiatief zou open
staan, leek het opportuun om ons in eerste instantie op tentoonstellingen van hedendaagse kunst te concentreren, in plaats van op het aanleggen van een verzameling. Aan de hand van een serie site-specific installaties stelde de Generali Foundation zich op als partner voor de productie van tentoonstellingen en kunstenaarsprojecten. Dit creëerde de mogelijkheid om een onmiddellijke communicatie op te bouwen met zowel de kunstenaars als met het publiek. Hoewel de verzamelactiviteiten hierdoor een tijdlang enigszins op de achtergrond vedwenen, bood het ons de gelegenheid om ervaring op te doen en - aan de hand van het organiseren van tentoonstellingen - om het verzamelingsbeleid verder langzaam te ontwikkelen.
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lvorens het museum in 1995 werd geopend, ontwikkelde de Foundation aldus, op een enigszins kleine schaal, een werking die we sinds enkele jaren onder de vorm van een eigen model doelgericht verder uitbouwen: wij modeleren onze werking naar het programma van een klassiek museum en wij hanteren daartoe de nodige middelen. Wij werken doelbewust aan de uitbouw van een verzameling op lange termijn. De triade ‘conserveren, bewaren en toegankelijk maken’ interpreteren wij daarbij op een relatief eigenzinnige manier. Zo hebben wij ons onder meer ingezet voor het belangrijk historisch werk van enkele kunstenaars, zoals het filmwerk van VALIE EXPORT, het oeuvre van Gordon Matta-Clark en de uit de jaren ‘60daterende groep Prototypen van Walter Pichler. Verder organiseerden we onder meer retrospectieven van Dan Graham, Isa Genzken en Martha Rosler, de eerste overzichtstentoonstelling van het legendarische Post Partum Document van Mary Kelly, of de thematische tentoonstelling REPLAY waarin de beginfase van de mediakunst belicht werd. Wij verrichten wetenschappelijk onderzoek en voeren een uitgebreid publicatiebeleid, waarvan enkele uitgaves inmiddels als standaardwerken worden beschouwd. Naast de tentoonstellingsruimtes,
C o l l e c t i e stelt de Foundation ook een studieruimte met een bibliotheek, een videotheek en een archief publiek ter beschikking.
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oordat deze vaak zeer intensieve activiteiten zich verschuilen achter het publieke tentoonstellingsprogramma, geniet de Foundation vaak eerder het imago van een Kunsthalle dan van een museum. Omdat onze collectie niet permanent tentoon wordt gesteld, vormen de tentoonstellingen het publieke gezicht van het museum. Zij vormen het kanaal waarlangs we op de meest directe wijze met ons publiek kunnen communiceren. Het tentoonstellingsprogramma wordt echter steeds geconcipieerd in wisselwerking met de verzameling, respectievelijk met onze eigen verzamelactiviteiten. Het programma legt immers in belangrijke mate een getuigenis af van de geplande aankopen. Bovendien vormt een tentoonstelling vaak het geschikte middel om een verrichte aankoop kenbaar te maken. De criteria voor de voorbereiding van onze tentoonstellingen, zijn dan ook op lange termijn berekend. Archieven worden systematisch opgebouwd in verband met bepaalde thema’s of met het werk van specifieke kunstenaars. Op die manier ‘groeit’ er immers een basis voor de volgende aankoopbeslissingen. Dit betekent bovendien dat iedere aankoop op zijn beurt op voorhand reeds relatief goed gedocumenteerd is. Met dit model trachten we de klassieke doeleinden van het museum te koppelen aan de vereisten van de hedendaagse kunstpraktijk. Het verzamelen mag zich - volgens onze filosofie althans - niet beperken tot een louter passief conserveren en bewaren, maar moet integendeel een actieve rol spelen bij de productie van de kunst, in samenwerking met de kunstenaars. Het verzamelen moet vooral ook oog hebben voor de actuele artistieke praktijken. Museum en hedendaagse kunst zijn inderdaad nogal tegenstrijdige begrippen. Bij pogingen om het museum ‘eigentijdser’ te maken, gaat de voorkeur dikwijls uit naar het medium van de tijdelijke tentoonstelling, terwijl het eigenlijke onderhoud van de verzameling wordt verwaarloosd. In
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musea moet het wetenschappelijk personeel steeds vaker wijken voor een ploeg communicatie- en marketingspecialisten - een relatief jong verschijnsel in het museumbedrijf. Deze nieuwe ‘experts’ hebben tot taak het aantal bezoekers te maximaliseren, of het zogenaamde ‘brede publiek’ te lokken. Daarmee doelt men op die bezoekers die op zich geen belangstelling voor kunst hebben, maar die in bepaalde omstandigheden wel ‘geïnteresseerd’ zijn in een tentoonstellingsbezoek. Daarnaast worden vaak ook andere ‘attracties’ ingezet, gaande van een spectaculaire architectuur tot een trendy evenement. Alle pogingen om toenadering tot het brede publiek te zoeken, zijn voor marketingspecialisten principieel welkom én legitiem. Ik ben wellicht niet de enige die mij afvraagt wat er uiteindelijk overblijft van die talrijke, vaak extreem dure producties of succesvolle tentoonstellingen. Bovendien stelt zich de vraag of er nog iets van dergelijke mega-producties kan bewaard worden, en zoja, hoe dit dan wel dient te gebeuren.
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edere kunstinstelling produceert een of andere verzameling. Alleen zijn de meeste instellingen zich daar nog niet echt bewust van. Zo produceert iedere Kunsthalle een verzameling tentoonstellingen, catalogi, foto’s, video’s, of ander archiefmateriaal. In het boek On the Museums Ruins beschrijft Douglas Crimp hoe de bibliothecaresse Julia van Haaften in de jaren ‘50 in de New York Public Library tussen de boekbestanden van afdelingen als architectuur, archeologie, etnografie en geologie, verschillende ‘kunstwerken’ ontdekte. Julia van Haaften heeft deze werken - die gecreëerd werden door vandaag de dag beroemde kunstenaars uit de 19de eeuw - bij elkaar gebracht, ze als ‘kunst’ geclassificeerd en in een tentoonstelling gepresenteerd. Een bekend verhaal dat bijvoorbeeld zijn vervolg krijgt in de videocollectie van iemand als Mike Steiner (een collectie die na lange onderhandelingen werd aangekocht door de Nationalgalerie in Berlijn) of in de aankoop van archieven door het Getty Center. J Sabine Breitwieser
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T e a m w o r k Bien sûr, quand vous êtes directeur comme moi à la Kunsthalle de Berne dans les années 60, vous êtes obligé de faire des expositions qui ne sont pas les <
>.
Harald Szeemann [1]
Dood van een Stercurator Voor elke curator met enige zelfachting moet het een nachtmerrie zijn: een tentoonstelling maken die niet de ‘zijne’ is. Zijn ego als ‘tentoonstellingsauteur’ kan een dergelijke onderneming slechts ervaren als een gedwongen adoptie of een uit de hand gelopen Frankenstein-story, een verhaal waarbij de geliefkoosde spruit een monster wordt dat zich onverbiddelijk tegen zijn schepper keert. Het autonoom en onafhankelijk orkestreren van een tentoonstelling is echter verre van evident. Het publieke toonmoment vormt immers het verzamelpunt van de meest uiteenlopende belangen. Het is enkel het zichtbare deksel op een put waarin artistieke, academische, economische, sociale en politieke ambities verborgen liggen. De in 1990 overleden Britse criticus en curator, Lawrence Alloway, maakte ooit een kleurrijke schets van het web der verplichtingen en verlangens waarin de curator zich inschrijft: ‘het verlangen om alleen met de kunstenaar of kunstenaars te zijn; de noodzaak om goede relaties te onderhouden met de hoofdverdeler van de artiest; de eis om zijn of haar verzamelaars te vriend te houden; de noodzaak om te voldoen aan de (smaak)verwachtingen van sponsors (en/of de subsidiërende overheid - P.G.) en die van de museumdirecteur; de verplichting om te voldoen aan de verwachtingen van zijn of haar (eventueel intellectuele - P.G.)
peergroup; enzovoort.’ Alloway concludeert hier onder andere uit: “All these pressures tend to keep curators in conforming rather than dissenting postures. The pleasures of belonging to the group, an elite, often outweight the satisfaction of nonconformity. (…) The curator is present either as the interpreter of a critical point of view or as agent for somebody else. If the latter, he can be viewed as either the artist’s servant or the market’s slave. (By critical I mean a point of view that is thought out, consistently argued, and checkable against other data.)” [2]
[1] Harald Szeemann in gesprek met Nathalie Heinich, in: Nathalie Heinich, Harald Szeemann. Un cas singulier. Paris: L’Echoppe, 1995. [2] Laurence Alloway, The great curatorial dim-out. in: Reesa Greenberg, Bruce W. Fergurson & Sandy Nairne (ed.), Thinking about Exhibitions. Routledge, London, 1996, p. 224-225.
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innen dit kluwen van tegenstrijdige verlangens en belangen die een tentoonstelling vergezellen, speelt de catalogus vaak een belangrijke rol. Doorgaans functioneren de daarin opgenomen teksten slechts als een rituele afsluiting van de onderneming, of een zuiver artistieke legitimering en simulatie van het door Alloway’s vooropgestelde kritisch potentieel van de curator. Wil men een doordacht, consistent en ‘controleerbaar’ betoog voeren, dan heeft men ook weinig keuze. Bij het maken van een tentoonstelling spelen immers altijd minder ‘koosjere’ strategieën of ondoordachte, tot soms banale motieven mee, zodat in wezen enkel een ‘hybride’ tekst mogelijk of denkbaar is. In dit verband wijst Alloway bijvoorbeeld op de groeiende invloed van kunsthandelaren en galeriehouders op het tentoonstellingsbeleid van musea. Uiteraard dreigt dat gevaar vooral bij instellingen die hoofdzakelijk van privé-kapitaal afhankelijk zijn, zoals de Amerikaanse kunsttempels. Binnen het Europese subsidiebeleid komen dan weer politieke ambities om de hoek kijken. Vooral die kunstinstellingen die beroep doen op een rijke infrastructuur en een gebouwencomplex blijken, zowel voor de economie als voor de politiek, aantrekkelijke bondgenoten. Binnen dergelijke constellatie is de curator extra gevoelig voor ‘externe’ belangen, die niet de ‘zijne’ zijn. Voor Harald Szeemann vormden de vele beperkingen die hij in de institutionele wereld ervoer, dan ook de aanleiding om zijn beroep te herformuleren.
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aar het einde van de jaren ‘70 en het begin van de jaren ‘80 ontstaat een nieuw soort curatorschap. In het voetspoor van de Zwitser Harald Szeemann, verwerft een nieuwe generatie curatoren een relatieve autonomie ten aanzien van de klassieke kunstinstellingen. Zij profileren zich als ‘onafhankelijke tentoon-
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stellingsmakers’. Die positie uit zich niet alleen in een organisatorische flexibiliteit, ook de traditionele museale eisen voor het maken van een tentoonstelling worden genegeerd. De onafhankelijkheid van de curator maakt het mogelijk om de vaak beklemmende banden met een vaste collectie door te knippen. Daarenboven erodeert het dogma van de chronologie en wordt het museumspecialisme overstegen door thematisch te werk te gaan. Zo kan men bijvoorbeeld hedendaagse kunstwerken samen met oude kunst en eventueel met andersoortige artefacten presenteren. De tentoonstelling wordt opgevat als een mise en scène en krijgt de allures van een Gesamtkunstwerk, dat met de signatuur van de tentoonstellingsmaker definitief wordt bezegeld. Binnen deze tentoonstellingspraktijk krijgt het medium ‘tekst’ een andere functie én een hogere status. Terwijl het monolithisch artistiek vertoog plaats ruimt voor andere invalshoeken, wordt het gestandaardiseerde voorwoord van een ondeskundige hoogwaardigheidsbekleder vervangen door een uitvoerige intentieverklaring van de curator, liefst bijgestaan door vooraanstaande critici en academici. De tekst pretendeert hier op gelijke voet te staan met het getoonde. Hoe belangrijker de teksten en hun auteurs, hoe moeilijker het wordt om de claim van de tentoonstellingsmaker te negeren. Hij slaagt er immers in om zowel de getoonde artefacten, de gepubliceerde teksten, de coöpererende instellingen, als zijn eigen discours tot een overtuigend geheel samen te smelten. De naam en faam van de curator zijn afhankelijk van zijn gave als meesterverbinder en -betekenaar, van de mate waarin hij artefacten, teksten, individuele en collectieve actoren als ondersteuning van zijn persoonlijke betekenisveld weet te schikken en te organiseren. Tegelijkertijd gaat het om een hiërarchiseringsarbeid. De geboorte van de curator ligt immers in de nauwgezette disciplinering van discursieve producten, subjecten en objecten. Hoe groter het aantal actoren in ‘zijn’ netwerk, hoe groter de ster. Hierin schuilt meteen ook de paradox van de ‘indivi-
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Je bent sinds meer dan een jaar verantwoordelijk voor het artistieke beleid van l’Etablissement d’en face. Wat is de plaats van deze vzw binnen de Brusselse context? Heb je het gevoel deel uit te maken van een netwerk? Nee, niet echt en dat vind ik jammer. Het betrekken van verschillende partners bij de dynamiek van een project bevordert namelijk haar verspreiding en promotie. Het verhoogt bovendien dikwijls de haalbaarheid ervan. Nu, het is ook een hele klus voor een initiatief als l’Etablissement om een netwerk op te starten en uit te bouwen. Mijn aanpak - en dat is een bewuste keuze - kadert niet in een continue programmatie, maar tracht telkens in te spelen op de specificiteit van de projecten en dat, helaas, met onregelmatig instromende middelen. Dit betekent dat we moeten werken met een bijzonder soepele structuur en dat onze partners al even soepel moeten zijn om gezamenlijk iets tot stand te kunnen brengen. Dit jaar loopt er bijvoorbeeld een coproductie met Argos. Ik hoop dat dit soort samenwerking met andere structuren op een minder episodische leest kan geschoeid worden. Networking staat bovenaan op mijn prioriteitenlijst. Vormt Brussel een goede voedingsbodem om netwerken uit te bouwen? Brussel is een scharnierpunt tussen twee gemeenschappen die een eigen artistiek beleid voeren. Als je met middelen werkt die je B -sites
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T e a m w o r k duele’ tentoonstellingsmaker: hoe unieker en eigenzinniger de beroepsidentiteit die hij zich aanmeet, hoe afhankelijker hij is van een collectief aan mensen, teksten en dingen, dat hij steeds opnieuw moet autoriseren. en ruim collectief draagvlak is echter geen voldoende voorwaarde voor de geboorte van een stercurator. In de eerste plaats moet hij hiervoor een professionele identiteit construeren. Verschillende sociologische theorieën - en in het bijzonder de Actor Netwerk-Theorie - liëren die constructie aan drie noodzakelijke activiteiten: imitatie, distinctie en repetitie. Imitatie of mimesis biedt de anderen een referentiekader om gedragingen te interpreteren; identificatie steunt nu eenmaal in grote mate op herkenning. Een eigenzinnige identiteit komt echter niet tot stand door louter imitatie. Binnen de imitatie moeten distincties worden aangebracht. Meestal gebeurt dit via het mechanisme van negatieve zelfdefiniëring - simpel gezegd: men definieert zijn eigen identiteit door net niet te doen wat de andere(n) doe(n)t. Opdat een distinctie (h)erkend zou worden, moet ze tenslotte binnen een bepaald tijdsbestek voldoende worden herhaald. Het is in deze repetitie dat de identiteit zijn stabiele vorm vindt. Binnen de identiteitsconstructie vormt repetitie het subtiele kruispunt tussen herkenning, gewenning en verveling. Wanneer men niet herhaalt kan men ook niet herkennen, wanneer men teveel herhaalt gaat men zich vervelen.
in de herneming van steeds dezelfde concepten in teksten. Telkens opnieuw wordt een zelfde referentiekader opgebouwd. De ontwikkelde discursieve productie ontpopt zich tot een ‘stollingsdiscours’ dat de geclaimde identiteit steeds opnieuw herbevestigt. Teksten krijgen met andere woorden de functie van rituelen die het geloof in de uitgekristalliseerde identiteit geregeld ‘herbeleven’. Hetzelfde geldt voor de verzamelde artefacten die ofwel inhoudelijk ofwel formeel op dezelfde referenties moeten teren. De omvang van de geclaimde netwerkfiguratie is met name recht evenredig met die van de repetitie. Dit houdt evenwel in dat, hoe groter het draagvlak is, hoe groter bijgevolg de kans op verveling. En dit laatste is nu net - in de nog steeds op modernistische leest geschoeide kunstwereld - het belangrijkste struikelblok. Terwijl het collectief waarop de stercurator steunt, om een voortdurende herhaling van reeds uitgezette concepten en ideeën vraagt, ter (her)bevestiging van de eigen identiteit, wordt deze noodzakelijke repetitie juist kortgesloten door de vigerende vernieuwingsethiek binnen de kunstwereld. De verregaande identificatie van concepten of artefacten met de individuele stercurator, zorgt dat het achterwege laten van die concepten of artefacten meteen resulteert in een aanslag op die tentoonstellingsauteur. Geklemd door het modernisme en de eigen gefixeerde identiteit, sterft iedere stercurator onvermijdelijk een langzame dood. De instituties waartegenover hij ooit onafhankelijkheid claimde, halen hem nu op een onverwachte manier terug binnen: de stercurator wordt zelf een museumstuk.
De constructie van de identiteit van de curator als ‘ster’, volgt een gelijkaardig patroon. Wil een tentoonstellingsauteur een collectief verzamelen dat zijn geclaimde identiteit moet (h)erkennen, dan kan hij niet zomaar in het wilde weg selecteren: keuzes moeten met een reeds gekende (historische, artistieke, of maatschappelijke) context corresponderen. Om dit collectief verder uit te breiden, is er echter voldoende herhaling nodig. Dat laatste vertaalt zich onder meer
In zijn verzet tegen een gefixeerde en verstikkende identiteit gaat de stercurator vaak een grote willekeur aan de dag leggen. Uit angst voor verstarring wordt een consistente argumentatie verlaten. Het uitgezette tentoonstellingsproject boeit niet meer omwille van haar configuratie, maar omwille van de organiserende persoon (en zijn geschiedenis). Wanneer een curator op dit punt komt, is hij pas écht een ster. Hij ontleent zijn gezag dan namelijk niet meer aan een
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worden aangereikt door de ene of de andere instantie, kies je onvermijdelijk partij voor een algemener project van socioculturele aard. Ik geloof dan ook niet dat je de totale autonomie bereikt als je een beroep doet op subsidies. In beide kampen word je immers ingeschakeld in een bepaald discours. In het Franstalige kamp wordt er bijvoorbeeld een quota aan Franstalige Belgische kunstenaars opgelegd. Ik slaag er alleen niet in genoeg kunstenaars te vinden om dat quota te behalen. Bovendien vormt het voor mij op zich ook geen selectiecriterium. Het Vlaamse kamp daarentegen kadert zijn kunstbeleid in een veel vernieuwender project. Zij trachten een meer hedendaags beeld van openheid uit te stralen. Je kan het vergelijken met wat er gebeurt bij de Catalanen in Spanje. Dat alles belet niet, hoewel ik me er terdege van bewust ben, dat ik totnogtoe geen enkele artistieke toegeving heb hoeven te doen. Om terug te komen op je vraag: Brussel vormt inderdaad een goede voedingsbodem voor networking. Het idee dat artistieke actoren bij één of meer netwerken kunnen aansluiten om zo te ontsnappen aan wat men ‘culturele achtergrond of afkomst’ noemt, - of die nu Franstalig of Vlaams is - is iets wat me geweldig aanspreekt. Het vereist wel dat die netwerken op een verstandige manier worden uitgedokterd, omdat het risico bestaat dat men enkel de huidige sectaire kringen bestendigt, hetgeen het werken in een geest van vrijheid opnieuw onmogelijk zou maken. Het is een idealistisch uitgangspunt, maar ik denk dat het opzetten van netwerken een beleidsdaad kan zijn en dat we er best op een verstandige manier gebruiken van beginnen maken. Kan je stellen dat je met je programmatie een netwerk opbouwt? Ik denk aan de discussieavonden die niet altijd in verband
T e a m w o r k interessante creatie, maar de creatie ontleent haar belang aan het aura van de tentoonstellingsmaker. Binnen deze omkering worden tekst en uitleg (in catalogi) vaak gereduceerd tot rationaliseringen achteraf. De tentoonstellingspraktijk gaat aan iedere reflexiviteit vooraf, waarop men de onvatbare willekeur via een reactionair discours vol oude concepten en categorieën tracht te duiden. Wat in de praktijk nog lijkt te leven, is in dat geval echter al lang discursief afgestorven. De tentoonstellingsauteur wordt door zijn schaduw ingehaald, door zijn eigen geschiedenis platgedrukt.
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ellicht kan een herwaardering van het belang van het medium ‘tekst’ vandaag een remedie vormen tegen de verveling die het zogenaamde ‘stollingsdiscours’ van de meeste overjaarse stercuratoren met zich meebrengt. Er valt immers te onderzoeken in welke mate een nieuwe vorm van discursiviteit zou kunnen deel uitmaken van de constructie van een tentoonstellingsproject. Vandaag werken tekst- en tentoonstellingsauteur zelden ‘samen’. Integendeel, vaak worden catalogusteksten nog steeds los van het project zelf geschreven, en dienen eerder als de finale bekroning, of zelfs als de retroactieve legitimatie van de onderneming. Het wezenlijk onderscheid tussen beide ‘auteurs’ - namelijk dat de eerste zich enkel bezighoudt met de manipulatie van letters, zinconstructies, retorische figuren, enzovoort, terwijl het werkterrein van de tweede veel uitgebreider is - wordt daarmee niet enkel in stand gehouden, maar ook voortdurend gearticuleerd. Er schuilt nochtans een inzet in het concreet combineren van beide ‘stielen’. Door voortdurend verslag te maken van zowel artistieke, academische, politieke als economische overwegingen, kan de maakbaarheid van
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het publieke ‘toonmoment’ in beeld worden gebracht. De teksten - en hun respectievelijke ‘auteurs’ - worden dan verplicht aan realiteitszin te winnen, en elke mogelijke variabele in het ‘toonmoment’ op te nemen. De vraag waarom deze of gene beslissing wordt genomen binnen een bepaalde historische context of geografische plaats, moet telkens gesteld, en beantwoord worden. Een dergelijke aanpak veronderstelt echter wel dat tekst- en tentoonstellingsauteur op gelijke voet staan. Beiden dienen vanaf het begin van de voorbereiding bij een project betrokken te worden, in een minimaal model van collectief curatorschap. Een dergelijk samenwerkingsmodel dwingt immers tot discussie, tot het vóóraf in plaats van achteraf formuleren van de mogelijke verantwoording. Het verhoogt de kans op een reflexieve ontwikkeling van een tentoonstellingsproject. Die kans neemt bovendien toe wanneer het collectief curatorschap tot een beperkte groep uitgroeit. Ik pleit hier niet voor een naïef-romantisch idee van democratische besluitvorming, maar voor meerstemmigheid die de facto meer interne weerstand genereert. Bij een collectief reflexief proces neemt de kans toe dat ideeën, selecties en beslissingen op voorhand bediscussieerd en uitgezuiverd worden. Dat zou buitenstaanders alvast kunnen sparen van de vele ondoordachte, banale en overbodige tentoonstellingsprojecten. Wanneer tekst daarenboven fundamenteel deel kan uitmaken van het hierboven beschreven beslissingproces, wordt het mogelijk om het constructiegehalte van de uiteindelijk publiek geponeerde identiteit te presenteren, én te bevragen. De teksten in tentoonstellingscatalogi krijgen binnen deze setting een bescheidener statuut. Ze voeren geen lofrede op het beslissingsproces, maar documenteren dat proces zelf: een cataloog als passage tussen een voorafgaand en een nieuw dispuut. Wil men tot deze procesmatige aanpak komen, dan zal de curator zijn sterallures moeten laten varen. J Pascal Gielen
stonden met het onderwerp van de tentoonstelling die l’Etablissement organiseerde. Discussies en lezingen vormen dikwijls het vertrekpunt voor latere samenwerkingsverbanden. Ze liggen vaak - maar niet altijd aan de basis van latere reflecties of standpunten die tenslotte het netwerk doen ontstaan. Het organiseren van discussies is een middel om een plek een bepaalde dynamiek te geven, een laboratorium te creëren voor het publiek, maar ook voor mezelf, en een band te ontwikkelen met andere kunstenaars, beheerders, schrijvers, filosofen, beleidsverantwoordelijken, noem maar op. Het feit dat ik nu bij l’Etablissement werk heb ik zelf bijvoorbeeld te danken aan een reeks ontmoetingen. In 1997 vroeg Alec de Busschère - die toen samen met Delphine Bedel artistiek directeur van l’Etablissement was - me een programma op te zetten met video’s van kunstenaars. Toen Kurt Vanbelleghem in 1998 de leiding overnam, vroeg hij me om samen met hem het beheer van de tentoonstellingsruimte op te nemen. En ik ben er gebleven. Ik vind het alleen jammer dat we niet over genoeg middelen beschikken om mensen van buitenaf aan te trekken. Die zijn duur en ik heb de pijnlijke indruk dat men niet goed beseft dat men via externe mensen de gelegenheid krijgt om de kunst van hier ook op andere plaatsen bekend te maken. Toen we het Franse Local Access naar hier hebben gehaald, werd ik bijvoorbeeld vervolgens naar Parijs uitgenodigd om er een voorstelling te verzorgen over l’Etablissement. Ondertussen zijn er al veel mensen komen spreken in l’Etablissement. Het is echter treurig dat iedereen, mezelf incluis, op een vrijwillige basis moet blijven verderwerken. Een groot aantal mensen die aan onze discussies heeft deelgenomen, blijft inderdaad het netwerk steunen; maar dan wel gratis. Moet men echt ophouden op deze manier te werken vooraleer er een reactie komt? B -sites
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De Ideologie van Teamwork - Shedhalle Zürich -
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e Rote Fabrik werd tijdens de politieke ontwikkelingen in Zürich in de jaren ‘80 opgericht als een alternatief cultureel centrum. De Shedhalle werd ontwikkeld als onderdeel van de Rote Fabrik, door een groep lokale kunstenaars die vonden dat ze ondervertegenwoordigd waren in de gevestigde kunstwereld. Latere meningsverschillen tussen de kunstenaars en de groep die het centrum bestuurde, leidde in 1986 tot de afscheiding van de Shedhalle van de Rote Fabrik. De Shedhalle stichtte zijn eigen vereniging, en plaatste kort daarna, in 1987, voor de eerste maal een openbare advertentie voor de aanwerving van een curator en een manager. Tijdens de daaropvolgende jaren namen Harm Lux als curator en Barbara Mosca als administratief manager de taak op zich om van de Shedhalle een belangrijke plaats voor artistieke activiteiten te maken. Het programmaconcept van de Shedhalle werd begin 1994 grondig herzien; tijdens het Lux/Mosca-tijdperk benaderde de instelling de kunst en de tentoonstellingsactiviteiten op een eerder traditionele wijze naar vorm en inhoud. Men wilde zich niet langer op de kunstmarkt oriënteren, maar het programma openstellen voor de eerder onconventionele vormen van kunstverspreiding en voor de interdisciplinaire samenwerking met verschillende sociale en wetenschappelijke organisaties. Daartoe werden mensen met een interdisciplinaire achtergrond in kunst, politiek en communicatie aangesproken. De basisfilosofie achter deze vernieuwing baseerde zich op het gelijkheidsprincipe, en bestond uit het creëren van een open en communicatieve werkorganisatie. Daartoe werden twee verschillende benaderingen, op een verschillend niveau gedefinieerd.
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de radicaal-democratische organisatiestructuur
benadering
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e basisgedachte achter de vernieuwing steunde op de overtuiging dat kunst en de sociale en economische relaties die ontstaan binnen een kunstinstelling, deel uitmaken van een sociale realiteit. Vermits de kunst meestal wordt beschouwd als een geheel aan autonome producten, wordt dit feit meermaals over het hoofd gezien. Om de kunst aldus op een andere manier publiek te maken, dient de Shedhalle niet enkel haar producten, maar ook haar creatieve werk- en uitwisselingsprocessen te tonen. Dit houdt in dat de confrontatie tussen de politieke randvoorwaarden en de gegeven factoren van kunstproductie en -perceptie in de Shedhalle worden beschouwd als een integraal onderdeel van haar activiteiten. Daartoe dient het gebruikelijke kunstconcept in vraag gesteld te worden. Waarom en wanneer kan een persoon worden omschreven als een kunstenaar, en wanneer een product als en kunstwerk? Wat bepaalt de ‘waarde’ van een kunstwerk? Wat bepaalt de ‘waarde’ van kunst als ze niet tot een product leidt? Deze benadering vindt haar bevestiging in de manier waarop veel hedendaagse kunstenaars een gelijkaardige analyse van structurele (niet) kracht in hun praktijk integreren. Ze stellen voortdurend hun eigen manier van werken in vraag, en eisen dan ook meer dan een oppervlakkig en formeel antwoord, maar een koerswijziging op symbolisch niveau.
de interdisciplinaire benadering van de onderwerpen
Kan een netwerk nuttig zijn voor zaken zoals dienstverlening, uitwisseling van expertise? Op dit ogenblik niet, nee, maar het zou interessant zijn om eens bij die vraag stil te staan. Het zou een goede zaak zijn, mocht een nieuw kunst- en onderzoekscentrum bijvoorbeeld de taak van dienstverlening of expertise opnemen in haar beleidsverklaring. Neem nu de archieven die worden bijgehouden over alle evenementen die in l’Etablissement hebben plaatsgevonden. Die kunnen bij gebrek aan middelen en personeel, niet worden behandeld noch geactualiseerd, laat staan, wat nog erger is, openbaar gemaakt. Er ligt hier momenteel een onaangeroerde berg materiaal waaruit een buitengewoon interessant archief zou kunnen ontstaan, of zelfs een publicatie. Bij gebrek aan tastbaar bewijs durft men wel eens vergeten dat tal van kunstenaars hun eerste tentoonstelling bij ons hebben gehouden. De geschiedenis wordt slecht bijgehouden. Ik zou het zeker interessant vinden dat de denkpiste van dienstverlening en uitwisseling uitgewerkt wordt en dat een kunstencentrum of een andere structuur dit soort initiatieven zou behartigen. Wat is de houding van Brussel ten opzichte van uitwisseling, in welke staat bevinden zich de Brusselse netwerken? Het is eerder de rijkdom aan de mensen, dan die aan de netwerken, die Brussel zo fascinerend maakt. Daarmee wil ik me absoluut niet aansluiten bij de stelling dat het net omwille van de moeilijke situatie en het gebrek aan middelen is dat de kunstenaars zo uitzonderlijk creatief zijn en zich weten redden met een aalmoes. Het Brusselse artistieke milieu zou niet minder dynamisch of boeiend zijn mocht het over meer financiële ademruimte beschikken. Het échte netwerk zit in Brussel ongetwijfeld in het grote aantal interessante mensen dat hier woont en werkt. Brussel bezit in mijn ogen een reële artistieke waarde die ik elders nog
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unst wordt beschouwd als een proces dat zich op een collectieve manier binnen een groep van mensen voltrekt. Er wordt fundamenteel aandacht besteed aan uitwisseling en confrontatie. De projectconcepten worden uitgewerkt in samenwerking tussen kunstenaars en culturele professionals. Op deze manier wordt het mogelijk om de heersende rolmodellen van curator, kunstenaar of culturele professional te doorbreken. De projecten worden steeds geproduceerd in samenwerking met mensen die een verschillende achtergrond hebben en niet enkel uit de besloten context van de kunst komen. Hoewel ze actief zijn in verschillende domeinen, delen ze doorgaans een interesse voor dezelfde onderwerpen, waaromtrent ze samenwerken. De onderwerpen variëren van feministische theorie, genderstudies, technologiekritiek, stedenbouw, architectuur, migratie, economie, tot post-kolonialisme. Sedert 1994 hebben theoretici, kunstenaars, studenten, politieke activisten en curators in verscheidene configuraties projecten uitgewerkt. Via het gebruik van verschillende media en representatiestrategieën is er gepoogd om op een nieuwe manier tentoonstellingen, discussies en producties te ontwikkelen. De meeste projecten behandelden vraagstellingen en problemen van politieke en sociale aard, met de bedoeling artistieke praktijken uit te breiden tot een interdisciplinaire dialoog tussen culturele, esthetische en politieke praktijken. De kritische dialoog vormde steeds een centraal thema. De normen van de culture productie, de rol van de producenten en de functie van de instelling werden daarbij doorgelicht. In deze zin functioneerde de Shedhalle niet enkel als een tentoonstellingsruimte, maar ook als een ‘productiestudio’. Het project 8 Wochen Klausur (8 weken van afzondering) is een goed voorbeeld van dit soort werk: een
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groep van zeven mensen gebruikten de Shedhalle als hun werkbasis en kwamen aan de hand van twee projecten tussen in het drugsbeleid van Zürich. Eén van de gevolgen was de oprichting van de ZORA-vereniging, een vereniging die zorgde voor slaapgelegenheid, gemeenschapsruimten en een adviesraad voor vrouwelijke drugsverslaafden. Tot vandaag is dit de enige instelling in haar soort in Zürich waar vrouwen ‘s nachts terechtkunnen.
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e Shedhalle heeft een raad van bestuur van negen leden. Deze raad stelt de curators en de manager aan voor een periode van twee tot drie jaar. Het Shedhalle-team bestaat uit vier tot vijf personen die halftijds werken. Alle teamleden hebben hetzelfde statuut, en dragen dezelfde verantwoordelijkheid. Op die manier wordt gepoogd het fenomeen van de stercurator te vermijden. De curators en de managers hebben een contract, waarin de specifieke onderdelen van hun takenpakket worden omschreven. De curators zijn verantwoordelijk voor het artistieke beleid, de thematische uitwerking, de keuze van de kunstenaars, en de uitwerking van de tentoonstellingen en andere producties. De verschillende artistieke standpunten van de twee (of vroeger drie) curators zorgen voor de noodzakelijke diversiteit. Het management staat in voor de continuïteit van het beleid en is verantwoordelijk voor het administratief en organisatorisch werk. Voor projecten werken ze in overleg met de curators en de financiële afdeling, voor de coördinatie van de publiciteit in overleg met de curators en de raad van bestuur. In welke mate de teamleden daarnaast samenwerken, wordt aan henzelf overgelaten. Het team kan bijvoorbeeld samen de artistieke programmering doen of zich strikt houden aan de scheiding van de bevoegdheden.
niet heb gezien. Daarom verkies ik ook hier te blijven. Het is algemeen bekend dat de Brusselse, en meer algemeen, de Belgische dynamiek steeds gedragen is door individuele initiatieven: galeries, private verzamelaars of het verenigingsleven. Bij gebrek aan machtige instellingen heeft het verenigingsleven die taak toebedeeld gekregen. Daarvoor heeft het echter nooit voldoende middelen gekregen, waardoor het steeds gedwongen was een deel van haar potentieel onbenut te laten. Het budget dat in 2000 is uitgetrokken voor l’Etablissement d’en face (en het gaat hier om het hoogste bedrag dat ons in negen en een half jaar is toegekend) bedraagt 1,2 miljoen Belgische frank en wordt integraal besteed aan producties die voor het overige op vrijwillige basis worden gerealiseerd. Het is nu eenmaal onmogelijk om van die som een arbeidsplaats te betalen, al was het maar voor een halftijdse betrekking. Enige tijd geleden woonde ik een debat bij over Europese subsidies in het kader van Brussel 2000. Ook daar heb ik moeten vaststellen dat l’Etablissement, net zoals elke andere Brusselse vereniging, zelfs geen aanspraak kan maken op dat type steun, omdat die slechts mogelijk wordt als het globale budget van een project of een programmatie ettelijke miljoenen bedraagt. En daar staan we nog ver vanaf. Hoe wil je Europa aanspreken als je zelfs de garantie niet kan bieden dat je op nationaal of communautair vlak een bepaald percentage van het globale budget kan binnenhalen? Hoe wil je ingaan op verzoeken van potentiële partners, terwijl l’Etablissement d’en face - dat nu al tien jaar bestaat - zich nog steeds in een financieel kwetsbare situatie bevindt en daarom geen activiteiten kan plannen op lange termijn? Hoe zie je, idealiter, l’Etablissement d’en face zich ontwikkelen? Ik ervaar de muren van l’ Etablissement steeds meer als een beperking. Dat komt niet alleen door de financiële beslommeringen B -sites
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T e a m w o r k De laatste jaren werd de focus gelegd op thematische tentoonstellingen en niet zozeer op interdisciplinaire thema’s. Dit heeft als gevolg de Shedhalle op dit ogenblik niet onmiddellijk functioneert als een productiestudio. Ideologische vraagstukken met betrekking tot racisme of feminisme worden momenteel niet door het team behandeld. Daarom zal de samenstelling van het team volgend jaar opnieuw gewijzigd worden, en de formule van het teamwerk aangepast. Het wordt opportuun bevonden dat het management de verantwoordelijkheid voor de organisatie op zich neemt, vermits het gewoonlijk voor vijf of zes jaar aanblijft.
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n de jaren ‘90 is de culturele context in het algemeen aanzienlijk gewijzigd. De laatste jaren zijn diverse onafhankelijke projecten ontstaan uit wat oorspronkelijk een kloof was tussen de alternatieve en de gevestigde culturele sector. De jarenlange afhankelijkheid van bemiddelende instellingen, die zich inzetten voor niet-gevestigde initiatieven, onderging een drastische omwenteling. De crossover tussen kunst, grafische kunst, design, mode en muziek is intussen een nieuw segment van de huidige amusementscultuur. Sinds de kunstwereld zich heeft opengesteld voor commercieel gebruik, is de overgang tussen cultuur, ontspanning en de zakenwereld vlot verlopen. De Shedhalle heeft zich op deze ontwikkeling toegelegd, en zichzelf een voortdurende herpositionering opgelegd. Dit houdt in dat de interdisciplinaire benadering en het radicaaldemocratische beleid telkens opnieuw worden bevraagd, en indien nodig, gewijzigd en radicaal geherstructureerd. De Shedhalle is een plaats waar de theorie van de praktijk wordt afgeleid en waar de praktijk niet voortkomt uit de academische theorie. J
maar voornamelijk door de kunstenaars waar ik verkies om mee te werken. In hun ogen vinden de muren van een tentoonstelling - of meerbepaald van de klassieke tentoonstellingsruimte - niet onmiddellijk nog aansluiting bij de actualiteit. Ik zou dan ook liever de plek herdefiniëren als een projectbureau dat kunstenaars voor ieder project de gepaste formule aanbiedt. Op die manier fungeert de naam l’Etablissement als een label, waarmee ik bepaalde initiatieven kan ondernemen die gebruik maken van een uitgave, een opname, een publieke ruimte of een tentoonstellingszaal, zonder dat deze laatste het zwaartepunt wordt. De ruimtes hier zouden verder benut kunnen worden voor het organiseren van discussies, lezingen of workshops. Op die manier vormt zich hier het zenuwcentrum dat, als een bureau, kan inspelen op die artistieke ondernemingen die zich meer en meer ‘elders’ afspelen. J
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‘Recherche’: de l’Art en tant que F o r m e d e C o n n a i s s a n c e [*]
[*] Texte revisé d’une conférence donnée le 17 mai 2000 au Centre Bruxelles/Brussel 2000, à l’invitation de l’a.s.b.l. Association pour un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles. Ont pris part au débat qui a suivi: Xavier Douroux, Herman Parret, Daniel Van der Gucht et Wouter Davidts (modérateur).
I. La question de savoir comment l’art et la connaissance sont corrélés l’un à l’autre, voire dans quel sens l’art doit être considéré comme une discipline de connaissance, relève de la place et de la signification de l’art. Il importe, en effet, de savoir si l’art est considéré comme une des nombreuses pratiques conférant une ‘plus-value’ à la vie ou touchant aux valeurs existentielles, et si l’art peut ainsi être compté parmi la culture au sens large du terme, ou être considéré comme une forme de recherche et de connaissance. En effet, une distraction enrichissante et de haut niveau doit être institutionnalisée autrement; elle requiert une politique et une gestion différente, elle implique des ‘normes de qualités’ différentes et un autre rapport avec la société ou avec son public qu’une forme de connaissance. L’art et les artistes ont facilement le terme ‘étude’ aux lèvres et on leur demande même de troquer l’atelier et le musée pour un ‘laboratoire’. Mais l’art est-il essentiellement et dans un premier temps, quelquefois ou toujours, une forme de recherche? En d’autres termes, l’art est-il une façon d’apprendre et même un moyen de comprendre quelque chose?
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ès la Renaissance, l’art et la science ont acquis en même temps une certaine indépendance, plus ou moins dans les mêmes circonstances historiques. La science s’est détachée peu à peu des significations et des visions collectives ou partagées du monde, puis de l’autorité religieuse ou séculière qui continuait de régir la pensée et l’acquisition des connaissances. Chacun connaît les apogées héroïques du long combat mené pour une acquisition de connaissances et d’une science indépendantes et objectives. De son côté, l’art s’est détaché progressivement des règles et des exemples de l’artisanat, du consensus social quant à ce qui est beau et approprié, et, enfin, de la mission qui consiste à exhiber et à servir le pouvoir (séculier et religieux). Ainsi, l’art et la science sont reconnus comme étant des activités spécifiques très particulières avec un agenda, des objectifs et des critères propres. La science et les arts ont obtenu des régimes politiques civils la reconnaissance définitive et officielle de leur autonomie. Ils obtiennent au 19ème siècle leurs propres institutions et même leur propre ‘histoire’ - parallèlement à l’histoire politique et militaire. Ils ont actuellement une place réservée dans la société et au sein de l’état. La science et l’art sont officiellement libres. Dans cette double autonomie, il s’agit bien plus qu’un développement parallèle ou simultané. En effet, l’art s’est mal émancipé et n’a acquis sa position et sa dignité qu’en s’unissant à la ‘connaissance’. L’art s’est assuré un pouvoir et une autonomie en revendiquant la connaissance et en se présentant comme une science analogue. L’artiste n’est pas un artisan. Le fait de bien coiffer ou de bien peindre, la maîtrise des techniques ou de l’art de l’imitation ne relèvent pas encore de l’art proprement dit. L’art prétend être bien plus qu’une habileté, un savoir-faire particulier ou encore une perfection technique. Mais en quoi consiste donc ce ‘plus’? On peut considérer l’art comme une forme complexe
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et particulière de la communication et y attacher davantage d’importance parce que la communication est importante. La spécificité de l’art est liée au moyen - des images principalement -, à l’habitude de communiquer dans un style quelque peu châtié ou compliqué, et à l’importance du sujet de conversation. Force est de constater que la conversation sociale est structurée et divisée socialement: on communique de manière châtiée ou modeste, élitaire ou populaire, on parle de façon raffinée ou amusante, érudite ou argotique, vulgaire ou banale, etc. Il existe des artistes de toute espèce et il y a des genres artistiques élevés et médiocres, mais il est un fait que les grands artistes et connaisseurs en matière d’œuvres d’art se distinguent de manière artificielle par leur érudition et leur culture, et ce depuis la Renaissance. L’artiste est bien plus qu’un artisan ou même différent de celui-ci, il est un intellectuel et même un penseur. Lorsqu’on situe l’enjeu de l’art dans la communication, son aspect traditionnellement ‘complexe’ ou ‘élevé’ devient, de nos jours, problématique d’un point de vue politico-culturel. Des questions sont d’emblée soulevées au niveau de la compréhensibilité ou du caractère hermétique de l’art, des mécanismes implicites de la hiérarchisation et de l’exclusion, de l’accessibilité et de l’importance sociale, etc. Même si la question de savoir si l’art peut être ‘facile’ ou communicatif reste sans réponse, il est un fait que la conversation érudite ou de haut niveau, ou la communication complexe ne sont cependant pas une forme de connaissance ou de science. Un intellectuel n’est pas nécessairement un scientifique. Depuis la Renaissance, l’art s’est compris de manière explicite et s’est représenté comme une forme de recherche et comme une discipline cognitive, presque comme une science à côté des sciences. Dans l’immense projet de la compréhension de la réalité et de la division territoriale de l’acquisition des connaissances, l’art revendique son propre domaine, ses propres moyens de connaissance et ses méthodes, il apporte ses propres notions qui sont complémentaires ou qui
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Lors de l’exposition Laboratorium à Anvers, vous avez présenté l’expérience Talking Heads. Où situez-vous la signification de la présence de ce projet scientifique dans un tel contexte artistique? Personnellement, j’ai toujours essayé de relier le monde artistique et le monde scientifique car, pour moi, la science est également une activité culturelle. Tel était certainement le cas au 16ème et au 17ème siècle, mais aujourd’hui tout cela a disparu. La science se meut entièrement dans le domaine de l’utile et de l’économique, de sorte que sa dimension culturelle s’en trouve généralement oubliée. Les artistes et les scientifiques ont d’une certaine manière des affinités d’esprit: tous les deux examinent des aspects fondamentaux. Un jour j’ai fait une exposition sur le coloris au MuHKA à Anvers et, ensuite, au Kunstverein à Aix-la-Chapelle. Mon étude présentait de nombreux points communs avec l’œuvre de certains artistes. En considérant les deux pratiques comme une ‘étude’, on parvient à faire abstraction de la distinction entre l’art et la science, ce qui permet d’aboutir à un dialogue et à une confrontation. Par ailleurs, j’ai toujours été fasciné par les rapports personnels liant l’artiste à son œuvre. Lorsqu’un scientifique donne une conférence, il se limite à parler de son œuvre et il ne sonne mot de son développement personnel. Lorsqu’un scientifique se meut dans un contexte artistique, il a l’occasion de situer son étude dans un angle personnel. Un artiste qui se verrait dans un monde scientifique pourrait vivre le contraire: il serait contraint de parler de son œuvre en tant que projet d’étude, c’est-à-dire comme quelque chose qui est détachée de sa personne. B -sites
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R e c h e r c h e se veulent au moins équivalentes à celles des sciences. Selon une ancienne tradition, l’art connaît la beauté, selon une autre plus récente il connaît la vie.
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n peut fonder la spécificité de l’art en tant que discipline cognitive sur la caractéristique de son objet. L’objet cognitif de l’art réside dans ‘l’apparition’: le moment auquel les choses existantes, qui peuvent être comprises de manière conceptuelle par la pensée et la science, deviennent visibles de surcroît. Les choses apparaissent, elles se manifestent en un endroit spécifique et à un moment précis, dans un espace et dans la lumière, avec la couleur, dans des constellations imprévisibles, trop nombreuses pour être retenues ou comprises. Ce moment précis où les choses deviennent visibles, où leur existence devient évidente, ce moment ne peut être cerné sous une notion déterminée ou conceptualisée. C’est dans une tradition prébaroque et classique que ce moment d’apparition est ontologique ou qu’il n’est pas un phénomène secondaire dans la hiérarchie ontologique, mais un moment essentiel: il s’agit du moment où - potentiellement du moins - l’essence et la vérité des choses peuvent devenir ‘événement’ ou ‘beauté’. La visibilité est la splendor veritatis, le rayonnement de la vérité et, en même temps, la possibilité que cette vérité se perde en faux-semblant. Dans cette conception de la vérité qui charge l’ontologie grecque d’une croyance génésiaque chrétienne, la science et l’art se partagent le travail: la science connaît la vérité et l’art connaît ou saisit cette sphère ontologique particulière dans laquelle les choses deviennent ‘manifestes’. L’art connaît ainsi l’aspect extérieur ou la peau de la vérité. La théorie de l’art et l’histoire de l’art distinguent traditionnellement deux manières de connaître la beauté et fondent cette distinction sur une fracture épistémologique. L’art ‘septentrional’ exerce l’art de la description (the art of describing): elle connaît la création
par son sens de l’observation et de l’inscription, sur la base d’une observation dénuée de pensée, mais très attentive et précise. Les peintres néerlandais et flamands, par exemple, ou - de manière plus générale les nombreux artistes de genres dits inférieurs et non narratifs, comme les natures mortes ou les paysages, n’ont pas de tendances intellectuelles. Mais la manière dont ils observent de façon presque microscopique et précise, et dont ils notent les réflexions de la lumière, témoigne d’une attention et d’une maîtrise quasi scientifiques. Hormis ces ‘empiristes’ de l’art, il y a les ‘rationalistes’: la tradition italienne idéalisante reconnaît la beauté non pas en la décrivant, mais en la reconstituant à partir de principes. Lorsqu’on parvient sciemment et de manière précise à déduire la visibilité de ses principes, à l’aide des mathématiques et de l’optique, de la théorie de la perspective et des ombres, etc., l’art devient véritablement connaissance. Quiconque parvient, à partir de notions et de principes, à reconstituer la visibilité artificiellement et à imiter ainsi la visibilité, se rapporte à la visibilité ou à la beauté comme Dieu se rapporte au monde. L’artiste est créateur: il conçoit ou crée la beauté. C’est ainsi que les deux grandes tendances dans la peinture sont conceptualisées à l’aide de contrastes régissant également l’histoire scientifique et l’épistémologie. De nombreuses formes artistiques modernes et certaines contemporaines se concentrent également sur la visibilité ou la présence instantanée des choses, et peuvent donc être considérées comme une forme d’étude ou de recherche de ce surplus non scientifique, ne pouvant pas être objectivé, qui revient au monde et aux choses au moment où elles apparaissent. Les sciences réunies ont, en effet, peu de choses à dire au sujet de cette écorce ou de l’épiderme du monde. Les sciences naturelles en disent peu sur la manière dont le Mont Saint-Victoire existe vraiment. Et ce n’est pas par hasard que Cézanne peint de belles vues, car il observe et travaille avec la patience et la maîtrise d’un scientifique; il étudie pendant des
Enfin, j’ai toujours été passionné d’examiner en quelle mesure une expérience scientifique est interprété comme art et de voir le scientifique devenir tout à coup un artiste. Un tel alignement ne repose-t-il pas souvent sur une formalisation de la notion de recherche que traduit par exemple déjà le titre de Laboratorium? Ne s’expose-t-on pas au risque que la science ne prenne une image artistique et que, simultanément, l’art prétende à une forme de pseudo-scientificité? Même si les artistes et les scientifiques se livrent tous deux à une ‘étude’, il n’en subsiste pas moins que la manière dont ils s’y prennent est radicalement différente, non? La différence ne réside pas tant dans la manière de faire l’étude, mais plutôt dans la présentation du résultat. Le scientifique est tout aussi intuitif et créatif dans son travail que l’artiste, mais il donne une autre expression à son travail, notamment la forme d’un article. Avant d’être publié, un article doit traverser tout un processus de révision, au cours duquel il est ‘purgé’ de toute subjectivité. Il faut en premier lieu qu’il soit révisé de manière anonyme et il doit être rédigé de telle façon qu’un autre auteur puisse recommencer la même expérience. L’artiste est également confronté à un processus d’étude, mais ne se voit pas obligé par après de donner à son œuvre une ‘explication objective’. Dans son cas il n’est pas nécessaire qu’un autre artiste soit à même de refaire la même œuvre. L’œuvre est réalisée et c’est l’expérience de cette œuvre qui compte. Le processus d’étude est moins important que la présentation du résultat. Dans le contexte d’une exposition, je ne prétends d’ailleurs jamais fonctionner comme un artiste.
R e c h e r c h e années la manière dont le Mont Saint-Victoire existe et apparaît. Il n’existe aujourd’hui aucune science qui réalise, qui puisse ou veuille réaliser ce que Cézanne a réalisé. En même temps, peu de personnes accepteront l’hypothèse pré-moderne que la beauté ou la manière dont la réalité devient visible aux yeux de l’homo sapiens sapiens, est ontologiquement vraie. ‘L’apparition’ du monde ou la visibilité est subjectivée et s’est détachée de la ‘véritable nature des choses’. C’est précisément parce que l’essence et l’apparition sont détachées l’une de l’autre et parce que la peau s’est détachée de la réalité qu’il n’est plus clair ce que l’on peut cerner ou vraiment connaître au sujet de ce Mont Saint-Victoire, ou comment la beauté pourrait être réelle. Qu’est-ce que Cézanne a appris à travers la peinture? Que peut-on au fond apprendre en peignant ou en sculptant? Il existe de nombreux artistes, célèbres et inconnus, d’autrefois avant et même de nos jours, qui prétendent tout ‘étudier’, la lumière, l’espace, le rythme, la matière, etc., mais n’est-il pas étrange et suspect que, tout compte fait, peu de choses aient été trouvées ou découvertes? Il ne semble cependant pas facile de renoncer vraiment à la revendication de la vérité. Elle revient toujours cachée et déguisée. Dans de nombreuses études artistiques, il ne s’agira pas ou plus de chercher à savoir quelque chose: il s’agirait plus de l’expérience dégagée par l’étude, pendant celle-ci ou par le travail. Cette expérience semble souvent être une variante de l’expérience ‘sublime’ d’une présence silencieuse, de ‘la rencontre sublime d’une matière non préparée’ (Lyotard), d’une ‘matérialité’ qui ne peut être nommée et qui est même dépourvue de fondement. L’étude artistique en tant que production ou évocation d’une beauté sans vérité et donc terrible, comme ‘toucher à cru la matière du temps et de l’espace’. Lorsque la revendication de la connaissance se déplace du contenu cognitif à l’expérience, ceci débouche rapidement le développement de nouvelles et lourdes revendications cognitives. Le sublime ou le balancement sur la limite de la con-
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naissance, ou la fissure ou la brèche de l’inimaginable, ne sont-ils pas après tout et encore ‘révélateurs’ et ‘vrais’ en un certain sens? On ne se défait pas si rapidement de l’idée que la beauté n’est pas un simple bien pouvant être goûté ou apprécié, mais une question importante et délicate nécessitant une étude. La science a peu de choses à dire au sujet de cette visibilité et de cette beauté, alors qu’on ne peut difficilement persister à dire que rien ne se passe et qu’il n’y a rien à comprendre.
III.
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epuis le 19ème siècle domine une conception de l’art concurrente qui, située dans une théorie globale de la connaissance et de la science, impute à l’art un savoir. Cette conception romantique et néo-Kantienne fonde la capacité de connaissance de l’art sur une faculté cognitive spécifique, propre à connaître un domaine de réalité particulier. La réalité se scinde en deux domaines tout à fait différents: d’une part la ‘nature’ et, d’autre part, la ‘vie’. Cette fracture ontologique justifie une fracture épistémologique: la nature et la vie doivent être approchées et connues par différentes sciences, avec différentes méthodes, par le biais de différentes facultés cognitives. La nature sans vie n’est que pure ‘surface’, elle est connue et expliquée par les sciences naturelles. La nature est, par définition, partout la même ou générale, les sciences naturelles étudient et connaissent les régularités et les récursivités de la nature, et peuvent ainsi ‘expliquer’ les phénomènes de manière générale. En revanche, la vie - culminant dans l’être humain et l’individu unique - se manifeste comme un ‘intérieur’ ou comme ‘esprit’. La vie vit de l’intérieur vers l’extérieur, elle est ‘expressive’ et donc unique, non sujette à répétition. Les sciences humaines comprennent la vie en réitérant l’expression unique de la vie à contre-courant: la notion scientifico-morale Verstehen (comprendre) va de l’extérieur à l’intérieur au moyen de Einfühlung ou re-enactment, et connaît ‘intuitivement’ l’individuel
Mais, quel est alors l’intérêt, pour l’art comme pour la science, de rester proches l’un de l’autre? Le fait que la science soit toujours présentée de manière pure et objective engendre un clivage entre le public et elle-même. Les gens n’ont pas accès à ce qui se passe et ne peuvent donc nullement y exercer une quelconque influence. A cet égard, l’art peut en apprendre à la science. Les artistes et les critiques d’art ont créé un vaste contexte en matière de perception, d’archivage, de délimitation et de présentation. Un tel contexte est quasi inexistant dans la science. Rien qu’en matière d’archivage - tout à fait inexistant en Flandre - il y a un énorme besoin d’une infrastructure similaire. En outre, la science contemporaine n’a pas, sinon très peu de lieux où elle peut se présenter à un public. Au fond, vous faites allusion à la nécessité pour la science d’une sorte de plate-forme publique. Mais pourquoi cela va-t-il nécessairement de pair avec la plate-forme artistique? Parce qu’il règne une atmosphère intense de curiosité dans de nombreuses expositions d’art. Les gens viennent voir ‘quel est l’objet de l’art du moment’. Mais, la plupart des expositions montrent uniquement des résultats, c’est-à-dire des objets d’art achevés. Comment alors intégrer dans le contexte d’une exposition l’expérience, qui est une action en soi? Cette intégration n’entraîne-t-elle pas d’emblée que l’expérience se trouve privée de son authenticité dès qu’elle est montrée? Ne devient-elle alors pas plutôt une performance qu’une véritable expérience? Suite p. 52 NN B -sites
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R e c h e r c h e unique. Les sciences naturelles, par contre, ont des connaissances rationnelles, extrinsèques et généralisantes. Cette fracture gnoséologique de facultés et de champs cognitifs a servi de cadre à de nombreuses conceptions artistiques romantico-modernes qui demeurent actives de nos jours. Jusqu’à présent, on affirme et répète que l’art est proche de la vie et qu’il offre aux gens la possibilité de s’en approcher davantage. L’art est ainsi cerné comme une sorte de ‘science humaine’ pré-scientifique. A l’opposé de la faible compréhension de l’interprétation et de la critique, qui vient après l’œuvre, se trouve la forte compréhension qui est à la base de l’œuvre et qui la précède. Les oppositions rhétoriques sont connues: le rapport entre l’art et l’interprétation équivaut à celui prévalant entre le chaud et le froid, la vie et la mort, le primaire et le superflu. Dans le cadre de cette conception cognitive et scientifique, l’art détient un statut distinct et particulier: l’art est le premier objet cognitif privilégié des sciences humaines. Quiconque veut comprendre l’homme doit comprendre son art, parce que l’art même exprime la vie ou l’esprit, et connaît donc la vie ‘de l’intérieur’ et concentre la compréhension. La Verstehen qui vient après l’art, tente simplement d’exprimer ou d’expliciter ce que l’art (les artistes) a déjà formulé et ‘profondément’ compris auparavant et de manière ‘plus proche de la vie’. Le musée est l’institution artistique qui objective cette conception de l’art. L’exposition n’est pas seulement le moment où l’art est sorti du domaine privé vers le domaine public. L’exposition est également le moment où l’œuvre d’art est transformée en objet cognitif. Le musée divise deux ‘zones épistémologiques’ et les réunit en même temps. L’exposition est précédée de la création intuitive, radicalement subjective et individualisée, la compréhension et la création remplies d’émotions forment un seul élément. L’exposition d’une œuvre réalisée engendre une interprétation discursive, intersubjective ou sociale de l’œuvre d’art. Cette deuxième
compréhension n’a qu’un rapport cossu avec la vie et ne peut que penser ou prononcer partiellement la compréhension énigmatique renfermée dans l’art.
IV.
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ant les évolutions dans la pensée sur la rationalité et la connaissance que les développements dans l’art nous obligent à redéfinir le potentiel cognitif de l’art. A cet égard, l’effritement des évidences des Geisteswissenschaften et la progression des Kulturwissenschaften sont importants. Ce glissement terminologique et académico-institutionnel couvre un glissement conceptuel important: une notion culturelle ancienne et ‘élitaire’, dans laquelle la culture et l’art représentent les expressions réunies de la force créatrice humaine, est peu à peu remplacée par une notion plutôt anthropologique dans laquelle la culture représente l’ensemble de significations avec lesquelles une société crée ‘l’identité’ et les visions du monde. La fonction et l’importance des pratiques cognitives, comme la science et éventuellement l’art, doivent être revues dans ce contexte. Pour devenir quelqu’un et ne pas se sentir tout à fait perdus, les gens ont apparemment besoin de ‘significations’ qui sont plus ou moins claires et fixes et auxquelles ils peuvent s’identifier plus ou moins. La culture constitue alors l’ensemble des ‘signifiés’ (ou de signes, représentations, symboles, etc.) avec lesquels une société vit. La culture est donc importante, et chaque société protège sa ‘culture’ et règle la manière dont on peut l’approcher. C’est dans des sociétés traditionnelles en particulier que la transmission, la représentation, l’entérinement et le contrôle des significations et des signes sont la première pratique sociale la plus essentielle - plus importante que l’économie, le pouvoir ou l’argent. Ce qui est spécifique de l’histoire de la culture occidentale, c’est que la société a pris le risque (limité) d’isoler des zones comme l’art et la science, où elle s’est livrée - modérément, au sein
R e c h e r c h e des institutions, avec contrôle ‘affinitaire’, en restant près du pouvoir, etc. - à l’expérience individualisée et relativement libre d’une ‘étude’ des significations. Ce que le 19ème siècle a collectioné comme ‘art’ et moments historiques de l’esprit créateur humain a toujours été de la ‘culture’ dans le sens anthropologique du terme: un travail des ‘représentations’; la transformation et la variation d’images et de significations. La production de signification artistique et individualisée est restée longtemps une pratique protégée et relativement exceptionnelle dans une société qui, globalement parlant, a été portée par la tradition. De nos jours, de nombreuses significations ont connu rapidement un glissement. Que signifient pour nous le temps ou le corps, la virilité ou la féminité, les déchets et la beauté, l’intimité et l’argent, la pierre et le ciel, la rue et le paysage, la couleur de peau, les machines, etc.? Qui crée, qui gère, qui produit les ‘significations’ et les représentations? La ‘tradition’ ralentit et ne se conserve plus si bien, ce qui entraîne son lot de conservatisme et d’intégrisme. Une grande partie de la production de significations est commercialisée: la publicité montre ce que peuvent signifier le corps, le
temps, le plaisir et le travail. Les institutions qui gèrent traditionnellement le Savoir, comme les institutions académiques, réagissent généralement très lentement et continuent de travailler dans les sciences ‘humaines’ avec des cartes géographiques et des délimitations de territoires du 19ème siècle. Dans ces circonstances et ce contexte, l’art s’est développé pour devenir un des rares domaines où l’on travaille, entre autres, sur la signification et la représentation, de manière relativement intensive, avec un sens de l’urgence, et de manière plus ou moins libre ou autonome. Telle semble la raison principale - ou peut-être même la seule raison aujourd’hui - d’attribuer à l’art une (grande) importance sociale, cette dernière devant être considérée séparément de l’éventuelle qualité artistique de travaux ou d’œuvres: l’art médiocre peut également faire du travail. L’importance sociale et culturelle de l’art ne peut (plus) être mesurée au degré de la ‘participation’ publique, mais au sérieux et à la qualité du travail artistique et du traitement critique et de réflexion. J Bart Verschaffel
Là, Avant et Après, et partout à l’Etat Gazeux Il m’est plus facile de tenter de définir un centre d’art à partir de ce que je ne peux accepter que ce soit, que de penser son devenir en fonction d’attentes extérieures (aussi réelles soit-elles). Imaginer un centre d’art comme un outil qui, même avec les meilleures intentions du monde - comme le souhaitent très généralement les ‘tutelles’ politiques - servirait
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en priorité le développement culturel, voire faciliterait l’insertion sociale, n’est pas dans mes intentions. Aujourd’hui comme hier, le principal postulat devant régir notre action n’est-il pas que l’œuvre témoigne de l’inexistence de la ‘question culturelle’ en tant que telle, et ce par et grâce à sa relation transitive directe avec l’homme percevant?
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e centre d’art pourra alors être un centre de prérecherche. Mais, par voie de conséquence, son rendu social indispensable sera celui d’un centre de postproduction. Le choix d’un tel vocabulaire est délibéré et procède d’une double réflexion. Je souhaite d’une part souligner qu’il serait vain de tenter une modélisation de ce pourquoi le Consortium est actuellement un tant soit peu reconnu - à savoir comme lieu d’expérimentation (le concept flatteur de laboratoire de recherches) au service des artistes (l’image positive d’un centre de production). D’autre part, je prétends qu’il est impossible de saisir les plus récents changements ontologiques qui se sont opérés dans notre domaine de référence: à savoir l’art de nos contemporains. Ce qui suppose pour l’œuvre le passage d’une inscription spatiale (son apparition dans un site et sa contribution au contexte en définition de l’exposition), à sa participation active à l’émergence de situations temporelles.
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ans le contexte actuel, il semble peu opportun de poursuivre les efforts en faveur des recherches menées à l’intérieur de champs déjà repérés. Nos efforts doivent au contraire être dirigés vers le repérage et la définition de nouveaux champs de recherches. Dans cette optique, la recherche fondamentale dans notre domaine ne doit pas se chercher de nouveaux horizons - d’autant plus qu’il apparaît, à l’heure actuelle, peu intéressant de continuer à repousser les limites extérieures mêmes du champ d’application de l’art - mais, au contraire, concentrer ses efforts sur la redéfinition des concepts, l’ajustement des frontières ou encore l’exploration de domaines inexploités sinon jamais constitués.
C’est là un rôle qu’un centre d’art, pour peu qu’on en lui donne la liberté et les moyens, est en mesure d’assumer avec perspicacité et avec plus de chances de réussite qu’un musée (alourdi par la gestion de la charge patrimoniale) ou une école d’art (contrainte par son devoir de formation).
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ue le soutien à la création se résolve dans l’aide à la production et se justifie par elle, est un véritable non-sens. Outre les risques d’académisation et de dévoiements qu’elle induit, une telle attitude ne peut qu’entraîner une dérive des coûts approchant les hérésies du spectacle vivant et contraindre systématiquement à la co-production (avec son cortège d’abandons et de désengagements intellectuels). Je plaide ici pour que l’exposition ne soit plus considérée comme un point d’aboutissement, mais au contraire comme un moment public à l’intérieur d’un processus complexe de gestation et de développement. Le véritable défi devant lequel se trouve un centre misant sur la post-production est celui d’offrir un cadre à ce flux de réalisations enchevêtrées. Afin de mieux me faire comprendre, je citerai deux exemples distincts à l’intérieur de la programmation du Consortium où cette exigence a pu se manifester à partir d’intuitions prospectives et d’initiatives ancrées dans le réel.
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Le premier est l’arborescence Moral Maze (labyrinthe moral), une exposition à l’initiative de Liam Gillick et Philippe Parreno, avec la participation de Roberto Bagatti - Mario Boggio Sella - Angela Bulloch - Maurizio Cattelan - Dominique Gonzalez-Foerster - Douglas Gordon - Lothar Hempel - Carsten Höller - Pierre Huyghe - Jorge Pardo - Rirkrit Tiravanija - Xavier Veilhan.
Suite de p. 49 N N Chaque expérience a pour objectif de convaincre un public. Bien que la philosophie de la science ait particulièrement souligné qu’une expérience est réalisée pour étayer une théorie, il est un fait dans la pratique que le scientifique est convaincu, au moment où il procède à une expérience, d’avoir raison et que l’expérience ne sert qu’à convaincre les autres. Aujourd’hui, les scientifiques visent uniquement à convaincre leurs collègues. Galilée ou Darwin, en revanche, voulaient convaincre tout le monde. Qu’il soit question d’idées petites ou grandes, il s’agit toujours de convaincre un public. Et il y a aujourd’hui suffisamment de sujets susceptibles d’intéresser aussi bien de grands publics que des publics restreints. Prenez, par exemple, le problème de la manipulation génétique. Voilà un sujet qui intéresse nombre de personnes. Il peut donc quand même être important de présenter les études faites dans de tels domaines et de confronter le public à la question. Mais, peut-il être question dans de telles entreprises d’une interaction concrète entre un artiste et un scientifique? Il est sans aucun doute intéressant pour la science d’utiliser des modèles de présentation courants pour l’art, mais faut-il pour autant déterminer un enjeu commun au niveau du contenu? Une telle collaboration peut également constituer une source d’inspiration pour les artistes qui peuvent ainsi présenter leur œuvre comme un projet s’inscrivant dans un plus vaste cadre. Lorsque je collabore avec des artistes, tel que je l’ai déjà fait plusieurs fois avec Anne-Mie Van Kerckhoven, je m’occupe cependant tout simplement de mon travail. Je n’essaie pas d’y intégrer ce que l’autre est en train de réaliser, tout simplement parce que je ne vois pas comment cela serait possible. Il s’agit plutôt d’une sorte de fécondation intellectuelle qui ne transparaît pas ou ne doit pas nécessairement transparaître dans le
R e c h e r c h e Le projet labyrinthe moral est la transcription assez littérale d’une émission de radio conçue par la BBC et intitulée Moral Maze. Dans sa version originale, il s’agit d’un tribunal composé de journalistes, sociologues, philosophes devant lesquels un ‘prévenu’ est appelé à témoigner avec l’obligation de répondre à toutes les questions qui lui sont posées. A aucun moment le tribunal ne le juge: le jury étant pris dans un labyrinthe moral. Le tribunal tente seulement de tout lui faire dire, afin de tout comprendre. Sur cette base de référence, une invitation fut lancée à des artistes pour réfléchir et concevoir au Consortium à Dijon du 19 juin au 12 août 1995 un espace d’investigation dans lequel des personnalités étaient appelées à témoigner. Les témoins choisis venaient d’horizons différents, et comprenaient le responsable du département du patrimoine en Grande Bretagne (National Heritage), deux concepteurs de futurs produits électroniques grand public, un réalisateur de films publicitaires et un économiste de l’éducation. Chacun d’entre eux a été soumis aux questions d’une enquête transversale menée par les artistes. Le labyrinthe moral est devenu un moment collectif où les séances d’investigation se sont déroulées à huis-clos. Parrallèlement (et à la suite), des œuvres individuelles ou réalisées en collaboration sont apparues: éléments parmi d’autres d’une exposition in progress, bientôt ouverte au public - puis réactualisée (sous le contrôle des ‘délégués’ Parreno et Huyghe), trois mois plus tard dans le second espace du Consortium. Un schéma bâti sur une nouvelle potentialité de transmission des savoirs ‘interrogés’ en direct. Les interrogatoires sont en effet menés par ceux qui ont besoin d’instiller ces savoirs dans leur pratique, en l’occurence des artistes. Avec pour enjeu la connaissance de la nature de l’information et, par recoupement, celui de l’avenir d’une démocratie.
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tions en exposition, l’intérêt de cette entreprise reposait surtout sur la création juridique et humaine de l’Association des Temps Libérés, qui s’est érigée en promoteur de plusieurs autres entreprises ultérieures basées sur le concept du débat ‘labyrinthique’. Citons également le cas d’école de notre collaboration avec Philippe Parreno qui finit par faire du centre d’art un partenaire constant (conceptuel, économique et administratif) de l’ensemble des avancées que suggère cet artiste: de la création de la maison de production Anna Sanders Films (avec Pierre Huyghe et Charles de Meaux), à la publication d’un manuel d’enseignement des savoirs modernes.
b)
Le second exemple concerne le sculpteur César, et porte sur le caractère d’actualité de certaines de ses œuvres aux prises avec l’inertie critique et l’historicisation bâclée. En 1996, à l’invitation du bureau des opérations extérieures du centre d’art (collaborant avec la ville de Cluny), César acceptait de concevoir une exposition d’expansions en mousses polyuréthanes réalisées sur place (et laissées non polies). En décembre 1998, à l’Usine, il présenterait le second volet de cette entreprise (que nous avions intitulée Refaire des choses nouvelles), à savoir une série de compressions (neuves) à partir de châssis de voitures ponctionnés sur la chaîne de montage et réinsérées dans le circuit de fabrication pour passage en cabine de peinture d’où la gamme de couleurs vernies de cette Suite milanaise. Un projet avorté des années ‘60, repris à notre demande pressante, et dernière exposition de César. J Xavier Douroux
Outre l’intensité de ses deux premières manifestatravail réalisé. Que pensez-vous alors de l’idée de faire travailler les artistes et les scientifiques sur un même problème? Tout porte à croire, en effet, que les prétendus ‘modèles de collaboration’ actuels ne permettent pas d’emblée d’aboutir à une interaction concrète, mais plutôt de tirer profit de la présence de l’autre partie. C’est en tout cas une belle idée et je trouverais passionnant de la voir réalisée. Toutefois, le problème est que, personnellement, je vois difficilement comment elle serait réalisable. Il n’y a aucune tradition de collaboration entre artistes et scientifiques, car les artistes ne sont pas vite tentés de signer une œuvre ‘commune’. Il est vrai que l’histoire a connu des regroupements d’artistes, mais leurs façons de travailler ne sont absolument pas comparables à celles d’un groupe d’étude scientifique, par exemple. La signature ‘commune’ d’une œuvre est chose rare dans le monde des artistes, alors que les scientifiques, eux, ont l’habitude de travailler dans un cadre de collaboration. Ainsi, par exemple, la plupart des articles sont rédigés par plus d’un auteur et sont signés au nom du groupe d’étude. Il est peut-être possible de chercher une façon de traduire la tradition de collaboration du monde scientifique dans de nouveaux modèles permettant un développement artistique. Mais, dans ce cas, il faut se protéger contre la rhétorique qui devient alors souvent un acteur non négligeable. Car il ne faut pas oublier qu’une collaboration interdisciplinaire n’implique pas l’effacement des disciplines impliquées. Les meilleurs projets interdisciplinaires sont ceux qui laissent aux différents partenaires la possibilité d’un apport au départ de leur propre discipline. J
Jean-Pierre Le Blanc & Lieven De Boeck B -sites
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Information et l’Espace Critique - une conversation avec Hou Hanru -
Pour l’exposition Unlimited.nl 2 en 1998 à De Appel à Amsterdam, vous avez sélectionné une installation du groupe d’artistes De Geuzen. Cette installation se composait d’une bibliothèque remplie de littérature de référence liée au thème de l’exposition. Quelles sont les possibilités et quelle importance attribuez-vous à ces supports d’information dans le contexte d’une exposition? De façon générale, je pense que trois aspects importants sont liés à l’introduction de l’information dans un espace artistique. Un premier aspect aussi trivial qu’essentiel réside dans le simple fait que l’information en soi - ou l’acte de la collecter - est de la création. Cela entraîne déjà une confrontation intéressante. En deuxième lieu, l’apport d’informations dans un espace artistique dépasse déjà en soi la simple accumulation, puisque les informations introduites génèrent à leur tour de nouvelles informations ou une nouvelle action. En ce sens, nous pouvons parler - d’ailleurs pas seulement pour le projet de De Geuzen - d’une forme de nouvelle pratique. Dans le regroupement d’informations et de personnes dans un contexte artistique, la relation entre l’art et la société est en effet repensée dans une certaine mesure. Cet échange donne à son tour du matériel de travail à l’artiste. De
I n f o r m a t i o n cette manière, les informations apportées fonctionnent comme une sorte de catalyseur pour de nouvelles actions, pour l’ouverture de nouveaux espaces et discours. Enfin, la forme spécifique sous laquelle les informations, par exemple, dans le projet de De Geuzen sont apportées, est cruciale. Le placement d’une bibliothèque dans l’espace d’une exposition assure une forme très physique et spatiale d’échange d’informations. En effet, l’échange est lié à un endroit et à un moment, tous deux conditionnés par le contexte d’un espace artistique. Cette action ne peut donc être comparée à l’envoi d’un e-mail, au fait de regarder la télévision ou à la lecture d’un journal, puisque ce sont là des manières passives d’aborder l’information. Par contre, un espace artistique génère un contexte critique, dans lequel les informations ne sont pas seulement enregistrées et digérées, mais activées et remises en question de façon critique. Mais l’introduction de l’information comme telle dans un contexte artistique garantit-elle un traitement critique de ces ‘informations’? Ne peut-on pas dire de toute façon que toute œuvre d’art ou objet artistique porte en soi une certaine forme d’information critique, et que l’importance réside précisément dans la médiation de l’information que réalise l’objet lui-même? Depuis longtemps déjà, l’art ne tourne plus, selon moi, autour d’objets. L’art est une action et un espace. La raison pour laquelle nous pouvons travailler à l’intérieur de l’art ou pour laquelle les artistes peuvent se dire eux-mêmes artistes, réside dans le simple fait que l’art concerne un espace. Dans cet espace, l’on peut inclure des choses qui dépassent une façon quotidienne de penser ou toute autre activité intellectuelle. L’introduction de telles informations se fait avec les bibliothèques de De Geuzen dans cet espace artistique. Cela ne reste-t-il pas alors d’une sorte de ready-made intro-
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duction d’un discours critique? Traditionnellement, le discours sur l’art se déroule en marge de l’art, comme un média indépendant et contemplatif. L’art a besoin de ce discours pour exister. N’est-ce pas alors un coup facile pour un artiste que d’introduire ou de mettre à disposition le discours, en soi littéral, - dans le cas de De Geuzen, sous la forme d’une bibliothèque de référence - dans un espace artistique? Il existe naturellement une infinité de types de discours. Mais il est extrêmement intéressant de voir comment l’espace artistique est en mesure d’inclure et de transformer n’importe quel discours - même le discours purement académique ou scientifique - en quelque chose qui dépasse toute norme académique. Cette transformation est indéniablement un processus artistique; l’introduction littérale des discours ne doit donc pas être considérée comme une critique de l’art, mais comme une œuvre d’art en soi. Il est souvent particulièrement difficile de distinguer les discours artistiques des discours sur l’art. N’est-ce pas une forme déguisée de la tendance critique de l’art? Le potentiel critique de l’art réside malgré tout dans la façon dont il génère lui-même un discours. Où réside le potentiel critique réel de projets comme la bibliothèque de De Geuzen, car en réalité elles empruntent simplement à d’autres discours - sur des sujets comme le sexe, la ville ou le sida et les apportent dans un espace artistique sous une forme déjà négociée? Cela ne conduit-il pas à une simulation d’une position critique ou à un glissement de la performing criticality vers la representing criticality? Lorsque nous ramenons la notion de représentation à sa signification littérale, il y a naturellement une différence, mais en réalité, la distinction entre les deux est particulièrement difficile à établir; en effet, la performance est en soi aussi une forme de représentation. Une projet comme celui de De Geuzen abolit en réalité la limite entre les deux: elle montre un rayon de livres, mais les livres restent consultables - le degré de
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collection
temporaire-
Le taux d’actualité restreint des collections des bibliothèques publiques constitue un problème récurrent, et certainement en ce qui concerne les publications relatives aux arts visuels contemporains. Lorsqu’on souhaite avoir accès à un large éventail de publications récentes ou nouvelles, on se voit contraint de s’adresser à ce qui se désigne par facilité sous le nom de librairie de qualité supérieure. Dans une ville comme Bruxelles, cette offre commerciale demeure cependant étonnamment limitée; on n’y trouve tout simplement aucune librairie importante consacrée uniquement aux expressions artistiques contemporaines. Un centre voué aux arts plastiques contemporains, désireux de jouer un rôle dans la formation et le support d’un discours critique à l’intérieur d’une ville, peut nourrir l’ambition de combler cette lacune au niveau de l’offre. Un de ses objectifs de base pourrait même être de composer lui-même une bibliothèque qualitative, présentant des publications actuelles sur l’art contemporain. En principe, une telle réalisation requiert cependant des moyens importants. Pour éviter que la gestion d’un tel centre ne s’accompagne d’une administration à la fois lourde et peu maniable, un nouveau concept a été cherché, à savoir Curating the Library. B -sites
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I n f o r m a t i o n représentation dépend en fait des personnes. De plus, il importe de se rendre compte que ce type d’œuvre et ce type d’étude deviennent précisément une forme de représentation par leur introduction dans une exposition. De Geuzen et d’autres artistes s’occupent essentiellement de choses que l’on ne voit pas dans une exposition, comme des groupes de travail, des plates-formes de discussion, etc. Ils utilisent l’exposition comme une plate-forme ou comme un média pour articuler temporairement leurs activités. Une exposition ne constitue pas pour eux un point d’aboutissement, mais une forme de pause publique. Il est important de sensibiliser le public au fait qu’une exposition n’est pas une fin, mais simplement un espace d’articulation qui grossit volontairement les choses. Par conséquent, l’introduction de l’information dans un espace artistique exerce un effet créatif dans deux sens. D’une part, les informations elles-mêmes sont examinées dans l’espace critique et articulatoire de l’art. D’autre part, l’art est effrayé par l’apport de la réalité sèche, de sorte qu’il emprunte automatiquement de nouvelles directions. L’une des principales leçons que j’ai tirées de ces expositions est que nous devons oser remettre en question aujourd’hui la pertinence et le caractère fermé des arts visuels. S’ils veulent que l’art conserve sa valeur culturelle, ils doivent alors s’ouvrir à des mouvements beaucoup plus larges que ce n’est le cas actuellement. En incluant un projet comme celui de De Geuzen à De Appel, on permet à l’art d’entrer en contact avec un monde de groupes de travail et de plates-formes de discussion, avec un réseau qui dépasse le public de l’art classique. Nous devons peut-être concevoir les expositions comme une galerie commerciale (shopping mall ), où les visiteurs entrent et sortent sans arrêt pour voir se dérouler tout un éventail d’activités. Mais n’est-ce pas une illusion de penser qu’en incluant la réalité dans un espace artistique, l’art se voit conférer un cadre plus large? Tout espace artistique reste malgré tout un espace de présentation, un espace de médiation, qui dans
l’action de l’exposition dégage chaque fois toute œuvre de l’actualité. Une œuvre comme la bibliothèque de De Geuzen n’est-elle pas vouée à n’être jamais réellement informative? Je pense que nous nous faisons souvent une image trop univoque de ce qu’est cet ‘espace artistique’. Nous pensons trop rapidement à des musées, des galeries, etc. Cependant, il est plus intéressant de rechercher les limites de la notion d’ ‘espace artistique’, sans pour autant nourrir l’ambition de les supprimer. Le défi consiste à élargir l’espace. Supposez que vous collaboriez en tant qu’architecte avec un compositeur et que vous créiez un ‘bâtiment’ dont les limites sont fixées et signalées par des sons. Peut-on encore parler d’architecture? Qui est le compositeur, qui est l’architecte? Parlerons-nous alors encore d’un espace architectural, par analogie à l’espace artistique de tout à l’heure? Au moment particulier où ces deux domaines interfèrent, quelque chose de nouveau peut naître. Il est essentiel de ne pas nommer ce nouveau domaine pour le préserver du professionnalisme asphyxiant duquel il vient de s’échapper, et qui accable par définition toute spécialité. Nommez le vide et il a déjà disparu. Ce no man’s land, ces trous noirs, ces vides sont souvent les terrains les plus intéressants à travailler. Je ne crois donc pas aux possibilités créatives ou à l’intérêt d’un ‘espace artistique’ clairement défini. Mais est-ce bien une question de ‘croyance’? Depuis Duchamp, l’art n’est-il pas uniquement ce que l’on appelle art. L’art ne doit-il pas toujours passer par un milieu institutionnellement conditionné? Là, vous avez raison. Mais il est particulièrement dangereux de parler de l’œuvre de Duchamp. J’estime qu’il vaut mieux ne pas parler de ce type d’œuvre, indépendamment de sa qualité. Dans le monde qui nous entoure - l’économie, la politique des Etats, etc. -, on fixe beaucoup de limites, mais on en change encore bien plus. Il serait faux de ne pas oser confronter et mélanger ces évolutions à l’art. Le monde de l’art
Parallèlement au programme d’expositions, de discussions et aux autres activités du centre et en analogie avec ces derniers, la bibliothèque sera approchée comme une unité à programmer. Cette approche permettra à la bibliothèque d’être l’expression ininterrompue ou l’indice permanent de ce qui se déroule exactement dans le centre. Le point de départ d’une telle optique est dicté par les approches personnelles. Des personnes œuvrant dans des disciplines différentes (liées concrètement ou non au programme ou à des expositions parallèles) sont invitées régulièrement à composer une collection distincte en tant que bibliothécaire ou curateur de livres intérimaire. Dans ce contexte, le concept de Curating the Library se base sur le phénomène que chacun partage en une plus ou moins large mesure la fascination de la bibliothèque privée. En effet, en visitant la maison d’un inconnu, on se sent souvent attiré par les nombreuses reliures de livres qui reflètent pour ainsi dire la personnalité du maître de céans. Par après, le centre peut acquérir les sélections respectives et les proposer au public aux fins de consultation. Bien que cette façon de procéder confère un cachet très personnalisé au développement et à la constitution de la bibliothèque, la collection de livres de cette dernière demeure indéniablement publique et est toujours corrélée au reste du programme. L’intendant temporaire des livres dispose d’un budget déterminé pour ses achats et touche par ailleurs des honoraires pour une conférence au cours de laquelle il commente son choix. Une dizaine de sessions de Curating the Library sont requises pour procurer à la bibliothèque une ligne de croissance physiquement perceptible. J
Moritz Küng
I n f o r m a t i o n est aujourd’hui tombé dans une forme de professionnalisme qui étouffe l’esprit et ne mène à rien. La plupart des choses intéressantes se font aujourd’hui dans des espaces hyper non professionnels, dans des espaces intermédiaires, et pas dans les espaces hyper professionnalistes typiques du post-capitalisme. L’art est en réalité une forme particulièrement intrigante de migration. Aujourd’hui, toutes les mesures qui tentent de contrôler les déplacements de populations des pays pauvres vers les pays riches sont totalement non pertinentes. Ils oublient la réalité en se cramponnant à d’anciennes hiérarchies, à des territoires et à des définitions de notre monde: il n’en va pas autrement avec le monde de l’art, bien que l’art soit essentiellement une forme de migration. L’art force continuellement les limites. L’art en soi n’a pas de contenu ou de signification, ce n’est rien de plus qu’un espace où vous apportez des choses et les organisez à l’aide d’une langue spécifique qui peut être significative à un moment déterminé. L’art est la migration continuelle de contenus notionnels, la transformation d’informations. Un projet comme celui de De Geuzen tente de contrer le professionnalisme au sein du monde de l’art. Mais il dépasse clairement le mythe poussiéreux de la multidisciplinarité en ne rompant plus les limites entre les différents arts - danse, musique, théâtre ou architecture -, mais bien ceux de la réalité du monde extérieur. Beaucoup d’œuvres récentes utilisent le terme ‘transgression’ de façon très rhétorique, presque pathétique: tout semble tourner aujourd’hui autour de la transgression, du dépassement des limites en soi. Je pense que l’art doit négocier avec le monde extérieur, plutôt que de chercher de façon forcée à dépasser les limites, à renouveler pour renouveler. L’art constitue, en un certain sens, le côté négatif ou la face cachée de la réalité, ce qui a en soi peu de choses en commun avec le dépassement des limites. La tension dans le projet de De Geuzen réside peut-être
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bien dans la confrontation entre cet espace ‘négatif’ ou critique et les informations qui sont par définition positives. L’art - contrairement à l’architecture - présente l’avantage important de pouvoir être critique et négatif. Une telle forme de ‘communication d’informations’ ne fait-elle pas glisser l’art vers une forme de service qui l’empêche en un certain sens de maintenir son attitude critique? Ce n’est pas dit. Il va de soi que de la même manière qu’il existe un art de bonne qualité et un autre de mauvaise qualité, il existe également des façons intéressantes et moins intéressantes d’aborder l’intégration d’informations dans l’espace artistique. Quel type d’informations, quel type de contenu sont transmis par l’artiste, c’est cela qui détermine dans quelle mesure cet art est ou reste critique. L’architecture peut être également critique, bien que les aspects critiques dans l’architecture se situent à un tout autre niveau. Le temps et le lieu sont une condition critique absolue. Il est intéressant de se demander si l’architecture peut réellement se concevoir comme susceptible de disparaître ou s’il est possible de concevoir un bâtiment qui ne restera debout que 5 jours. La critique de la matière et l’économie sont inhérents à l’architecture. Une architecture inutile est une contradiction dans les termes. L’art visuel - un terme que je n’utilise d’ailleurs pas volontiers - présente l’avantage d’être moins lié à la matière. Dans les conditions actuelles, où l’on traduit tout en équivalent matériel, le contenu immatériel de l’art est peut-être bien son exposant le plus critique. Un architecte est aussi, dans une grande mesure, dépendant de son client, tandis que le client joue un rôle beaucoup moins important dans l’œuvre de l’artiste. Prenez, par exemple, l’œuvre de Jochen Gerz qui construit des monuments qui disparaissent progressivement. Cette œuvre se réfère aux craintes qui sont profondément ancrées dans la culture occidentale: angoisse presque panique de la disparition, de la dissolution, de
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I n f o r m a t i o n la mort. A mesure que la technologie et l’économie se développent et deviennent toujours plus importantes, l’angoisse de l’échec s’enracine toujours plus profondément. Et l’art est à présent précisément l’espace où nous pouvons regarder ces angoisses en face. L’espace artistique comme espace ‘négatif’ devrait être un lieu où l’on donne une place aux angoisses et aux irrégularités. Ces ambitions sont bien souvent confrontées, dans la réalité, aux limites des espaces artistiques. Il reste difficile à ce jour de servir du café ou des repas, par exemple, dans un espace d’exposition. D’autre part, ces limites pratiques constituent souvent un défi créatif pour un curateur. Elles constituent toujours une problématique intellectuelle, culturelle et même politico-idéologique. Pourquoi un espace d’exposition, par exemple, ne pourrait-il pas sentir mauvais, pour ne donner qu’un exemple très particulier. C’est en réalité aussi bien une question pratique qu’une question extrêmement idéologique, tout comme la manière dont vous gérez quelque chose d’évident comme la sécurité. Les interventions créatives sont beaucoup trop souvent bloquées par toutes sortes de réglementations appliquées dans les espaces d’exposition. Il appartient donc au curateur de négocier avec les musées et les organismes publics, mais aussi avec les artistes qui veulent malgré tout mettre leurs idées en œuvre. Presque tout artiste contemporain admettra que l’art est devenu aujourd’hui une affaire de collaboration et de négociation. Mais quand on arrive à la pratique, les œuvres sont souvent encore séparées de façon assez arbitraire. L’on peut donc parler d’une sorte de schisme entre l’ouverture théorique et la transgression des limites et la pratique dans laquelle l’on sépare ou fixe de nouveau l’ensemble. Comme curateur, il faut faire des choix et essayer de formuler des réponses à des questions qui n’ont souvent aucune solution, mais qui peuvent être négociées. Le statut précis du curateur doit donc être réinventé idéalement pour toute exposition, car les paramètres sont chaque fois différents. Il ne s’agit pas à cet égard de donner des définitions
ou des réponses, mais de poser toujours sans cesse la question. De cette façon, vous créez des ouvertures. Les curateurs invitent aujourd’hui de plus en plus d’artistes à travailler dans une exposition autour d’un thème déterminé. Comme, par exemple, dans la dernière Manifesta de Ljubljana, où les artistes ont été invités à travailler sur la notion de sentiment de frontière, ou the borderline syndrome. En tant que curateur, ne pousse-t-on pas de nouveau ainsi l’art dans une position où il est voué à être positif ou constructif? Et toute position critique dans une telle entreprise n’est-elle pas vouée à des expressions stériles? L’art ne peut en effet jamais fonctionner comme illustration d’un thème. Mais il y a une différence essentielle entre un thème et une problématique: un thème asphyxie l’artiste dans une définition, une problématique ne le fait pas. Une problématique ouvre, en un certain sens, la négociation, la discussion, voire ‘l’espace artistique’. C’est un contexte dans lequel on travaille. Cependant, le principal problème auquel est confronté le curateur aujourd’hui est l’échelle. Les biennales, les événements monstres comme Documenta ou Manifesta s’accumulent et deviennent ingérables; que ce soit en nombre et en importance. Sur le plan purement physique, le paysage de l’exposition est totalement out of control. Je ne veux pas dire qu’un curateur doit maîtriser toute l’entreprise, mais que l’ampleur de ces expositions rend à mon sens impossible de faire encore quelque chose de pertinent. Naturellement, la suppression des limites de la pratique artistique est également incontrôlée. La question se pose alors de savoir si ce climat out of control actuel a un effet de stimulation négative ou créative pour les arts. La réponse n’est pas évidente. La seule certitude que nous avons, c’est que l’entreprise est out of control. J Wouter Davidts Tijl Vanmeirhaeghe
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Depot, Kunst und Diskussion - Vienne - la médiation de l’information -
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ommençons par les faits. L’inauguration du Depot dans le Quartier des musées (Museumsquartier) de Vienne eut lieu en septembre 1994. En 1997, le Depot déménagea dans un plus grand édifice de quelque 300 mètres carrés. Aujourd’hui, quatre personnes y sont employées à temps partiel. Elles disposent d’un budget annuel de près de quatre millions d’ATS (soit environ 290.000 EUR). Le Depot a organisé jusqu’à présent quelque 70 manifestations et 80 activités dirigées par des artistes invités. Citons parmi ces activités des ateliers de travail, des séminaires, des présentations de livres, des Depot, il est possible de consulter la bibliothèque, l’internet, ainsi que la collection de magazines d’art actuels, ou encore de participer aux activités organisées. D’autres y passent tout simplement pour échanger librement des informations avec des collaborateurs du Depot ou avec des collègues, ou encore pour prendre un moment de répit dans le café attenant. L’on dénombre cette année déjà 20.000 visiteurs.
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e Depot se considère lui-même comme une plateforme de réflexion sur l’art contemporain et sur l’ordre social au sein duquel il naît et est soutenu. Il se profile à cet effet comme un forum pour divers groupements indépendants et temporaires, et collabore régulièrement avec des instituts académiques ou avec d’autres organisateurs du monde de l’art et des sciences. Le programme du Depot trouve ses racines dans la réorientation que connut l’art au début des années ‘90. La révolution de 1989 eut également des répercussions importantes sur l’art. L’effondrement des structures étatiques des pays de l’Est, la réunification de l’Allemagne et la guerre en Yougoslavie entraînèrent un accroissement des migrations, du chômage, de la récession économique et des tensions sociales subséquentes. Les artistes éprouvèrent le besoin de méthodes de tra-
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vail dynamiques et de fondements discursifs. On prit conscience que le postmodernisme et son art individualiste, axé sur le luxe et les tendances de la mode, touchaient à leur fin. En outre, le début des années ‘90 fut caractérisé par une politisation avancée (du monde) de l’art, qui se traduisit par une exigence d’efficacité sociale. Le Depot se fixa pour objectif de combler quelques-unes des nombreuses lacunes du paysage artistique. Le concept latent sur lequel se base le Depot est empreint des notions centrales dans le changement de paradigme de l’époque, telles que l’information, la communication, la réflexion et la participation. Les interrogations quant aux possibilités et aux stratégies d’un art susceptible de s’engager socialement, à son importance sociale ou à son autonomie et à sa contextualité, demeurent actuelles dans le Depot. Dans ce contexte, nous avons toujours jugé utile de nous consacrer sans relâche à la réflexion sur notre œuvre et sur notre propre rôle. Nombre de projets se situant en dehors du circuit institutionnel des galeries et des musées virent le jour dans les années ‘90. Cela s’explique, d’une part, par l’effondrement du marché de l’art qui entraîna à Vienne, vers 1992, la fermeture forcée d’une série de galeries. On assista, d’autre part, à un intérêt croissant pour les idées véhiculées par des interventions locales visant à impliquer plus étroitement le public dans l’art. Le Depot continue aujourd’hui à fonctionner comme un port d’attache pour de tels projets spécifiques liés à la scène locale, en formant une sorte de port d’attache où les projets sont documentés et discutés. Suite au manque souvent manifeste d’une plate-forme publique destinée aux artistes, le Depot accorda d’emblée une grande importance à la mise en discussion de projets spécifiques ou de propositions de projet émanant d’artistes. Nous organisons sous le titre de Auskunft (informations) des dialogues publics engageant un artiste et un interlocuteur.
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a création du Depot ne fut pas uniquement une réponse au changement de cap amorcé par l’art international, mais doit être vue également dans le cadre des circonstances spécifiques à Vienne. Le Depot entendit réagir au comportement anti-intellectualiste traditionnel qui caractérisait la formation artistique en Autriche. A cette époque, il n’était question ni à l’Institut d’histoire de l’art de l’Université, ni dans les deux Ecoles supérieures d’art, d’une étude approfondie de la théorie de l’art actuelle. A l’Université, les historiens de l’art ne s’occupaient que de la recherche historique, alors que dans les Ecoles supérieures, structurées selon le principe des classes maîtresses (Meisterklassen), les professeurs plutôt âgés - généralement des hommes - se faisaient toujours les défenseurs de la cause selon laquelle la réflexion sur l’art nuit à la production artistique plutôt que de la favoriser. (Les choses ont nettement évolué entre-temps sous l’impulsion d’une nouvelle génération d’enseignants.) Le Depot a toujours soutenu sans ambiguïté que les notions et les tendances dans l’art subissent l’influence de certains groupes, tels que le marché, les médias ou d’autres institutions. Si l’on souhaite adopter soi-même une position dans l’art, il faut pouvoir cerner et approfondir les intérêts sous-jacents qui le régissent. Le Depot voulait accentuer de manière programmatique la signification du discours et de la théorie de l’art. Il tenta de réagir à l’assertion réactionnaire selon laquelle le discours n’est que radotages de profiteurs bouffis d’orgueil, qui se nourrissent de façon malhonnête de la force créative propre des artistes - faisons référence par exemple à George Steiner ou à Rudolf Burger. C’est sur la base de tels arguments que des politiciens et des fonctionnaires de la culture réactionnaires se dressèrent d’ailleurs à diverses reprises contre le Depot. Ce dernier fut accusé de malversations: il aurait donné l’argent, destiné au départ à l’art ou aux artistes, à des curateurs et à des critiques de second ordre. Une telle vision bornée oublie toutefois le fait qu’un discours théorique, le flux d’informations et l’échange d’idées sont
tout aussi importants pour les artistes que pour ces prétendus ‘intervenants’. Afin d’éviter que l’on ne continue à considérer des activités telles que la discussion et la documentation comme une forme de programme accessoire, nous avons pris la décision drastique de ne pas organiser d’expositions, et ce dès le début.
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n revanche, le Depot offre un éventail d’autres activités englobant des discussions sur des sujets ayant trait à la politique culturelle, des entretiens avec des artistes, des conférences de théoriciens, des commentaires formulés par des critiques sur des expositions - tels que la Documenta, la Biennale de Venise ou la Manifesta -, et des symposiums. Une attention particulière est accordée aux ateliers et aux séminaires s’étalant sur plusieurs jours et au cours desquels sont menées des discussions approfondies sur un thème déterminé, comme par exemple: Was kostet die Welt? Formationen gesellschaftlicher und kultureller Arbeit (Que coûte le monde? Formations de travail social et culturel) avec Helmut Draxler; Zum Verhältnis von Kunst und Ökonomie (Des rapports entre l’art et l’économie) avec Alice Creischer; Was ist politisch an der Kunst? (Quelle est la dimension politique de l’art?) avec Isolde Charim; Ästhetik, Geschlechterdifferenz und Politik (L’esthétique, la différence de sexe et la politique) avec Birge Krondorfer; Denkmalstrategien und Erinnerungspolitik (Stratégies des monuments et la politique du Souvenir), un séminaire interdisciplinaire avec des représentants de divers instituts. Etant donné que le Depot s’adresse à tous les acteurs de la production d’un discours critique et théorique sur l’art contemporain - c’est-à-dire tant aux artistes, qu’aux critiques et aux curateurs -, la bibliothèque fait preuve d’une orientation interdisciplinaire. La collection englobe un vaste champ de domaines d’étude se rapportant d’une manière ou d’une autre à l’art et à la théorie de l’art, allant de la théorie politique et économique à la cinématrographie en passant par la théorie féministe,
I n f o r m a t i o n l’étude du racisme et les études culturelles. Le Depot est toutefois plus qu’un simple ‘centre d’information’. Aujourd’hui, tout le monde doit faire face à une certaine forme de ‘surabondance de données’, qui rend impossible le classement et l’évaluation des informations que nous recevons quotidiennement par le biais des médias, du courrier postal ou électronique, du téléphone ou de nos contacts avec autrui. Le Depot considère comme une de ses tâches d’apporter des solutions à cette surabondance. L’information que le Depot met à disposition trouve sa place dans le cadre bien délimité de l’art contemporain: tout est sélectionné soigneusement d’avance par un œil ‘politiquement exercé’.
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e succès du Depot réside dans le fait qu’il met à disposition une aire de rencontre ‘matérielle’. C’est une illusion que de croire que l’Internet peut remplacer une bibliothèque. Le Depot permet en permanence de rencontrer des collègues avec qui on peut échanger librement des conseils. On y trouve précisément les livres qui se rattachent aux sujets des symposiums organisés et, en prenant le temps de fouiner dans la collection, on finit toujours par y découvrir des ouvrages dont on ignorait l’existence. Par ailleurs, le Depot doit également sa popularité ininterrompue à sa grande facilité d’accès: les visiteurs ne doivent ni s’annoncer ni payer. Les portes des bureaux des collaborateurs ne sont même pas fermées à clef; ces derniers y travaillent dans des espaces ouverts où il est toujours possible d’engager une conversation avec eux. Le Depot est tout à fait conscient que son programme s’adresse à des spécialistes. Il n’en demeure pas moins que le nombre élevé de visiteurs prouve que l’ambition de mener un discours théoriquement fondé ne doit pas nécessairement déboucher sur la formation d’un cercle élitiste. Je crois que nous avons réussi à faire du Depot une adresse renommée de la scène intellectuelle internationale, avec des conférenciers tels que Renata Salecl, Slavoj Zizek, Laura Cottingham, Boris Groys, Terry Eagle-
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ton, Angela McRobbie, Arthur C. Danto, Gertrud Koch, Kaja Silverman, Vito Acconci, et bien d’autres. Nous avons veillé en même temps à préserver l’atmosphère chaleureuse pour les visiteurs viennois. Depuis que le parti d’extrême droite FPÖ a constitué en février 2000 une coalition gouvernementale avec le ÖVP, le Depot s’est vu octroyer une tâche supplémentaire de taille, en tant que forum de la résistance. De nombreuses actions de protestation ont été coordonnées au départ du Depot et l’initiative antiraciste d’un certain nombre d’artistes, Get to Attack, y organise des rencontres et des manifestations.
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orsqu’en 1993 je me suis penchée pour la première fois sur le projet du Depot, le financement m’a semblé constituer le principal obstacle. Quelle instance publique ou quelle institution privée pourrait bien se montrer disposée à financer un centre d’art contemporain qui refuse l’activité obligée d’exposer? Fin 1993, le ministre de la Culture m’a nommée curatrice fédérale des arts plastiques. Cette fonction extraordinaire - qui a d’ailleurs été supprimée cette année par le nouveau gouvernement conservateur de droite - a entraîné la libération, de la part des autorités, d’un surplus d’aide financière pour l’art contemporain. Entre 1990 et 1999, six spécialistes indépendants (curateurs et curatrices fédéraux) ont disposé chacun de 30 millions d’ATS (environ 2.180.000 EUR). Cela a permis de réaliser le concept du Depot sans devoir se soucier de questions financières. En 1997, le curateur fédéral suivant, Wolfgang Zinggl, a pris la relève et la direction générale pour une période de deux ans. Depuis plus d’un an, une équipe composée de Thomas Hübel, Susanne Jäger, Elisabeth Krimbacher et Marlene Ropac, poursuit la gestion et obtient les moyens financiers requis pour le fonctionnement auprès du département compétent du chancelier fédéral. Nous sommes actuellement dans l’incertitude quant à l’avenir du Depot. Le nouveau secrétaire d’Etat à la Culture n’a pas encore réagi à la demande de financement
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I n f o r m a t i o n pour l’an 2001. La ville de Vienne nous est venue en aide avec une petite subvention, pour nous permettre de poursuivre les activités, fût-ce de façon réduite, jusqu’à ce que le gouvernement fédéral prenne une décision. En outre, il subsiste bien des désaccords et des confusions quant au Quartier des musées qui devrait être inau-
guré d’ici la fin de 2001. Les responsables ne se sont pas encore prononcés sur la question de savoir si le Depot pourra continuer à exister dans sa forme autonome actuelle à l’avenir. J Stella Rollig
Culture Convenience Club -
de
l’usage
de
l’information
Tsutaya est une entreprise de diffusion d’informations. Fondée au Japon au milieu des années ‘80 par Muneaki Masuda, la société Tsutaya offre principalement, outre des services par satellite et des services en ligne, des informations ‘préemballées’, par le biais d’une chaîne de magasins regroupés sous le nom de Culture Convenience Club (CCC). Chaque Culture Convenience Club se porte garant de ‘la mise à disposition de culture par l’intermédiaire d’une organisation et sur la base d’une formule d’adhésion’. Chaque club tente de combiner sciemment ‘l’offre d’information, une interaction avec l’environnement et la possibilité de rencontrer d’autres personnes’. Un CCC regroupe différents supports d’information sous un même toit: des livres, des bandes dessinées, des vidéos, des DVD, des CD de musique, des MD, des logiciels, des jeux d’ordinateur, etc. La chaîne CCC compte actuellement 980 points de diffusion, répartis sur tout le Japon. L’entreprise emploie 515 travailleurs et compte 13 millions de membres. Les CCC se reconnaissent à leurs couleurs bleu et jaune, ainsi qu’à leur logo présentant un téléviseur dont l’écran affiche plusieurs visages.
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e phénomène des convenience stores est né en 1927 à Dallas au Texas, où la Southland Ice Company lança dans ses salons de glace la vente de produits alimentaires, tels que du pain, du lait et des œufs. Ces magasins étaient ouverts de 7 à 23 h, et cela également les dimanches. Southland Ice Company répondit ainsi à la nécessité de la disponibilité - en dehors des heures d’ouverture normale des magasins - de quelques-uns des produits alimentaires les plus indispensables. Parallèlement au développement des banlieues dans les années ‘50, les convenience stores se développent dans tous les Etats-Unis. Plus tard, dans les années ‘70, des convenience stores sont souvent rattachés à des stationsservice. Dès les années ‘80, ce type de magasin connaît également un grand succès dans les grandes villes et dans d’autres pays capitalistes. Aujourd’hui, The Southland Corporation compte pas moins de 17.550 convenience stores - sous le nom de 7-eleven - établis dans 23 pays différents aux quatre coins du globe, et dont 7.145 magasins au Japon. Le succès des convenience stores résulte d’un concept complémentaire à celui des grandes galeries marchandes ou shopping malls. Les convenience stores regroupent diverses activités commerciales locales menées à petite échelle, telles que celles d’un kiosque à journaux, d’un
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magasin de nuit ou d’une épicerie. Ce type de magasin est lié fréquemment à une station-service, une billetterie, une banque, un bureau de poste, un café ou un centre de copie. Les convenience stores vendent cependant uniquement des produits préemballés tels que des produits alimentaires, des boissons, du tabac ou des articles de beauté et des articles pour la santé. Les convenience stores sont destinés aux gens ayant peu de temps: ils sont ouverts 24 h sur 24 et 7 jours sur 7; l’accès à ces magasins est généralement facile, on y trouve toujours des places de stationnement et il ne faut pas y faire la file à la caisse. Les convenience stores font généralement partie de grandes chaînes et sont gérés en franchise. Un réseau informatique collecte les données d’achat de chaque point de diffusion d’un réseau. C’est sur la base de ces données que se font les commandes auprès des différents producteurs et les différents clubs de la chaîne sont approvisionnés journellement selon la méthode des livraisons au moment adéquat (justin-time). Cette façon de procéder permet d’économiser tant sur les coûts d’aires de stockage que sur les coûts d’intermédiaires. Tout comme les galeries marchandes (shopping malls), les convenience stores se profilent comme une sorte de lieu public. Ces commerces font souvent fonction de lieu où l’on se sent bien, de lieu de repos, d’abri temporaire ou de lieu de rencontre, et constituent en cette qualité une variante contemporaine du lobby ou passage du 19ème
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siècle. Généralement, les convenience stores se ressemblent et sont empreints d’un caractère à la fois fonctionnel et clinique. Ils sont implantés le plus près possible de la limite de propriété (0-lot zoning), afin d’offrir le plus de places de stationnement possible. Leur aspect extérieur se repère à l’enseigne lumineuse voyante et à un logo qui domine les toits. Une grande baie vitrée assure une transition toute naturelle entre l’extérieur et l’intérieur. L’intérieur même se caractérise par un éclairage néon très lumineux, par un fléchage graphique, de la musique de fond, un revêtement de sol insonorisant, une température ambiante agréable et une surveillance vidéo.
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e Culture Convenience Club à Fujisawa, à la périphérie de Tokyo, est installé au rez-de-chaussée d’un petit immeuble à appartements, situé le long d’une voie rapide. La présence de ce CCC est indiquée sur la façade par des lettres néon, des enseignes lumineuses, des lettres adhésives et des drapeaux. Un certain nombre de distributeurs de boissons, mais aussi de vidéos et de disques compacts, sont installés à l’extérieur du magasin, le long de la façade. Le magasin offre à sa clientèle un vaste parking. Le club est ouvert 7 jours sur 7, de 10 h à 4 h du matin. Toute la surface du magasin se trouve sous surveillance électronique. Une trace lumineuse très claire conduit les clients jusque dans un petit espace où sont disposées plusieurs rangées de rayonnages. Un fléchage
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I n f o r m a t i o n haut en couleurs sert de moyen d’orientation. Le magasin est divisé en un certain nombre de départements, tels que les rayons ‘livres’, ‘vidéos’, ‘jeux’ et ‘disques compacts’. Ce dernier, par exemple, est subdivisé à son tour suivant les divers genres (J-pop, black/soul ou club/dance) et les disques y sont classés alphabétiquement. Les livres, quant à eux, peuvent être consultés; il est possible d’écouter les disques compacts, de regarder les vidéos, de tester les jeux, etc. Malgré la présence continue de clients, ces magasins permettent toujours de rechercher confortablement les informations de son choix dans le labyrinthe des rayonnages. Les produits d’information choisis peuvent être achetés ou empruntés à un long comptoir installé près de l’entrée et de la sortie. Le code à barres de chaque produit sortant du magasin est scanné à ce comptoir et enregistré sur la carte de membre. Outre l’achat ou l’emprunt d’informations, le client peut également faire des photocopies, des photos d’identité ou acheter toutes sortes d’articles figurant dans le catalogue.
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’organisation de la chaîne Culture Convenience Club est représentative de la manière dont le capitalisme d’information distribue ses produits. Tout en donnant l’impression de se soucier de l’interaction avec son environnement ou de vouloir créer un lieu de rencontre pour le quartier, l’entreprise Tsutaya a pour principal objectif la réalisation de bénéfices. Chaque lieu de diffusion n’est finalement qu’un maillon du réseau global de la chaîne CCC et est à peine adapté au caractère propre du contexte. La chaîne CCC vise uniquement à la consommation personnelle d’informations et ne se préoccupe pas de réunir des gens. Malgré le fait que les visiteurs de chaque lieu de diffusion aient l’occasion de formuler des remarques ou des suggestions, l’offre d’informations se situe presque exclusivement dans le contexte du divertissement. La stricte régulation de l’organisation de chaque Culture Convenience Club ne constitue cependant aucunement un
frein à l’utilisation diversifiée de son équipement. Ainsi par exemple, l’usage du lieu de diffusion CCC à Fujisawa se différencie souvent très fort de ce qui était prévu initialement par la firme Tsutaya : nombre de visiteurs fréquentent les lieux parce qu’ils se sentent seuls chez eux ou qu’ils s’y ennuient, pendant que le Club leur offre la possibilité d’y passer des moments calmes et agréables, et d’ y chercher des informations; les amateurs de lecture y passent des heures debout à lire un livre de bout en bout, vu qu’il y a toujours des livres présentés à la libre consultation; les passionnés de musique viennent y parfaire quotidiennement leurs connaissances générales de musique car le Club leur donne toujours la possibilité d’écouter le Top-20 du hit-parade avec un casque; d’autres encore viennent y regarder des films entiers, puisque de nouvelles vidéos y sont présentées en guise de promotion; les mordus de jeux d’ordinateur viennent y améliorer leurs records personnels sur les nouveaux jeux que la clientèle peut y tester; enfin, la masse importante de supports d’information vierges vendus au comptoir est bien l’indice que de nombreux visiteurs des CCC se constituent de gigantesques collections d’informations copiées, ce en dépit de la législation très stricte quant au droit à la propriété intellectuelle. Quoique le schéma d’utilisation prévu et le schéma concret ne semblent pas très divergents, les différentes intentions sous-jacentes apparaissent clairement quand on y regarde de plus près. L’utilisation des équipements est peu prévisible et répond toujours à une logique propre. Même si des études statistiques peuvent cerner la substance de l’utilisation, elles ne parviendront jamais à en prévoir les modalités concrètes. Il est un fait certain qu’il est impossible de sonder toutes les motivations des utilisateurs du Culture Convenience Club. En effet, chaque équipement engendre un nombre incalculable de pratiques d’utilisation qui tentent toujours de se reapproprier l’espace et le temps organisés. J Kobe Matthys pour Agence
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l’Art en tant que Production Le terme de production semble toujours contenir une promesse pour l’art - la promesse que son importance sociale s’étend au-delà de la fabrication d’objets d’art autonomes. Ce terme doit sa signification en grande partie à deux oppositions sémantiques. D’abord, celle qui concerne la fabrication artisanale des objets (d’art): suite à l’industrialisation, le terme de production a été associé à la production de masse moderne et constitue donc un contraste avec les pratiques traditionnelles d’une ‘productivité’ de moindre importance. Dans le prolongement de celle-ci, on trouve l’opposition entre la production et la consommation: l’artisanat conduit à la création d’objets coûteux et uniques, visant à satisfaire les impulsions de consommation excessives d’une élite minoritaire, cependant que ‘l’art de production’ exploite les possibilités de l’industrie pour fournir à tout le monde des choses utiles. C’était en tout cas la conviction des constructivistes russes dans les années ‘20.
R e c h e r c h e A r t i s t i q u e e n t a n t q u e P r o d u c t i o n -une conversation avec Matt MullicanLa notion classique de ‘l’œuvre artistique’ semble aujourd’hui dépassée. Beaucoup d’artistes se créent une nouvelle forme contemporaine d’œuvre artistique qui ne se développe plus comme une collection de créations séparées, mais comme une ‘production continue’, globalisée par un thème central qui se diversifie par de nouveaux ‘produits’. Le plus important de l’œuvre artistique ce ne sont plus les œuvres prises individuellement, mais le tissu de significations qui relie ses œuvres entre elles. Est-ce que cette assertion vaut également pour votre œuvre ? Dès le début de ma carrière j’ai essayé de réaliser un système d’œuvres mutuellement reliées car je ne crois point à l’objet isolé. Un seul objet ne peut matérialiser de l’information. Je pense donc en contextes. Mon œuvre se trouve en relation avec les autres choses que je réalise et avec l’œuvre d’autres personnes. Voilà ce que j’appelle le contexte. Le contenu n’est ni abstrait ni indépendant du contexte. Pour moi l’art est un processus social qui se réalise entre les hommes et les idées. Il est séduisant de comparer votre œuvre à un projet de recherche scientifique. Avancez-vous une hypothèse ou une question avant de vous engager dans une nouvelle œuvre? Une de vos installations consiste en fragments de bandes dessinées tous reliés à l’homme qui meurt. Etait-ce votre intention de réfléchir sur la façon dont notre culture se comporte envers la mort? La seule chose que je puisse dire à ce sujet c’est que j’ai essayé de prouver que les personnages des bandes dessinées mènent B -sites
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n raison de l’état catastrophique de l’économie et de la pénurie généralisée, la jeune Union soviétique connaissait un énorme culte de la productivité et de l’industrialisation. Pour pouvoir garantir une condition de vie convenable à toute la population, il fallait à la fois augmenter la production de la nation et combattre la consommation excessive manifeste chez une petite élite de la population. Au départ, les constructivistes tentèrent d’imiter les principes de construction industrielle dans des œuvres d’art autonomes mais, après 1920, il apparut clairement qu’il ne pouvait s’agir ici que d’une étape provisoire. Les constructivistes autour de Rodchenko accusaient les peintres comme Malevitch de poursuivre la création d’œuvres d’art autonomes de façon manuelle selon la tradition et donc de ne pas être utiles et productifs. Ils gaspillaient de la main-d’œuvre et du matériel précieux pour la réalisation de produits de luxe n’ayant aucune fonction. En revanche, selon les constructivistes l’art ne devait plus être un ‘temple’, mais une ‘usine’: le temple ne représentant pas seulement la religion artistique du 19ème siècle et l’idéal de ‘l’art pour l’art’, mais également l’inverse de la production utile, le gaspillage improductif de matériel et de main-d’œuvre. [1] Le 24 novembre 1921, plus de vingt artistes rattachés à l’Inkhouk (Institut de la culture artistique), à prédominance constructiviste, décident de renier l’art autonome pour se consacrer pleinement à la production de ‘choses artistiques’. [2] Ainsi sonna le glas de la dernière phase du constructivisme, le ‘productivisme’. La notion de ‘chose’ était cruciale pour les constructivistes/productivistes: la chose utile, transparente et construite de manière rationnelle fut opposée aux marchandises de l’économie capitaliste dans laquelle la valeur d’usage est subordonnée à la valeur d’échange ou aux ‘caprices théologiques’ du fétichisme de produits décrits par Marx. Contrairement aux biens, qui ont apparemment uniquement des rapports réciproques sur le marché et qui semblent
être indépendants de l’homme, les choses constructivistes sont là explicitement pour l’homme. Dans un premier temps, elles ne sont pas censées se rapporter à d’autres choses, mais au corps de l’utilisateur, auquel elles se rattachent le mieux possible. [3] Dans l’intérieur d’un club d’ouvriers exposé par Rodchenko en 1925 à Paris, les objets sobres, fonctionnels faisant fonction d’un appendice du corps humain, avaient été placés sciemment face aux produits de luxe occidentaux. [4] En 1921 parut également un recueil d’articles intitulé L’Art dans la production, publié par ISO NARKOMPROS (le Département des arts plastiques du Commissariat populaire pour l’éducation culturelle). [5] Avec des termes comme ‘production artistique’ et ‘art de la production’, les différents auteurs reflétèrent les possibilités d’impliquer l’artiste dans le processus de production industriel, voulant ainsi aussi bien élever la production en Union soviétique à un niveau supérieur que briser l’isolement autonome de l’art. Les conditions étaient cependant moins favorables à une telle entreprise: l’industrie moderne dont rêvaient les constructivistes avait à peine démarré dans la Russie du début des années ‘20. En raison de l’opposition de l’Etat soviétique de plus en plus conservateur, les constructivistes furent contraints d’adopter une approche davantage conformiste et un programme de plus en plus restreint. L’Occident, dont l’industrie était plus avancée, connut également dans l’entre-deux-guerres un culte de la production artistique, et pas seulement au Bauhaus, où des peintres comme Kandinsky et Klee formaient une génération de créateurs d’art appliqué et de design industriel. Un auteur aussi peu avant-gardiste que Sir Hubert Llewellyn Smith, président du British Institute of Industrial Art, faisait également valoir la nécessité d’une forme d’art de production. Dans son ouvrage The Economic Laws of Art Production (1924), il affirme que l’avenir de l’art est dans la fabrication indus-
des vies. Il n’existe pas tellement de différence entre la projection de la réalité et la réalité telle que nous la vivons. D’un point de vue scientifique il est évidemment impossible et ridicule de prouver que les personnages des bandes dessinées mènent une vie. La science doit étayer ses thèses de la façon la plus objective, tandis que moi je fais exactement l’inverse. Si vous dites que les personnages d’une bande dessinée mènent une propre vie cela veut dire que le monde est basé sur des expériences subjectives et qu’en dernière instance il est impossible de prouver une fois pour toutes quoi que se soit. Mais en même temps la limite entre art et science se dessine pour moi de la façon la plus nette. Les résultats scientifiques doivent répondre aux épreuves les plus dures ce qui explique la différence énorme avec les résultats d’un processus artistique. L’étroitesse de tout paradigme est un thème principal dans votre œuvre. De ce point de vue, quelle est votre attitude envers le monde artistique actuel? Le musée est-il un élément artificiel? Le musée et les galeries sont très liés à certaines positions sociales ayant leurs propres racines historiques mais ils n’en sont pour autant pas des institutions moins vraies. Tout art est politique, pas dans le sens conservatif/libéral du mot, mais en termes de la position que vous adoptez. En tant qu’artiste je n’éprouve aucun problème envers des espaces alternatifs, de jeunes galeries ou des expositions de groupe. Il m’est arrivé d’avoir un exploitant de galerie qui me conseillait de ne pas y participer parce que ce ne serait pas assez exclusif. Personnellement je pense que l’art peut exister dans de multiples contextes et qu’une même œuvre peut avoir des sens différents en fonction du milieu dans lequel il est exposé. Prenez par exemple une galerie exclusive ou une grande gare: dans le premier cas on parle d’art exclusif, dans l’autre l’œuvre cesse d’être
P r o d u c t i o n trielle d’objets artistiquement réussis de l’art appliqué, malgré tous les problèmes qui l’accompagnent. L’intérêt de l’exposé de Llewellyn Smith est qu’il tente de formuler une loi pour déterminer la ‘valeur artistique’ (art value) d’une œuvre d’art, visant non pas la valeur d’échange, mais bel et bien la valeur artistique. Il trahit son passé industriel en exprimant son plus grand dégoût pour chaque forme d’inefficacité, de gaspillage: le ‘gaspillage pur’ (pure waste) de moyens et de maind’œuvre n’est également pas permis dans l’art. Les œuvres d’art doivent être réalisées de manière aussi efficace que possible d’un point de vue technique et économique. Les critères de cette efficacité diffèrent uniquement en fonction des objectifs que l’on veut atteindre ou en fonction du profil des acheteurs visés. [6]
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’est précisément cette répugnance moderne du ‘gaspillage pur’ que Georges Bataille a farouchement combattue dans les années ‘30 et ‘40. Bataille était frappé par le fait qu’aussi bien la théorie économique bourgeoise que marxiste partait du principe que l’économie consistait dans la production utile ou la production au service des besoins fondamentaux. Bataille affirmait avec force: “Il n’existe en effet aucun moyen correct (...) qui permette de définir ce qui est utile aux hommes.” [7] Il reconnaissait cependant qu’il existait quelque chose comme une consommation utile: la consommation utile au maintien et à la reproduction de la vie. Selon Bataille, il y avait à l’opposé la catégorie non moins importante “des dépenses dites improductives: le luxe, les deuils, les guerres, les cultes, les constructions de monuments somptuaires, les jeux, les spectacles, les arts, l’activité sexuelle perverse (...).” [8] Bataille sabota l’ordonnance traditionnelle de l’art sous la ‘production’, comprenant le terme de production automatiquement comme efficacité et donc utilité, et plaça l’art du côté du gaspillage et de la consommation gaspilleuse.
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Pour étayer son argumentation, Bataille se basa sur les civilisations prémodernes et plus particulièrement sur les rituels de sacrifice sanglants chez les Aztèques. Dans ces sacrifices et d’autres aspects de la civilisation aztèque, Bataille avait détecté une fixation sur la dépense excessive, comprenant que cette fixation était utilisée comme stratégie pour annuler symboliquement le changement en objet de la nature et de l’homme. En sacrifiant des esclaves, on rendait en quelque sorte à la nature son intimité originale. Dans La Part maudite, Bataille situe une telle impulsion de gaspillage au Moyen Âge. L’énorme quantité d’énergie investie en ce temps-là dans la construction de cathédrales s’inscrivait sous le signe de la fabrication d’objets qui, dans le fond, sont le contraire des marchandises: “L’intimité n’est exprimée qu’à une condition par une chose: que cette chose soit au fond le contraire d’une chose, le contraire d’un produit, d’une marchandise: une consumation et un sacrifice.” [9] La construction d’un temple ou d’une cathédrale est une forme de pur gaspillage, c’est pourquoi elle est, selon Bataille, supérieure à la construction d’une usine. Dans le capitalisme moderne, l’énergie est uniquement consacrée à la construction d’usines, à l’augmentation de la productivité et à la croissance économique: “La bourgeoisie capitaliste relégua au second plan la construction des églises et lui préféra celle des usines.” [10] Dans l’accroissement des moyens de production et des biens qui en résultent, l’humanité perd entièrement de vue ‘l’intimité’ sacrale ou initiale. La marchandise triomphe et l’homme devient de plus en plus ‘chose’ et s’adapte ainsi aux biens. Le gaspillage, susceptible de rétablir de justesse le contact avec le sacré, est toutefois une abomination aux yeux de la bourgeoisie moderne. Bataille alla jusqu’à affirmer que la haine contre le gaspillage était même sa raison d’être. Dans les années ‘40, au moment où Bataille développait sa théorie du gaspillage - qu’il avait commencé à éla-
art et est perçu comme architecture et design. Des millions de gens vont la voir mais il ne s’y attarderont pas une deuxième fois. Dans des lieux pareils vous êtes vraiment agressés par l’information, ce qui répond d’ailleurs aux desseins des agences de publicité. En l’exposant dans une galerie, votre œuvre ne sera contemplée que par une vingtaine de personnes qui y réfléchiront. Il faut savoir ce que l’on veut atteindre. Vous avez réalisé plusieurs projets qui se situent en dehors du circuit d’art institutionnalisé. Comment adaptez-vous votre œuvre à ces lieux? Procédez-vous d’une autre façon que dans un musée? Je ne pense pas que j’approche l’œuvre d’une autre façon mais que l’espace le fait pour moi. J’ai fait une exposition dans la tour Manhattan à Bruxelles où j’ai pu réaliser des choses qui sont impensables dans un musée. En plus, cet immeuble de bureaux était un espace unique ce qui a influencé l’œuvre. Un tel espace enrichit votre vocabulaire. Dans le Magasin à Grenoble je disposais d’une salle de vingt mètres de hauteur. J’étais d’avis que je devais réaliser une œuvre qui s’intégrait de la façon la plus naturelle dans cet espace. Sans ce défi je n’aurais jamais crée les choses que j’ai conçues dans ce but là. Aujourd’hui il est entré en vogue de travailler in situ. Est-ce que ceci ne risque pas de mettre l’artiste dans une position faussée? Le travail in situ présente en effet certains dangers. L’artiste est en effet souvent traité comme une sorte d’animal de laboratoire. Confronté à un problème on est curieux de voir ce que fera l’artiste dans une situation pareille. Peut-être générera-t-il toute une série d’idées intéressantes. Par contre le risque se présente que l’artiste fasse du travail sur l’ordre B -sites
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P r o d u c t i o n borer au début des années ‘30 - dans Théorie de la religion et dans La Part maudite, le miracle économique () d’après-guerre était déjà sur le chantier. La croissance sans précédent de la société d’abondance dans le monde occidental suscita une consommation effrénée - une consommation ‘improductive’ et non vitale. Bien que Bataille affirmât que la consommation dans le capitalisme était instrumentalisée pour favoriser la croissance, il prédisait dans son ouvrage Théorie de la religion que, comme conséquence ultime de la croissance industrielle, il s’avérerait que le sens de la production n’était rien d’autre que la consommation de richesses - une évolution qui semble s’être réalisée avec la nouvelle société de consommation triomphante. [11] Pour qualifier cette forme de consommation inutile et excessive, Bataille utilisait souvent le néologisme consumation, au lieu du terme usuel de consommation. Consumation signifiait une forme totale de consommation immodérée et contrastait ainsi avec la consommation ou l’utilisation utile des biens capitalistes. [12] Bataille semble avoir compris que la différence entre la marchandise, d’une part, et le sacrifice, d’autre part, disparaît au moment où la haine moderne pour le gaspillage s’efface devant une ivresse dans laquelle la production et le gaspillage fusionnent.
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ans la réflexion sur le Wirtschaftswunder d’aprèsguerre et l’opulence y afférente, le thème de la consommation prend une place de plus en plus centrale. Dans l’Internationale Situationniste, Asger Jorn affirme que les ‘grands capitalistes’ modernes s’adonnent, il est vrai, beaucoup moins à une consommation excessive que les souverains puissants d’antan, mais il souligne que la consommation en général a toutefois fortement augmenté: “La production capitaliste est caractérisée par une propagande de la consommation populaire qui atteint une puissance et un volume incroyables.” [13] Guy Debord, dont les écrits consti-
tuèrent de 1958 à 1968 le fil rouge à travers les numéros de l’Internationale Situationniste, prétend que cette évolution entière a abouti à une société dominée par le spectacle. Le capital s’est accumulé à tel point qu’il est devenu image. Cette société de spectacle est cependant dominée par une forme de consommation passive et isolée. Des annonces publicitaires pour des voitures ou des boissons, par exemple, sont fréquemment reproduites dans l’Internationale Situationniste, à chaque fois pour illustrer la manière dont les biens sont transformés en images. Selon Terry Smith, le terme de production, dans le contexte capitaliste, a deux significations. La production peut représenter, d’une part, la production de biens et, d’autre part, la production d’un spectacle, tel que la ‘production’ d’un show ou d’un film. [14] Ce n’est que dans les années ‘50 et ‘60 que la dimension spectaculaire des biens commence véritablement à occuper une place centrale. Dans l’entre-deux-guerres, le plus grand intérêt émanait de la production (de masse) industrielle: les modernistes du Ring Neue Werbegestalter étaient en ce temps singulièrement pudibonds lorsqu’ils illustraient la consommation dans leurs projets d’annonces publicitaires. Pour eux, il s’agissait de biens fabriqués de façon industrielle, qui constituaient manifestement un objectif en soi et qui n’étaient pas destinés à la consommation. [15] Dans la situation d’après-guerre, lorsque la production et la consommation se stimulèrent mutuellement jusqu’à des niveaux jamais vus, il n’y eut plus moyen d’y échapper. Lorsque de nouveaux produits à cycle de vie de plus en plus court firent accroître le nombre d’annonces comportant des illustrations d’un autre genre, on fut bien obligé de se rendre à l’évidence qu’une société de consommation à part entière venait de voir le jour.
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ans cette situation, le modèle de l’artiste en tant que producteur allait néanmoins ressusciter. Des artistes comme Carl Andre, Richard Serra, Donald Judd
du curateur. C’est ce qui arrive actuellement en art public: quelqu’un a deux projets qu’il tente de jumeler. Et au lieu de l’architecte c’est l’artiste qui peut trouver la solution. En général votre œuvre présente une aura de rationalité. Cependant, vous faites également des performances, parfois sous hypnose. Nous avons déjà parlé de l’évolution dans votre œuvre et votre manière de penser. Quelle place tiennent ses performances dans tout cela? Elles existent temporairement. C’est une autre façon de concevoir le contexte de mon ego. Le public est parfois un peu réservé parce que les performances sont tellement théâtrales et dynamiques. Elles décrivent toutefois le contexte qui se trouve à la base de mon œuvre. Elles doivent donc être plus émotionnelles et plus subjectives. C’est une échappatoire. En plus, les performances sont une façon excellente de créer un espace par moi-même, sans objets. Elles présentent une belle interaction avec mon autre œuvre et je ne voudrais pas de l’un sans l’autre. Ces dernières décennies notre société s’est fortement médiatisée. Le monde de l’art n’a pu se soustraire de la façon généralisée dont la vie se donne en spectacle. Que trouvez-vous de cette évolution? En effet, nous sommes tous devenus des voyeurs. Andy Warhol avait raison: la vie quotidienne est devenue spectacle. Mais si vous comparez les artistes aux rock-stars, aux athlètes ou aux acteurs, il est clair que le monde artistique n’a pas suivi de près cette évolution. Damien Hirst n’a aucune chance contre David Bowie. J Bert Balcaen & Lieven De Boeck
P r o d u c t i o n ou Andy Warhol adoptèrent de nouveau une ‘image de marque industrielle’ et se présentèrent comme des artistes-ouvriers. Carl Andre, connu comme l’un des initiateurs de l’Art Workers’ Coalition, portait toujours une salopette bleue. Le combat qui fut mené par l’Art Workers’ Coalition contre les musées américains dominés par la haute finance, était organisé par analogie avec les pickets de grève des syndicats ‘ordinaires’ de l’industrie. En réalité, les (post)minimalistes comme Andre, Judd ou Serra étaient plutôt des entrepreneurs que des ouvriers, plutôt des managers que des blue collar workers. Ils sous-traitaient l’exécution de leur travail à des ateliers spécialisés et à des aciéries. Contrairement à Andy Warhol, de tels artistes restent toujours confinés dans une forme de rhétorique ouvrière industrielle, sans reconnaître vraiment ce qu’ils sont en réalité: non pas des ouvriers, mais des ‘producteurs’ postmodernes. Au début des années ‘60, au moment où Andy Warhol tentait de lancer le terme de Commonism pour ce qui allait devenir plus tard le Pop Art, il se présentait également dans une tenue d’ouvrier, avec blue-jean et pull-over. Mais bien qu’il ait baptisé son studio Factory, le nom Silver Dream Factory - la variante plus longue utilisée dans une annonce pour les soirées Exploding Plastic Inevitable - indiquait déjà qu’il ne s’agissait nullement d’une usine de ‘choses’ constructivistes, mais d’une usine à rêves hollywoodienne. Warhol n’était pas un ‘fabricant’ dans le sens romantique ou constructiviste du terme, mais un manager de l’image qui ‘aspirait’ des images issues de la société du spectacle pour les transformer et les renvoyer ensuite. A partir du moment où la propre production cinématographique démarra vraiment, Warhol se comporta de plus en plus comme un producteur d’Hollywood: tandis que Paul Morrissey faisait la mise en scène et que d’autres rédigeaient le scénario, Andy Warhol apposait en personne son cachet de producteur. Vers 1970, Warhol commença à adopter le costumecravate. [16] Tandis que Warhol opérait dans le monde du specta-
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cle à partir duquel il le pervertissait, d’autres artistes tentèrent, à partir de la fin des années ‘50, de briser la dichotomie entre le producteur de spectacle et le consommateur passif de spectacle. Allan Kaprow tenta de faire participer activement les spectateurs à l’événement par le biais des environnements et happenings. Cette participation devait toutefois se dérouler dans certaines limites ou règles. Dans l’environnement Words (1962), Kaprow laissa les gens ajouter euxmêmes des mots. Le programme implicite de telles entreprises se trouve dans un des textes de Walter Benjamin qui fut redécouvert dans les années ‘60, Der Autor als Produzent (1934). Benjamin, qui écrivait dans le contexte du national-socialisme triomphant, tenta de démontrer que les écrivains et les artistes ne pouvaient se contenter de déclarer qu’ils se trouvaient du bon côté dans la lutte des classes; une position radicale n’existe que dans un changement réel de la méthode. La position réelle de chaque intellectuel ne peut être définie, selon Benjamin, qu’à partir de ‘sa position dans le processus de production’. Un auteur ou un artiste ne devient producteur que si ses produits incitent les autres à produire à leur tour et qu’ils ébranlent ainsi la distinction bourgeoise entre le fabricant actif et le public consommateur passif. “Also ist massgebend der Modellcharakter der Produktion, der andere Produzenten erstens zur Produktion anzuleiten, zweitens einen verbesserten Apparat ihnen zur Verfügung zu stellen vermag. Und zwar ist dieser Apparat um so besser, je mehr er Konsumenten der Produktion zuführt, kurz aus Lesern oder aus Zuschauern Mitwirkende zu machen imstande ist.” [17] Par rapport au radicalisme du texte programmatique de Benjamin, les arts visuels des années ‘60 et ‘70 présentent un caractère ambigu. Sans doute ne pouvait-il en être autrement. En effet, soit la participation du public devient partie intégrante de la production de spectacles (comme dans de nombreux happenings), soit on s’efforce de combattre le spectacle, si bien que les artistes se trouvent
[1] Le 24 novembre 1918 déjà, une assemblée fut tenue dans le NARKOMPROS sous le titre ‘Temple ou usine’, lors de laquelle le critique Punin mit en contraste la fabrication de la décoration bourgeoise et la production de ‘choses’; voir Hubertus Gassner, Konstruktivisten. Die Moderne auf dem Weg in die Modernisierung, in: Die grosse Utopie (cat. d’exposition), Schirn Kunsthalle Frankfurt (en collaboration avec la Galerie Tretjakov, Moscou / Musée Russe, St-Petersbourg / The Solomon R. Guggenheim Museum, New York), 1992, p. 123. [2] Hubertus Gassner, op. cit. (note 1), p. 110. [3] Hubertus Gassner, op. cit. (note 1), pp. 123-130. [4] Christina Kiaer, Rodchenko in Paris, in: Octobre n° 75, hiver 1996, pp. 3-35. [5] Voir l’entrée Kunst in der Produktion dans le glossaire de Die Grosse Utopie, op. cit. (note 1), p. 715. [6] Hubert Llewellyn Smith, The Economic Laws of Art Production, Oxford University Press, Londres / Edinburgh / Glasgow, 1924, p. 133: “The principle of economic fitness when combined with the law of congruity leads to the conclusion that all pure waste counts negatively in estimating art-value.” [7] Georges Bataille, La Notion de Dépense, (1933), in: Oeuvres Complètes I, Gallimard, Paris, 1970, p. 303. [8] Georges Bataille, op. cit. (note 7), p. 305. [9] Georges Bataille, La Part maudite (1949), in: Oeuvres Complètes VII, Gallimard, Paris, 1976, p. 126. [10] Georges Bataille, op. cit. (note 9). [11] Georges Bataille, Théorie de la Religion (1948), in: op. cit. (note 9), pp. 338-339. B -sites
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P r o d u c t i o n relégués au second plan. La disparition d’Allan Kaprow de la scène publique est liée à son dégoût de la médiatisation et de la commercialisation des happenings. Warhol, quant à lui, peut être considéré comme celui qui a chassé le potentiel avant-gardiste du happening. La Factory était dans les années ‘60 un happening permanent d’exhibitionnistes qui stimulaient Warhol avec leur créativité superflue; lorsque les éléments plus instables furent écartés après l’attentat, Warhol se plaignit continuellement de manquer de ‘gens fous’ créatifs pour son travail. Warhol n’incitait pas trop les autres à la ‘production’, mais les stimulait tout juste dans leur antiproduction dont il se nourrissait, tel un producteur vampirique.
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e triomphe de la production dans le deuxième sens défini par Terry Smith - production de spectacle se manifeste partout dans la culture post-warholienne. L’art n’est pas intégré dans l’usine, mais réformé d’après le modèle d’Hollywood. Aujourd’hui, les musées et les galeries d’art font souvent fonction de maisons de production, aussi bien pour les méga-objets d’artistes comme Richard Serra ou Jef Koons (nécessitant des entreprises avec la liberté d’action financière du Guggenheim) que pour les petites productions dans le domaine de l’art médiatique, nécessitant des appareils de pointe. Le potentiel utopique du terme de production continue toutefois de séduire et l’adoption de la notion de ‘production désirante’ de Deleuze et Guattari dans le discours artistique des années ‘90 en témoigne. Celle-ci fut développée dans le sillage de la révolte de 1968. Deleuze et Guattari mettent la production de désirs et la production dans l’économie politique structurellement sur un même pied d’égalité: “En vérité, la production sociale est uniquement la production désirante elle-même dans des conditions déterminées.” [18] Le désir est explicitement produit comme quelque chose de ‘productif’ et de ‘réel’: “Si le désir produit, il produit du réel.” [19] Selon Deleuze et Guattari, la psychanalyse freudienne classique l’a refoulé; Freud ne consi-
dère pas l’inconscient comme un élément actif qui soit à même d’accomplir quelque chose dans le ‘véritable monde’. Bien qu’il ait fait la ‘grande découverte’ de la production du désir, Freud a d’emblée changé ce désir en quelque chose d’irréel et de fantasmatique à travers le complexe d’Oedipe. Cet ‘idéalisme renouvelé’ a mis ‘un théâtre antique’ à la place de ‘l’inconscient comme usine’: “A l’inconscient productif, on a substitué un inconscient qui ne pouvait plus que s’exprimer”. [20] Aussi Deleuze et Guattari opposent-ils ici clairement une certaine signification de la production - la production industrielle - à la production en tant que show: L’ ‘usine’ ne lutte plus contre le ‘temple’ (comme chez les constructivistes) mais contre le ‘théâtre’. Ils ne considèrent pas seulement le ‘théâtre classique’, ou le modèle de l’inconscient adopté par la psychanalyse, mais aussi le théâtre fantasmatique de la société de spectacle. Leur analyse est toujours d’actualité de nos jours. Depuis les années ‘60, la théâtralité n’a pas seulement progressé dans les arts plastiques - à travers les happenings et le Minimal Art -, l’économie est également devenue de plus en plus théâtrale, avec un intérêt croissant des entreprises pour la génération ‘d’expériences’. [21] Deleuze et Guattari propagent une forme de production qui, comme chez Benjamin, engendre à son tour la production au lieu de la consommation passive: “La production désirante est production de production.” [22] Bien que Deleuze et Guattari aient l’œil pour ‘l’antiproduction’ ou pour ce qui est ressenti comme figeant, ‘codant’ ou conservateur dans la psyché ou le capitalisme, ils plaident avec un pathos révolutionnaire pour une production décodante qui s’extrait de manière schizophrénique des structures rigides. Le fait que les schizo-analystes aient repris l’instinct de mort freudien dans un modèle de désir moniste, dans lequel l’instinct de mort en tant qu’antiproduction ne constitue qu’un élément du désir productif, est significatif de leur entreprise. En utilisant la traduction plutôt romantique du Wunsch freudien ( un terme technique et
[12] Bataille a tiré le terme de ‘consumation’ du verbe ‘consumer’, utilisé par exemple pour indiquer qu’un certain tissu est consumé par le feu. C’était, pour Bataille, une manière de désigner la forme de ‘consommation’ totale et immodérée qu’il voulait distinguer de la ‘consommation’ utile. [13] Asger Jorn, La Fin de l’économie et la réalisation de l’art, in: Internationale Situationniste, n° 4 juin 1960, p. 20. [14] Terry Smith, Modes of Production, in: Robert S. Nelson et Richard Shiff (eds.), Critical Terms for Art History, The University of Chicago Press, Chicago / Londres, 1996, pp. 237-256. [15] Le côté sexiste de cet aspect est accentué par Maud Lavin qui note que le Neue Werbegestalter masculin a laissé tomber le ‘feminine-gendered world of consumerism. Voir Maud Lavin, Photomontage, Mass Culture, and Modernity, in: Matthew Teitelbaum (ed.), Montage And Modern Life (cat. d’exposition), The Institute of Contemporary Art, Boston, Vancouver Art Gallery, Vancouver, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 1992-1993, p. 55. [16] Voir l’analyse impressionnante de la présentation (changeante) du génie artistique de Warhol par Caroline A. Jones, Machine in the Studio. Constructing the Postwar American Artist, The University of Chicago Press, Chicago / Londres, 1996, pp. 189-267. [17] Walter Benjamin, Der Autor als Produzent (1934), in: Rolf Tiedemann et Hermann Schweppenhäuser (ed.), Gesammelte Schriften II.2, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1977, p. 696. [18] Gilles Deleuze & Félix Guattari, L’Anti-Oedipe. Capitalisme et schizophrénie, Les Editions de Minuit, Paris, 1975 (nouvelle version étendue), p. 36
P r o d u c t i o n limité) en désir, ils prêchent une révolution libidineuse, dans laquelle les tendances révolutionnaires étouffées de la psychanalyse et du capitalisme triompheront des impulsions ‘codantes’ et ‘conservatrices’ qui se voient attribuer une sorte de fonction dialectique - elles sont là pour être vaincues.
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utilisent probablement des usines pour la production de leur travail, mais ce travail finit tout comme d’autres produits dans le théâtre universel de la culture actuelle. Là-bas, il doit parvenir à déployer son fonctionnement. J Sven Lütticken
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l n’est donc pas étonnant que le travail de l’Atelier Van Lieshout, Fabrice Hybert ou Franz West dans les années ‘90 se soit avéré si approprié pour le discours deleuzo-guattarien. Les Passstücke de West et les P.O.F. de Hybert tentent de nouer une relation plus physique et non spectaculaire avec le corps. Quant aux mobile homes de Van Lieshout, ils semblent promettre, avec l’utilisation de surfaces en polyester rugueuses et colorées, une existence de nomade pleine de liaisons libidineuses ‘schizophréniques’ en dehors des sentiers battus de la vie codée. Mais, même si l’on considère de telles œuvres d’art comme une forme de ‘production désirante’ réelle, on ne peut se défaire du fait que les œuvres seront finalement présentées dans des galeries, des musées ou dans les médias. Elles découlent d’une usine de désirs mais finissent dans le théâtre du spectacle. Dans la société actuelle, la production est faite pour finir comme représentation. Il serait peu judicieux de le déplorer, car cette situation offre également des potentialités. Brecht était un des exemples ‘d’auteur en tant que producteur’ de Benjamin; il utilisa le théâtre comme un moyen d’activer le public. Bien que l’optimisme révolutionnaire de Benjamin soit difficile à partager de nos jours, son approche n’offre pas moins l’avantage de ne pas utiliser le terme de ‘production’ pour exprimer le contraste entre une forme de production ‘pure’ des choses et le spectacle malsain: il considère précisément ce spectacle plutôt comme une forme cruciale de production. Les artistes comme Fabrice Hybert ou Joep van Lieshout ne se retirent pas du secteur artistique comme l’a fait Allan Kaprow, mais laissent leurs produits infiltrer consciemment le spectacle de l’art et les médias. Les artistes contemporains [19] Gilles Deleuze & Félix Guattari, op. cit. (note 18), p. 34. [20] Gilles Deleuze & Félix Guattari, op. cit. (note 18), p. 31. [21] Un essai apologétique sur la théâtralité dans l’économie actuelle, vue sous l’angle du monde des affaires, peut être trouvé chez B. Joseph Pine II & James H. Gilmore, The Experience Economy. Every Work is Theatre & Every Business a Stage, Harvard Business School Press, Boston, 1999. Le texte classique sur la théâtralité dans les arts plastiques des années soixante est bien évidemment celui de Michael Fried, Art and Objecthood (1967) in: Michael Fried, Art and Objecthood, The University of Chicago Press, Chicago / Londres, 1998, pp. 148-172. On peut trouver chez John Miller Frieds Neffen une récente tentative intéressante d’appliquer l’analyse de Fried sur le spectacle actuel du genre Big Brother. Gameshows im Zeichen des Minimalismus, in: Texte zur Kunst 10 (2000), Heft 39, pp. 40-47. [22] Deleuze et Guattari, op. cit. (note 18), p. 12.
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l’Art et son Public Dans le climat néolibéral actuel, les institutions subventionnées comme les musées, les théâtres ou les centres culturels sont de plus en plus poussées à se ‘légitimer’. Il s’agit en partie d’une donnée financière, mais cela tient également au ‘syndrome de l’utilité’ auquel notre époque est fortement soumise: l’art doit pouvoir apporter la preuve de son ‘sens’. Le ‘public’ - le visiteur ou le consommateur - fait presque toujours figure d’élément central dans ces discussions. L’affluence du public est de plus en plus souvent utilisée comme moyen d’évaluer le ‘succès’ d’une exposition. Cette logique pragmatique est toutefois réductrice à de nombreux égards. Car une exposition dite ‘peu fréquentée par le public’ est-elle réellement moins passionnante qu’un grand succès? Ou à l’inverse, une méga-exposition a-t-elle ‘plus de sens’ qu’un modèle à plus petite échelle? Et qu’en est-il de l’argument de la ‘démocratisation’ que brandissent à tort et à travers de nombreuses instances politiques? La relation entre l’art et le ‘public’ est loin d’être univoque, elle est déterminée par une série de facteurs historiques, sociaux, politiques et économiques. UN INSTITUT LEGER - SENSIBLE - FRIVOLE* UN INSTITUT q u i e s t m o b i le , e t p ré s e n t: d a n s la ru e s u r i n te rn e t à la ra d i o , à la té lé d a n s d e s m a g a z i n e s , d e s j o u rn a u x UN INSTITUT q u i fa i t s e re n co n tre r s e s a s s o ci é s à d i v e rs e n d ro i ts d a n s la v i lle q u i s e m a n i fe s te d a n s d e s e n d ro i ts p u b li cs o u q u i s ’e n g a g e à o u v ri r ce q u i e s t e n co re n o n p u b li q u e a u p u b li c: co m m e u n e u s i n e , u n b u re a u , u n e m a i s o n , u n j a rd i n , o u d ’a u tre s te rra i n s d i v e rs UN qui qui qui
INSTITUT s e b a s e s u r le n o m a d i s m e u rb a i n tra v e rs e co n s ta m m e n t le s fro n ti è re s i n v i s i b le s b ru x e llo i s e s n e tra d u i t p a s le s la n g u e s m a i s e n fa i t u n m i x n o u v e a u
UN INSTITUT q u i e s t u n re la i s , u n s wi t c h b o a r d , u n e i n te rfa ce q u i fa i t le co n ta ct e n tre le s ch o s e s e n co re i s o lé e s q u i d o n n e d e s re n s e i g n e m e n t s u r le s re n s e i g n e m e n ts q u i d o n n e d e s i n fo rm a ti o n s u r le s i n fo rm a ti o n s q u i fa i t d e s v i s u a li s a ti o n s d e s ch o s e s q u i n e s o n t p a s e n co re v i s i b le s q u i s ’o ccu p e d ’u n e p a rt d e la m a cro - i n fo rm a ti o n , d ’a u tre p a rt d e la m i cro - i n fo rm a ti o n
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a signification actuelle des notions de public [1] et d’art repose sur un glissement qui s’est effectué dans le contexte social et culturel du 19ème siècle. La chute de l’Ancien Régime correspond en effet à des transformations importantes dans la position sociale de l’art et de l’artiste. Ils perdent leur relation évidente et directe avec les ‘utilisateurs’ traditionnels de l’art, à savoir la noblesse et le clergé. Dans la modernité, l’art se dissocie de l’Etat et de la religion, et est élevé au rang ‘d’art (supérieur)’. Les artistes modernes travaillent de moins en moins pour un client déterminé, mais font de l’art pour la bourgeoisie anonyme des grandes villes, qui devient aujourd’hui le ‘public de la rue’. Cette population est toutefois un ‘public sélect’, une élite politique et sociale, qui s’approprie l’art (supérieur). La formation des Etats-nations libéraux, citoyens entraîne également une nouvelle économie du pouvoir culturel. [2] Dans la nouvelle société, l’art n’est en effet plus placé sous le signe du pouvoir de la noblesse, mais va faire partie de la sphère publique de plus en plus importante dans laquelle le citoyen se voit conféré un rôle actif. Dans ce processus (sociologique) de ‘rationalisation’, une transition se fait d’un ”espace social relativement homogène - propre à l’Ancien Régime (...) vers un système social plus complexe, constitué à son tour de plusieurs sous-systèmes (jurisprudence, économie, politique, esthétique).” [3] Dans la société civile, les normes ne sont plus imposées à partir d’un centre politico-religieux, mais à partir de plusieurs sous-systèmes autonomes et décentralisés. Le citoyen peut et doit donner une signification et une valeur aux produits culturels par un débat rationnel. Le nouveau lieu de ce débat est le UN INSTITUT q u i ch e rch e à ê tre tra n s - cu ltu re l e t à s u p p o rte r u n p ro ce s s u s v ra i m e n t ré ci p ro q u e q u i s u p p o rte d e s ca n a u x d ’i n fo rm a ti o n fo n cti o n a n t d a n s le s d e u x sens q u i p re n d la m a lco m p ré h e n s i o n - fa i s a n t n é ce s s a i re m e n t p a rti e d ’u n p ro ce s s u s tra n s cu ltu re l - co m m e u n é lé m e n t cré a ti f q u i n ’a p a s p e u r d ’u ti li s e r l’a ttra cti o n p u re m e n t e s th é ti q u e d ’u n e a u tre cu ltu re s a n s la co m p re n d re (p a rce q u e c’e s t p a r ce p ro ce s s u s q u e le s fro n ti è re s s o n t tra v e rs é e s ) UN qui qui qui qui qui
INSTITUT tra v a i lle e n g ro u p e a s a b a s e d a n s le co lle cti f e s t o u v e rt a l’e x p é ri m e n ta ti o n s a i t p re n d re d e s ri s q u e s n ’a p a s p e u r d ’u n é ch e c p o u r a rri v e r à u n s u ccè s
q u i p ro p o s e l’i n co n n u e t la i s s e le co n n u a u x v ra i e s i n s ti tu ti o n s cu ltu re lle s p a s u n e A SBL (A s s o ci a ti o n Sa n s Bu t L u cra ti f) m a i s u n e A L SB (A s s o ci a ti o n L é g è re Sa n s Bu re a u cra ti e ) *en néerlandais le mot ‘lichtzinnig’ a une triple connation ‘licht’ = léger; ‘zinnig’ = sensible; ‘lichtzinnig’ = frivole. Tjebbe van Tijen Imaginary Museum Projects (IMP), Amsterdam
P u b l i c musée: grâce au musée, l’art se voit attribué un espace où il est rendu ‘public’. Cette évolution est notamment possible grâce à la capitalisation croissante du 19ème siècle. Le sous-système économique gagne en importance par rapport aux autres sous-systèmes, de sorte qu’apparaît une ‘production artistique commercialisée’. L’art n’a plus de donneur d’ordre, mais un client: la bourgeoisie.
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tant donné que la construction d’une identité n’est réussie que lorsqu’elle en a ‘une autre’ à laquelle s’opposer [4], il y a au 19ème siècle, en regard de l’art ‘supérieur’, ce qu’on appelle l’art ‘populaire’, avec ses propres rituels et ses usages. [5] L’art supérieur a une valeur éducative: davantage de civilisation devrait élever l’individu moralement. Les musées se voient attribuer la tâche sociale du Bildung. [6] Selon Tony Bennett, ‘civiliser’ le peuple n’est toutefois pas en principe le ressort de la bourgeoisie dans l’institution du musée. Le musée est, en outre, mis en œuvre pour donner force au nouveau projet politique. [7] L’Etatnation a besoin d’une identité propre et l’art et ses institutions doivent apporter leur contribution. La nouvelle élite bourgeoise veut maîtriser, contrôler et diriger le comportement social. [8] La tendance typiquement moderne à la classification historique et chronologique (et donc à la fragmentation), représente l’image d’une société citoyenne idéale: ordonnée et claire. Les mécanismes de sélection et les stratégies de présentation du musée expriment donc avant tout les idées de ce groupe dominant, [9] de sorte que le musée selon les termes de Gramsci - renforce son ‘hégémonie culturelle’. Au 20ème siècle, l’art supérieur véritable ne se différencie plus de l’art populaire, mais de la ‘culture de masse’. La distinction classique entre élitiste et ‘propre au peuple‘, est remplacée par la subdivision entre l’élitiste d’une part et le populaire, d’autre part. Avec l’avènement de l’Etat-providence d’après-guerre,
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la division rigide des classes du 19ème siècle s’atténue et l’on vise une plus grande égalité sociale. Avec l’avènement de la culture de l’image, les pratiques socioculturelles deviennent, en outre, plus accessibles à tous.
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heodor Adorno et Max Horkheimer - les penseurs d’inspiration marxiste de la Frankfurter Schule - ont développé une vision négative de la culture de masse. La culture de masse s’accompagne, selon eux, du développement d’une industrie culturelle, avec comme corollaire une standardisation des produits culturels. Par le renforcement des pouvoirs économiques et l’augmentation du bien-être, ces produits perdent leur ‘authenticité’ et ne présentent plus qu’une simple valeur d’échange (économique). Ils vont ‘s’aliéner’ des destinataires et devenir la proie d’un ‘fétichisme matériel’ distant. Adorno et Horkheimer considèrent le ‘public’ comme un groupe de victimes incapables de se défendre, pénalisées par les conséquences de cette commercialisation. [10] Walter Benjamin partage, en un certain sens, les idées d’Adorno et de Horkheimer sur le développement de l’industrie culturelle. Benjamin a d’ailleurs été le premier à analyser le terme ‘industrie culturelle’ en 1936. Dans un article renommé intitulé Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit, il indique que les possibilités croissantes de reproduction de l’œuvre d’art entraînent la perte de ‘l’aura’ ou de ‘l’ici et maintenant de l’art’ (son existence unique à l’endroit où il se trouve), de son authenticité ainsi que de son respect et de sa vénération (démystification). [11] A l’instar d’Adorno et Horkheimer, Benjamin montre que la valeur d’échange ou la valeur d’exposition de l’œuvre devient plus importante que la valeur du culte de l’œuvre. Contrairement à Adorno, Benjamin ne développe toutefois pas de vision entièrement négative de l’industrie culturelle. [12] Selon Benjamin, la reproduction n’a pas seulement des conséquences néfastes, elle possède aussi un
[1] ‘Le public’ est une notion utilisée dans tous les contextes possibles. Le problème est qu’il s’agit d’un terme très abstrait. L’hétérogénéité des acteurs a notamment pour effet que le terme n’a pas de traduction précise dans la réalité. Malgré l’ambiguïté conceptuelle du terme ‘public’, nous l’utiliserons dans la suite de l’article à défaut d’alternative, étant entendu que l’on entend par là un groupe de ‘lecteurs’ des arts plastiques. [2] Tony Bennett, The Birth of the Museum, Routledge, London / New York, 1995, pp. 17 - 58. [3] Koenraad Geldof, Cultuur en openbaarheid: van problematiek naar mythe. De kunstsociologische opvattingen van Rudi Laermans, in: Boekmancahier, jg. 5, n° 15, 1993, p. 11. [4] James Clifford, Museums as contact zones, in: David Boswell & Jessica Evans (eds), Representing the Nation: A Reader, Routledge, London / New York, 1999, p. 454. [5] Kees Epskamp, Theatre in Search of Social Change. The relative significance of different theatrical approaches, CESO, La Haye, 1989, pp. 38 - 41. [6] Hans Theodorus Blokland, Wegen naar vrijheid. Autonomie, emancipatie en cultuur in de westerse wereld, Eburon, Amsterdam / Meppel, 1995, p. 273. [7] Tony Bennett, op. cit. (note 2), p. 66 & Pedro Lorente, Cathedrals of urban modernity: the first museums of contemporary art, 1800-1930, Ashgate, Aldershot/Brookfield, 1998, p. 35 - 40. [8] Tony Bennett, op. cit. (note 2), pp. 63 - 88. Voy. aussi Pedro Lorente, op. cit. (note 7), pp. 21 - 28. [9] Tony Bennett, Culture. A Reformer’s Science, Sage, London / Thousand Oaks / New Delhi, 1998, p. 72. B -sites
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P u b l i c potentiel fondamentalement révolutionnaire. Ainsi, le média qu’est le film ne représente pas seulement de grandes possibilités sur le plan de l’observation - comme la stimulation de l’optique-inconscient - mais également sur le plan de la politique - comme moyen de sensibilisation politique du public. [13]
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e glissement de la distinction classique entre bourgeoisie et peuple (sur la base de la classe) vers une distinction entre élite et masse (sur la base du nombre) a considérablement compliqué les discussions sur le triptyque art supérieur/art mineur/public. Bien que le développement de la culture de masse n’ait pas entraîné la disparition de la culture populaire, cette dernière ne joue plus que rarement un rôle fondamental dans le paysage culturel actuel. Le ‘niveau intermédiaire’ de la culture (de masse) populaire a repris le flambeau. Et comme tout le monde entre bon gré mal gré en contact avec ces cultures populaires ou présente des affinités avec elles, la position culturelle élevée évidente de l’art se retrouve sur un terrain glissant. L’art signifie-t-il encore quelque chose dans la diffusion générale de la culture? Et qu’en est-il des institutions culturelles? Représentent-elles encore une grande priorité dans la vie de l’individu? Ou sontelles en effet, comme le dit Eilean Hooper-Greenhill du musée, parmi toutes les institutions sociales, ‘les plus simples à contourner’? [14] Du point de vue sociologique, la position élitiste de l’art a déjà été critiquée à plusieurs reprises. Pierre Bourdieu considère la visite d’expositions et de musées comme une ‘stratégie culturelle’ qui reproduit la différence de classe. [15] L’appréciation de certaines formes d’art est liée, selon lui, à la ‘classe’ à laquelle une personne appartient et au capital culturel qu’une personne possède. Bourdieu indique que le système d’enseignement définit les pratiques non légitimables (toutes les formes d’esthétiques quotidiennes) et légi-
timables (formes esthétiques intermédiaires comme le film, la photographie, la chanson) et qui font partie de la culture ‘légitime’ (art supérieur). Cependant, la perspective des études sur la culture, la subdivision classique du ‘public’ en classes est fortement critiquée. Dans l’ère actuelle de la ‘postmodernité culturelle’, on constate en effet, selon Rudi Laermans, une ‘horizontalisation de la culture’, qui met fin à l’opposition supérieur-mineur que Bourdieu institue avec sa théorie du statut. [16] La culture ‘légitime’ remplit toujours, il est vrai, une fonction centrale, mais se trouve à présent sur la même ligne que différentes sous-cultures, qui ont toutes leurs propres instances de légitimation. Dans le champ de la culture légitime, le système d’enseignement continue à remplir le même rôle, mais les sous-cultures périphériques ne se sentent plus contraintes par cette instance de légitimation. A l’intérieur de leur propre champ, on oppose les expressions artistiques les unes aux autres et on crée ses propres canons. Par conséquent, on ne parle plus d’une seule culture légitime. Cette horizontalisation de la culture entraîne, en outre, le fait que ‘le public’ n’appartient plus à des ‘classes’, mais à divers sous-systèmes culturels.
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es récentes études muséales anglo-saxonnes mettent l’accent sur l’importance d’une vision qualitative en lieu et place d’une vision quantitative du public. A l’aide d’une approche bottom-up - la ‘démocratisation’ -, on veut éviter d’attribuer a priori une importance à l’art et à son musée. Contrairement à Adorno et Horkheimer, on refuse de croire que le public se soumet docilement, mais on ajoute que l’individuel et le collectif peuvent faire preuve d’une grande créativité dans le décodage et l’interprétation des messages. L’ambition d’une véritable démocratisation doit consister à ‘communiquer’ réellement avec les ‘lecteurs’ des œuvres d’art. Cela signifie que les institutions culturelles doivent tenter d’atténuer la peur d’y entrer Clifford parle à cet égard de l’évolution des museums-
[10] Theodor W. Adorno, Max Horkheimer, The culture industry: Enlightenment as mass deception, in: Dialectic of Enlightenment, Herder and Herder, New York, 1972. [11] Walter Benjamin, Het kunstwerk in het tijdperk van zijn technische reproduceerbaarheid en andere essays, SUN, Nijmegen, 1996, pp. 7-45. [12] A cause de cette raison Benjamin a gagné sa position dans la tradition de culture studies. Voy. à ce propos: Angela McRobbie, The place of Walter Benjamin in cultural studies, in: Postmodernism and Popular Culture, Routledge, London, 1994. [13] Plus tard, Benjamin a également compris que le film pouvait être aussi dévoyé pour en faire de la propagande politique. [14] Eilean Hooper-Greenhill, Education, communication and interpretation: towards a critical pedagogy in museums, in: Eilean Hooper-Greenhill (ed.), The Educational Role of the Museum, Routledge, London / New York, 1999, p. 11. [15] Pierre Bourdieu & Alain Darbel, L’amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Eds. de Minuit, Paris, 1969; Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Eds. de Minuit, Paris, 1979. [16] Rudi Laermans, Het relatieve gelijk van Pierre Bourdieu: de legitimiteit van kunst en cultuur binnen de postmoderniteit, in: Joris Vlasselaers & Jan Baetens (eds), Handboek Culturele Studies. Concepten, problemen, methoden, Acco, Leuven / Amersfoort, 1996, pp. 23-32. [17] James Clifford, op. cit. (note 4), pp. 435-457. [18] Eilean Hooper-Greenhill, in: op. cit. (note 14), Learning in art museums: strategies of interpretation, pp. 44-52; & Museum learners as active postmodernists: contextualizing constructivism, pp. 67-72.
P u b l i c as-collections vers des museums-as-contact zones [17] - et devenir des espaces sociaux concrets. D’autre part, il faut renoncer, dans les présentations, à la communication linéaire d’une certaine connaissance ‘objective’ entre le visiteur et l’œuvre, et ménager davantage d’espace pour ‘l’interaction et l’interprétation’. [18] Enfin, on indique que le décompte des visiteurs n’est pas une référence de valeur du niveau de démocratisation concret d’une entreprise. La grande affluence ne garantit pas une démocratisation fondamentale de l’approche. L’approche qualitative-interprétative des études muséales et des études de la culture en général, implique toutefois certaines restrictions. La focalisation sur le micro-contexte de la présentation entraîne l’apparition d’une sorte d’inward looking narcissism, empêchant un renouvellement et une ouverture vers l’extérieur. [19] Le macro-contexte de la culture en général est en effet laissé de côté. L’argumentation se concentre sur la consommation culturelle et n’établit donc pas de lien avec les facteurs historiques, sociaux, politiques et économiques plus larges de la production et de la distribution culturelles actuelles.
bagage culturel plus important rend l’individu plus fort et plus tolérant. Les pouvoirs publics estiment qu’il leur incombe de donner des possibilités de participation et de favoriser la diffusion géographique et sociale de la culture. Assez paradoxalement, cette vision part toujours de la signification que l’on donnait à l’art au 19e siècle et on associe l’élargissement de la ‘compétence culturelle’ à l’accession à la culture soi-disant supérieure. Le débat actuel autour du ’public’, la démocratisation de sa participation à la culture, part toujours de la distinction verticale classique entre art supérieur et mineur. La démocratisation va toutefois plus loin que le fait de rendre ‘accessible’ ou ‘consommable’ le sommet de la production culturelle. Si l’on veut obtenir un quelconque mouvement dans les argumentations sclérosées, il est temps de revoir la mentalité politique paternaliste [21] et que l’on cesse de présenter comme une panacée une soi-disant ’culture légitime’. J Olga Van Oost
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ujourd’hui, il est devenu presque impossible de développer une vision uniforme de ‘l’art’ et du ‘public’. Une articulation du public conforme à la politique suivie apparaît donc comme une matière problématique. L’argumentation populaire de la ‘démocratisation’, avancée par la politique culturelle flamande actuelle, part en effet beaucoup trop souvent (d’une réinterprétation) de l’idéal classique du Bildung, dont ressort nettement la vision du sociologue Hans Blokland. [20] A la base de cette démonstration, on trouve généralement la thèse qu’un individu devient plus autonome et plus critique grâce à un surcroît de ‘culture’. Le contact avec un large éventail de pratiques culturelles élargirait son potentiel de choix réels et le rendrait plus libre et plus riche. On part du principe qu’un [19] Marjorie Ferguson & Peter Golding, Cultural Studies in Question, Sage, London, 1997, p. xv. [20] Hans Theodorus Blokland, op. cit. (note 6), pp. 273 - 279. [21] ‘Paternalisme’ est considéré comme positif par Hans Blokland. Voy. Hans Theodorus Blokland, op. cit. (note 6).
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A r c h i t e c t u r e
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Architecture’s attempt to be more artistic than art is the problem facing us today. Architects do not draw plans, they draw (like artists). Architects do not write invoices, they write poetry, sometimes even books. (Thank God that not all architects paint!)
Markus Lüpertz [1]
A propos de l’Art, de l’Architecture et des Architectes [*]
Par cette célèbre boutade peu flatteuse à l’adresse des architectes, l’artiste Markus Lüpertz revendiquait une fois de plus, au début des années ‘80, de ‘l’espace’ pour l’art. Lüpertz visait principalement les architectes qui se forgeaient une image d’artiste et qui ne pensaient, lors de la conception d’espaces de musées, qu’à la présentation de leur style propre et identifiable. L’architecture des nombreux musées qui faisaient leur apparition un peu partout dans le monde entier à un rythme soutenu, était un anathème pour l’art. Les architectes vedettes comme Richard Meier, Renzo Piano et Richard Stirling récoltaient les lauriers, alors que l’art était relégué au second plan, dans une série d’espaces où il était à peine mis en valeur.
l ’ O b s e s s i o n E m p l a c e m e n t
P r o b l é m a t i q u e S i g n i f i c a t i f
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A quel endroit de Bruxelles peut-on placer un nouveau centre d’art contemporain ? Dans le centre ville traditionnel ou dans les lieux de nouvelle centralité de la périphérie? A proximité des institutions consacrées ou au beau milieu de la vie de tous les jours? Dans la ville haute ou la ville basse? Comme pionnier dans un quartier dégradé ou comme un coq en pâte sur le Mont des Arts? ‘Simplement’ dans un lieu ‘ordinaire’? En posant ce type de questions, on semble toujours prendre comme point de départ que la localisation d’un centre d’art contemporain aura un impact particulier sur la ville et que cet impact est important et positif. Par l’affirmation de cette conviction, des considérations plus rationnelles ou quotidiennes passent à l’arrière-plan, parfois trop. L’accent posé sur les aspects indirects du choix de l’endroit déséquilibre à notre avis la problématique sur laquelle on s’interroge. On accorde surtout de l’intérêt à l’impulsion significative que le centre peut donner au développement urbain, alors que l’on nie l’influence du lieu sur le centre artistique lui-même, sur son programme, sa politique ou l’art et les artistes qui vont avec. Le projet radical des architectes DTN thématise le caractère problématique de cette attention expresse pour le lieu. Nous souhaitons, par le biais de deux provocations, continuer à creuser cette question. B -sites
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ujourd’hui, la boutade de Lüpertz n’a rien perdu de son actualité. Le débat sur les rapports entre art et architecture reste souvent posé dans les mêmes termes stéréotypés et se limite à la relation classique entre l’objet d’art et l’architecture environnante. La pensée sur ‘l’espace’ en général et sur ‘l’architecture’ en particulier - a néanmoins connu une telle expansion que ce serait faire preuve d’une vision très réductrice de la complexité de la problématique que de borner la réflexion sur l’art et l’architecture aux ‘bâtiments’ concrets, voire à l’interventionnisme des architectes. Dans la création d’espaces artistiques, le rôle de l’architecture va en effet plus loin que la signification classique d’édification de ‘bâtiments adaptés à ‘l’art’. Penser chaque ‘espace artistique’ - qu’il soit concret ou virtuel - est nécessairement lié à une décision architecturale fondamentale. L’utilisation de l’expression ‘espace artistique’ présuppose l’existence d’un ‘lieu’ descriptible ou d’un ‘endroit’ visible. La ‘détermination du lieu’ en elle-même - c’est-à-dire la délimitation et l’occupation d’un ‘terrain’ - implique toujours une action architecturale, et dans une certaine mesure aussi urbanistique. La détermination d’un endroit comprend le traçage ou la définition de ses limites, même si celles-ci peuvent être considérées comme fluides, variables et extensibles. La réflexion sur une ‘place’ pour l’art contemporain s’effectue rarement sur une base aussi abstraite. Déterminer, choisir et construire un certain lieu sont des opérations simultanées à la planification d’une réalisation concrète, dans un contexte, un milieu, une ville ou un groupe de personnes bien déterminés. Dans la plupart des cas, ce choix d’un endroit - un bâtiment, une architecture ou n’importe quelle interface - n’est pas une action isolée. Ce choix fait partie d’un processus au cours duquel sont prises simultanément des décisions concernant le programme, la gestion, les finances, et ainsi de suite. Partant du principe que chaque choix ‘architectural’ ou ‘urbanistique’ d’un endroit a toujours des répercussions sur le programme,
la logistique et les finances, il peut être intéressant pour une fois de retourner cette logique, ou mieux d’y réfléchir en termes de ‘potentialités’ et non ‘d‘implications’ ou de ‘restrictions’. Quelles sont toutes les possibilités qui surgissent au moment où l’on choisit tel ou tel endroit, ce bâtiment ou un autre? Quels sont les avantages d’un lieu situé dans le centre-ville ou à la périphérie? Et faut-il opter pour un loft, un garage ou un bâtiment scolaire?
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a réflexion sur les potentialités urbaines et architecturales d’un centre d’art contemporain, par exemple, peut difficilement être dissociée de sa réalisation ou de sa création effective. Par ailleurs, comment penser un endroit concret pour un centre si celui-ci n’existe pas encore? De façon générale, peut-on ‘imaginer’ un endroit s’il n’existe pas de programme précis ou concret? Et quel est l’intérêt de réfléchir d’abord à un lieu concret pour déterminer ensuite ‘l’espace artistique’ qui pourrait lui correspondre? Commencer l’interrogation au niveau de l’espace architectural ou urbanistique et pas à celui du programme offre néanmoins beaucoup plus de possibilités. En l’absence d’un programme, il existe en effet un degré de liberté qui pourrait conduire à un ‘bénéfice’ potentiel sur le plan urbain et architectural. En postposant le choix concret d’un lieu, on peut non seulement réfléchir librement aux options urbanistiques et architecturales, mais on obtient soudain aussi la liberté d’établir ces options à l’avance, en tant que choix programmatiques. Il devient dès lors possible de penser un programme avec un endroit/lieu. Toutefois, cette approche suppose que l’on ne pense pas le rapport entre architecture et art uniquement en termes de subordination. On a reproché à diverses reprises - et généralement avec raison - à l’architecture de caresser l’ambition de saboter les projets artistiques: une œuvre d’art ne ‘produit pas son effet’ dans un certain espace, parce que celui-ci est, par
Pour qui se prend le centre d’art contemporain? Dans les récents développements urbains, on peut détecter toute une gamme d’influences sur la ville des activités liées à l’art. Celles-ci peuvent être recherchées ou inconscientes, progressives ou spectaculaires. La revalorisation du quartier de SoHo à Manhattan et le musée Guggenheim à Bilbao sont exemplaires de ces possibilités. Depuis les années ‘70, SoHo constitue un des lieux de prédilection pour l’installation du monde artistique à New York. Au départ, l’arrivée d’une communauté artistique était issue de décisions spontanées et individuelles, pas le moins du monde de l’ambition d’apporter une transformation urbanistique. Pourtant, cette émergence a mené à une résurrection générale de cette partie de la ville et finalement à une forme poussée de gentrification, qui, entre-temps, a chassé les premiers pionniers depuis déjà longtemps. Le récent développement de SoHo a prouvé qu’un mélange progressif d’habitants et d’utilisateurs provoque vite un raz-de-marée irrésistible, avec pour conséquence une homogénéisation néfaste. Aujourd’hui, la revalorisation de SoHo est même devenu un modèle utilisé à plusieurs reprises comme stratégie consciente de transformation urbaine. A l’inverse, le musée Guggenheim de Bilbao ne constitue que la partie la plus médiagénique du gigantesque programme d’investissement destiné à transformer la cité portuaire de Bilbao en un nœud d’attraction dans l’économie de réseau mondialisée. Ce projet illustre de manière remarquable comment la localisation d’un musée est au moins autant le résultat d’une politique urbaine que
A r c h i t e c t u r e exemple, trop exigu ou trop grand, trop haut ou trop bas, trop lumineux ou trop sombre, trop expressif ou trop banal. On attend de l’architecture qu’elle laisse l’art ‘vivre sa vie’ et qu’elle se mette au service des caprices de l’art. Pour conserver le maximum de possibilités, on demande également sans cesse à l’architecture d’être ‘flexible’. En effet, l’on est convaincu que c’est seulement à ce prix que l’architecture sera capable de se mettre réellement au service de l’art. On nous dit que l’architecture flexible est polyvalente, et, ajoute-t-on, elle présente des possibilités spatiales quasi illimitées et n’entrave pas les ambitions de l’art. En plus, elle ouvre la voie à une ‘infinité de possibilités’ et permet à l’art capricieux de mettre tous ses projets à exécution. La demande de ‘flexibilité’ architecturale dans les espaces d’exposition va souvent de pair avec une demande de ‘neutralité’ ou de ‘transparence’ des espaces de musée et/ou des institutions. En somme, le souci est toujours de traduire sur le plan architectural le désir d’implanter un espace artistique ‘non médiateur’.
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ependant, la flexibilité est une ‘qualité’ que l’architecture ne peut que difficilement réaliser. Par essence, l’architecture n’est jamais ‘flexible’. Aucune architecture au monde ne peut recevoir tout l’art (sous toutes ses formes). Chaque ‘possibilité’ architecturale contient inéluctablement une limitation. Le concept de flexibilité constitue donc plus souvent un euphémisme pour l’incapacité d’accepter le ‘déterminisme’ inévitable de l’architecture. Comme le fait justement remarquer Joseph Montaner, l’idée d’un espace d’exposition neutre, blanc et transparent s’est de plus en plus révélé être une ambition plutôt qu’une réalité; un idéal éphémère et non réalisé. [2] Quelques bâtiments qui incarnent le paradigme de la flexibilité, comme le Museo de Arte Moderno à São Paulo de Lina Bobardi (1957), la Neue Nationalgalerie à Berlin de Mies van der Rohe (1962 - 1968) ou le Centre Pompidou à Paris de Renzo Piano et Richard Rogers (1972 - 1977), semblent en
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outre constituer proprement le cauchemar de leurs propres avocats. [3] La Neue Nationalgalerie à Berlin de Mies Van der Rohe, qui exaltait l’idée de flexibilité jusqu’à son propre mérite architectural, est paradoxalement caractéristique du désir insatiable de flexibilité: par son indéterminisme manifeste, cet espace est plus fortement connoté qu’une salle d’exposition classique. Y a-t-il donc dès lors encore un sens à continuer de se tracasser des ‘limites’ qu’implique tout choix architectural? C’est dans la nature de l’architecture de ne pouvoir construire ni un ‘laboratoire’, ni de la ‘flexibilité’. C’est une illusion de penser que la flexibilité concrète d’un bâtiment spécifique est convertible avec la flexibilité de programmation exigée ou attendue. C’est précisément la tâche de ce programme d’exploiter cette inéluctabilité de manière flexible.
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es tentatives les plus récentes de traduire ce désir de flexibilité architecturale au niveau de la programmation consistent à développer une variante urbaniste. La flexibilité ne se limite plus à un seul bâtiment, mais réside dans l’exploitation libre de la ville dans sa totalité. Les espaces artistiques ne possèdent plus d’espace ‘propre’, à moins d’un lieu logistique, d’un bureau [4], mais font correspondre perpétuellement le programme et le lieu. Les endroits sont occupés en fonction d’un programme et les programmes sont développés dans le sens d’un lieu trouvé ou choisi. Dans l’exploitation libre des ‘espaces’, l’institution utilise une stratégie comparable à celle de l’art. Le paradoxe de ce mode de travail ‘parasitaire’ est toutefois que c’est précisément le refus de s’installer dans le ‘déterminisme’ d’un bâtiment qui résulte finalement dans l’acceptation implicite du déterminisme souvent beaucoup plus fort de bâtiments toujours différents et toujours nouveaux. Le désir auparavant abstrait de flexibilité spatiale ne trouve une issue partielle que dans la flexibilité urbaniste et se heurte de nouveau inévitablement à la réalité qui s’est construite sur un espace
de la politique d’un musée. Le désir d’expansion de l’entreprise Guggenheim pour ouvrir des filiales étrangères et le souhait de Bilbao de pouvoir participer à la lutte internationale entre les villes se sont merveilleusement trouvés. La présence d’un programme artistique dans un certain lieu constitue le cœur d’une politique bien pensée qui fonctionne indépendamment de ce programme. A Bruxelles, on peut parler en termes semblables du lieu d’installation d’un centre d’art contemporain. Par exemple, lorsque l’on se demande quel rôle jouerait la situation d’un tel centre dans la ville basse, on en revient, par la fièvre de revalorisation qui touche pour le moment le quartier de la rue Dansaert, à l’exemple de SoHo. Même si la revalorisation visible ne se concentre que dans une seule moitié de la rue Dansaert, elle attire ici une extension remarquable d’activités connexes et d’utilisateurs. Dans les quartiers jusqu’ici moins parés de la ville basse, les programmes liés à l’art, comme l’Etablissement d’en Face dans la rue d’Artois, la réunion de Roommade, De Witte Raaf et Argos dans la rue des Commerçants et les galeries rassemblées près du canal, ont un rôle comparable à la ‘colonisation’ progressive de SoHo à ses débuts. Toutefois, lorsque l’on prend comme point de départ du choix d’un lieu une transformation urbaniste, on échappe au processus initial de SoHo. Lorsque le choix du lieu est placé dans une politique située en dehors de l’art, le développement de SoHo ne fonctionne plus comme un exemple historique, mais comme un modèle conduisant consciemment à un résultat d’urbanisme. Donc, B -sites
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A r c h i t e c t u r e concret. Pour cette raison, la tâche, tant sur le plan du contenu que de la logistique, se révèle encore plus difficile.
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uelle que soit la manière dont on retourne le problème, il est finalement impossible de sortir de l’architecture. La dimension architecturale fondamentale de l’apparition publique de l’art ne peut pas être sous-estimée. Le statut idéologique de l’architecture dans cette opération publique en fait d’ailleurs un paramètre impossible à nier. La dimension architecturale de la publication de l’art ne doit cependant pas nécessairement être traduite par des bâtiments concrets. La relation entre art et architecture n’est pas seulement une affaire de ‘construction(s)’. Les bâtiments ne constituent qu’une option possible et peuvent donc être rejetés ou utilisés, exploités ou fabriqués. Plus l’architecture est pensée séparément de ses bâtiments - et donc de ses architectes -, plus on peut exploiter le concept de manière créative. Que ce soit pour l’art ou pour l’architecture, il est surtout important de ne pas nier le caractère fondamental de l’ ‘architecture’ en tant que telle, mais de l’intégrer en tant que potentialité. Sans doute toutes ces réflexions ne parviendront-elles pas à supprimer l’inquiétude de Lüpertz face à l’intervention des architectes. En effet, ceux-ci se rangent peut-être avec conviction derrière l’idée qu’ils ne doivent plus construire pour s’occuper (d’art et) d’architecture. Thank God that not all architects have to build! J Wouter Davidts Dieter De Clercq
[*] Ce texte constitue une version étoffée de l’introduction au débat sur ‘le tissu urbain’, qui a eu lieu le 31 mai 2000 au Centre Bruxelles/Brussel 2000, dans le cadre de la série d’exposés organisés par l’a.s.b.l. Association pour un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles. Les intervenants à cette soirée étaient Patrice Neyrinck, Alain Géronnez et DTN & Lieven De Boeck. La question suivante leur avait été posée au préalable: “A quel endroit de la ville de Bruxelles imaginez-vous un centre pour l’art contemporain? Au centre ou en périphérie?“ [1] Markus Lüpertz, Art and Architecture, in: Heinrich Klotz, Waltraud Krase & Markus Lüpertz, Neue Museumsbauten in der Bundesrepublik Deutschland: New museum buildings in the Federal Republic of Germany, Klett-Cotta, Stuttgart, 1985, p. 30: “Le problème que nous rencontrons aujourd’hui, c’est que l’architecture essaie d’être plus artistique que l’art. Les architectes ne tracent pas de plans, ils dessinent (comme les artistes). Les architectes ne rédigent pas de factures, ils écrivent de la poésie, parfois même des livres. (Grâce à Dieu, tous les architectes ne peignent pas!)” [2] Josep M. Montaner, Nouveaux Musées, Espaces pour l’art et la culture, Gustavo Gilli, Barcelona, 1990, p. 9. [3] Douglas Davis, The Museum Impossible, in: Museum News, 6e année, nr. 5, 1983, p. 35. [4] Un exemple célèbre de cette stratégie parasitaire est l’organisation Roomade, Office for Contemporary Art, fondée par Barbara Vanderlinden.
le modèle de SoHo et l’exemple de Bilbao apparaissent comme absolument comparables, malgré la différence d’échelle entre de nombreuses activités réduites et la revalorisation urbaine locale d’une part et, d’autre part, une institution gigantesque et un profilage international. Partir, en pensant à la localisation d’un centre d’art contemporain dans une ville, des mécanismes de transformation urbaniste de type SoHo ou Bilbao, est justifié jusqu’à un certain point. En même temps s’impose aussi la question des autres critères d’installation par rapport à l’importance accordée à de tels mécanismes. Pourquoi pose-t-on le problème de l’endroit pour un futur centre d’art contemporain de préférence en ces termes et pas sur la base de principes de localisation plus habituels: Souhaite-t-on rendre le centre accessible par voiture et camion? Doit-il simplement être facile d’accès pour les piétons, les cyclistes et les usagers des transports publics? Souhaite-t-on l’adjoindre à une grappe existante de programmes semblables ou complémentaires? Doit-il être bien visible et attirer des flux de visiteurs urbains, d’acheteurs, de touristes culturels ou de navetteurs? Doit-il disposer des possibilités d’extension nécessaires? Et ainsi de suite. Il est important de ne pas penser uniquement à la ‘responsabilité urbaniste’ qu’aurait le centre d’art contemporain par rapport à son contexte, mais aussi des exigences qu’il pose lui-même à son environnement. En effet, on peut se demander si le centre a vraiment cette responsabilité envers la ville et si celle-ci doit prendre le relais.Ses ambitions urbanistes pourraient bien se heurter à l’irritation de l’urbaniste ou du gestionnaire urbain. Suite p.86 NN
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Un Centre d’Art Excentré ou Central
- un centre dans l’air - [*]
D’abord, nous éluderons quelques questions. Nous avons entendu Bart Verschaffel et Herman Parret discuter longuement de savoir ce qui est art ou non, et si les affiches H&M sont de l’art. Je crois avoir trouvé une réponse visuelle à cette question au pied du bâtiment de la Banque Nationale: une sculpture de bronze y a le même déhanchement que la bronzée de l’affiche. La publicité serait donc l’art officiel de la société monétaire. Il est des formes d’art officiel qui s’en tirent moins bien. Mais j’aimerais quand même contrer la publicité. Si nous savions un peu plus ce qu’est l’art, nous saurions un peu mieux ce que devrait être un centre d’art. Et donc s’il faut faire un centre d’art officiel ou non. La question centrale qui m’était posée était: ”faut-il centraliser ou décentraliser le Centre?” La question de la centralisation semble se poser pour l’art officiel aussi, si j’en juge par le déplacement de la nouvelle merveille installée Place Stéphanie.
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ais permettez-moi tout d’abord de renverser la question à 90°. On voit que la question se pose alors ainsi: ce centre peut-il se situer sous le sol (un centre underground) ou doit-il être visible de partout
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(un centre officiel)? Un centre d’art comme celui que nous envisageons ne pourrait être souterrain. Apparemment, ce centre compte tirer une bonne part de sa subsidiation des instances officielles. Jusqu’à ce jour, ces instances ont préféré enterrer ce qu’elles croient toujours être l’art moderne sous le sol. Le sous-sol bruxellois est saturé d’art, de bas-art, peut être. Il y a ce musée dérisoire, il y a le métro. Je ne sais pas s’il faut appeler art ce qu’on voit dans le métro, mais c’est ainsi qu’on l’appelle. Et même lorsque par hasard il émerge, comme les démons de l’enfer, on constate qu’il est déraciné; il ne repose sur rien. La bêtise n’a d’égal que la bitesse. La vitesse, pardon: très peu élevée.
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ais ma manière d’aborder la question ne tient pas debout: ce que je vous montre ici ne s’appelle sans doute pas plus art pour vous que celui du subway. Remettons les choses à plat, et penchons nous sur la question. J’abandonne la cote pour l’ordonnée et l’abscisse, et je constate que tout de suite un autre axe se dessine, qui d’ailleurs suit une voie souterraine: la jonction nordmidi. Nous avons ici un cas d’abruxellation précoce: on a tranché la ville, on l’a détruite comme on tranche une truite non pas pour l’éviscérer mais juste pour jouer train. En fait de jonction, celle-ci a surtout agi comme un rideau de fer. Il y a le bas, fusionnel et plus
flamand, puis le haut, bourgeois plus francophone. Mais, comme le dit la publicité célèbre là haut: ”aujourd’hui, j’enlève le haut; demain j’élève le bas.” Car les bons élèves de la culture semblent être néerlandophones, qui pensent que l’art produit la richesse culturelle. Les francophones pensent plutôt que tout passe par la langue, et que, bien sûr, les autres sont mauvaises langues. J’en arrive ainsi au bout de ma réponse à la question bicommunautaire, celle qui d’ailleurs ne m’était pas posée. Horta, quelque peu cyniquement puisqu’il était contre l’idée d’une jonction Nord-Midi, finira par y participer en érigeant la Gare Centrale et projetant la galerie qui relie celle-ci au Palais des Beaux-Arts, dont il est aussi l’auteur. La similitude architecturale entre le PBA et la Gare centrale du même architecte m’avait fait proposer à Bruxelles 2000 la reconstruction temporaire des structures du hall d’animation du PBA dans le hall de la gare centrale. (Je reviendrai plus loin sur le croisement de lieux voués aux transports et aux lieux voués à l’art.)
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e centre d’art et de recherche a l’air de se présenter non comme un musée (pas de collection) mais comme un lieu de réflexion et de production. Il aurait donc pour mission possible, à travers la commande faite à des artistes, de stimuler l’activité artistique
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sur le terrain. C’est pourquoi je pense qu’un lieu relativement central ne serait pas mauvais. Le centre appartient à tous. J’ai dressé une petite carte de proximité avec les écoles d’art bruxelloises - ou du moins, les quatre écoles les plus importantes, car il en est beaucoup. Une des missions possible d’un tel centre, pour moi, serait d’ailleurs de proposer une sorte de postdiplôme, ce qui n’existe pas dans nos écoles. On voit que les quatre écoles dessinent sur la carte de la ville une sorte de croissant, dont on espère qu’il puisse devenir boomerang. Si je trace un axe entre la Cambre et l’Académie des Beaux Arts, l’autre entre St.-Lukas et St.-Luc-ERG, ces deux axes se croisent quelque part du côté des Galeries de la Toison d’Or, largement désaffectées, où Kurt Van Belleghem organisa une exposition il y a quelques années, et où Chantal Akerman situait ses Années ‘80. Certes, il y a là de la place directement disponible, mais nous retombons quelque peu dans l’underground.
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l me semble qu’il est d’autres lieux qui ont un potentiel à mettre en valeur. Car je pense que, eu égard aux conditions financières, ce n’est pas d’abord à faire œuvre d’architecture qu’il faut penser. Et par ailleurs, Bruxelles est extrêmement riche en lieux de qualité et sans affectation.
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Comme le sort de la rivière à Bruxelles est le même que celui de l’art, on l’enterre, il nous reste un canal. Il y a au moins deux lieux intéressants à signaler, même s’ils sont démesurés pour les 500 mètres carrés du centre. Mais il faut rappeler aussi qu’on manque cruellement d’un musée d’art contemporain à Bruxelles, et que, sur l’exemple stimulant d’autres villes, on pourrait rêver d’un centre d’art et de recherche qui côtoierait un musée. Mon premier lieu, en toute démesure, sera donc le bâtiment Citroën. Citroën a voulu réaliser, aux dépens de ses ateliers, une opération immobilière il y a quelques années, heureusement stoppée par la Région. Nous pouvons trouver là toutes les qualités que nous pouvons souhaiter: la proximité du centre et d’autres lieux culturels (Lunatheater par exemple), un certain sens du moderne, des plateaux lumineux. Je rappellerai ici que ceux qui ont connu le show-room de la place de l’Yser dans les années ‘30 se souviennent d’un bâtiment vide jusqu’au toit: un vrai prototype d’espace moderne. (Il nous en reste une trace: un cartoon d’Hergé.) Un autre lieu, tout proche, qui échappera, on l’espère, à une opération commerciale grandiloquente est Tours et Taxis, dont les plus audacieux entrepôts ont failli être démolis pour le compte de Musiccity, avec un projet architecturalement très malhonnête. J’ai par-
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ticipé, par le moyen d’une œuvre dans une exposition sur le site, à la protestation contre ce projet. Nous nous trouvions là devant un nouveau cas d’abruxellation sénile: l’architecte Luc Schuiten, des Schuiten Bros, pourtant théoriquement amoureux de la ville et de son patrimoine n’aurait pas hésité à détruire un toit suspendu audacieux pour le remplacer par quelques horreurs postmodernes afin d’y loger une sorte de maxi Forest-National. Tout le contraire d’un centre de musique et de recherche, croyez-moi. The show must go on, dit-on. Mais si Musiccity paraît aujourd’hui boiter quelque peu, il faudra un jour se poser la question d’une réaffectation adéquate du lieu. Il me semble que là aussi pourrait se trouver un espace stimulant pour un centre de recherche, et peut-être pour un improbable musée, qui n’aurait pas pour seule ambition d’attirer un maximum de monde. Il existe d’ailleurs un invraisemblable petit musée des saisies en douane sur le site. C’est un musée des espèces disparaissantes, merci l’Occident. Tout ceci, bien sûr, implique la condition que ce ne soit pas la KB-Cera qui finance, car ils sont déjà assez gros et assez laids pour ne pas annexer Tours et Taxis ou Citroën. Car une autre question non posée à laquelle j’aimerais répondre est celle du financement: il ne faut pas se faire financer par n’importe qui, Totalfina par exemple.
J’ai d’ailleurs, pour en revenir au musée des saisies en douane, un amour particulier pour les petits musées ( sans exclusion des grands, néanmoins). Ce sont les seuls qui nous permettent de regarder les œuvres sans les consommer. Et bien sûr ce qui a été saisi n’a pu être consommé. Guillaume Bijl pourrait-il faire aussi bien? J’en doute. Même sans s’appeler Rousseau, les douaniers peuvent faire la nique aux artistes. Et cela les dédouane de leur côté policier.
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n autre lieu qui me fascine à Bruxelles, ce sont les alentours du Musée Wiertz. La seule présence de cet incroyable musée (l’atelier de l’artiste conçu dès l’origine comme son musée-mausolée) suffirait à poétiser le quartier, s’il n’y avait aussi là d’autres iguanodons et l’hémicycle européen, sorte de monstre qui semble ironiser sur le pamphlet de Wiertz, tout en en réalisant les prédictions. Oui, Bruxelles deviendra plus capitale et Paris plus provinciale, et rien ne pourra arrêter l’effet boulede-neige, même en l’absence durement ressentie de la neige (The snow must go on). Ce quartier est devenu le quartier européen: un centre d’art serait un formidable contrepoint au côté froid des bureaux. Il me plaît beaucoup que Hendrik Conscience ait été le premier conservateur du Musée Wiertz, et je compte proposer un jour à la Communauté flamande, pour le bâtiment
A r c h i t e c t u r e Conscience, une œuvre sur ce thème. Mais cela, c’est pour un peu plus tard. Pour l’instant, j’ai d’autres lions de papier à fouetter. En se dépêchant un peu, il doit rester dans le quartier européen quelques opportunités de trouver un lieu intéressant. Mais cela ne durera sans doute plus.
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n autre aspect que je n’ai pas abordé concerne la question de l’architecture comme telle. Je pense qu’il est possible de faire quelque chose dans une enveloppe existante, et même dans le respect de ses principes architecturaux. Je joindrai ici, le temps d’un exemple, la question architecturale à la question de la décentralisation. On peut être tenté par un centreermitage. Le retrait par rapport à une certaine agitation peut être envisagé. Le retrait par rapport a une certaine mode architecturale peut être conseillé. Pourtant, si je jette un coup d’œil à la Rue de l’Ermitage, à Ixelles, les récentes extensions de la Fondation pour l’Architecture me laissent dubitatif. D’abord, j’aimais les grands arbres qui se trouvaient là, et qui allaient si bien avec le nom de la rue, le génie du lieu. Ensuite, eu égard aux moyens financiers mis en œuvre, on se rend compte de l’occasion ratée d’affirmer une architecture contemporaine à Bruxelles: on a l’air de se trouver face à une école de banlieue des années ‘60: cela manque de culot.
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i j’ai voulu pointer quelques zones, c’est bien entendu en tant qu’artiste: bien d’autres lieux existent, qui pourraient faire l’affaire. Souvent, je me promène à vélo dans différents coins de Bruxelles. Mais il y a des quartiers dont je ne ramène presque jamais d’images, or mes idées passent par les images. La source d’inspiration vient de quelques zones particulières, dont celles dont il a été question dans ma communication ce soir. On pourrait penser qu’il serait plus fin d’établir quelque chose là où il n’y a rien encore, dans un quartier un peu mort du point de vue
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artistique. Mais j’aimerais que, pour les étudiants des écoles d’art, ce lieu soit facilement accessible et qu’il s’inscrive dans un espace où l’on vient naturellement pour différentes activités artistiques. Car nous avons certes la chance, à Bruxelles, d’être au centre de toute une série de cités qui montrent bien l’art contemporain, mais aussi la malchance d’être au point aveugle de la vision oculaire, et au centre des visées politiques. Bonne chance au Centre... J Alain Géronnez
[*] Ce texte a été lu pendant le débat sur ‘le tissu urbain’, qui a eu lieu le 31 mai 2000 au Centre Bruxelles/Brussel 2000, dans le cadre de la série d’exposés organisés par l’a.s.b.l. Association pour un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles. Les intervenants à cette soirée étaient Patrice Neyrinck, Alain Géronnez et DTN & Lieven De Boeck. La question suivante leur avait été posée préalablement: “A quel endroit de la ville de Bruxelles imaginez-vous un centre pour l’art contemporain? Au centre ou en périphérie? “
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l’Université de Bourgogne. Egalement actif comme critique d’art, il a publié dans de nombreuses revues et catalogues, dont le récent Compilation - une expérience de l’exposition.
Bert Balcaen Bert Balcaen (Amsterdam) a étudié la sociologie de la culture à le Katholieke Universiteit Leuven. Il travaille actuellement chez la fondation Mediamatic à Amsterdam.
DTN DTN (Bruxelles, Rotterdam) est un projet de collaboration dont les partenaires évoluent, débuté en 2000. DTN#1 paraît le 14 décembre 2000.
Carel Blotkamp Carel Botkamp (Amsterdam) est professeur d’histoire de l’art contemporain à la Vrije Universiteit Amsterdam. Il publia en 1994 Mondriaan. Destructie als Kunst (Zwolle, Waanders/London, Reaktion Books). Récemment il collabora à l’exposition et à la publication Magie en Zakelijkheid. Realistische schilderkunst in Nederland 1925 - 1945 (Museum voor Moderne Kunst, Arnhem).
FLC-EXTENDED FLC-EXTENDED (Bruxelles) est une association jeune et libre explorant les limites et les jonctions entre l’architecture, l’urbanisme et les arts visuels. Cette plate-forme pour la création, la recherche et la réalisation naquit fin 1997 de la collaboration entre l’architecte-plasticien Marc Godts et l’architecte-urbaniste Charlotte Geldof. Tous deux sont également à la tête d’un atelier de création architecturale à Sint-Lucas, Bruxelles (Hogeschool voor Wetenschap en Kunst, Departement Architectuur, Sint Lucas, Bruxelles).
Kristiaan Borret Kristiaan Borret (Bruxelles) est ir.-architecte et titulaire d’une maîtrise en urbanisme (UPC, Barcelona). Il est assistant au département d’architecture et d’urbanisme de l’Université de Gand (UG) depuis 1996. Il est membre du groupe d’étude interdisciplinaire GUST (Ghent Urban Studies Team) et actif au sein du laboratoire de recherches urbanistiques Labo S&S (UG). Il a notamment publié Homeward. Contemporary Architecture in Flanders (de Singel, Antwerpen, 1998, avec M. Delbeke, S. Jacobs et K. Vandermarliere) et The Urban Condition: Space, Community and Self in the Contemporary Metropolis (010, Rotterdam, 1999, avec GUST). Sabine Breitwieser Sabine Breitwieser (Vienne) est administratrice et responsable de la direction artistique de la Generali Foundation à Vienne, une organisation artistique sans but lucratif du groupe GeneraliAutriche. Elle est chargée de cours à l’Universität für Angwandte Kunst (Vienne) et réalisa un grand nombre d’expositions et de projets en Autriche et à l’étranger. Elle est éditrice et auteur de nombreuses publications concernant la gestion de musée et l’art contemporain. Wouter Davidts Wouter Davidts (Gand) est ir.-architecte, lié depuis 1998 comme boursier (Bijzonder Onderzoeksfonds) au département d’architecture et urbanisme de l’Université de Gand (UG). La thèse de doctorat qu’il y prépare, sous la direction du prof. Bart Verschaffel, porte sur l’architecture de musée d’art contemporain. Il est l’auteur d’articles concernant l’architecture et l’art dans les revues Archis et De Witte Raaf. Dieter De Clercq Dieter De Clercq (Gand) est ir.-architecte. Il est lié depuis 1998 comme collaborateur scientifique au groupe de recherche Stedelijkheid en Architectuur (OSA) du département d’architecture et d’urbanisme de l’Université de Louvain (KUL). Il y prépare une thèse de doctorat sur la signification des pratiques quotidiennes dans l’espace public urbain, sous la direction du prof. André Loeckx. Il est l’auteur de conférences concernant la condition urbaine données lors de congrès internationaux à Bruxelles et Helsinki. Dieter De Clercq a publié dans les périodiques Archis, De Witte Raaf et OASE. Lieven De Boeck Lieven de Boeck (Bruxelles) est architecte. Après un stage chez Luc Deleu il est actif depuis 1997 au sein du bureau d’architecture de Xaveer de Geyter. En 1997 il fonde son propre bureau 51N4E, en collaboration avec Peter Swinnen, Freek Persyn et Johan Anrys. Il a été invité à plusieur reprises comme conférencier sur les conditions contemporaines de création architecurale, entre autres au Berlage Instituut à Amsterdam, au Hogeschool voor Wetenschap en Kunst à Bruxelles, pour Studio Ville Ouverte (Bruxelles 2000) et lors du Seminar on Open Space à Vienne. Xavier Douroux Xavier Douroux (Dijon) est historien de l’art, actif depuis 1978 comme curateur d’expositions. Il créa la fondation Le Coin du Miroir, et est co-directeur du Consortium de Dijon depuis 1982. Depuis 1992 il dirige la maison d’édition Les Presses du Réel. Il est chargé de cours en histoire de l’art contemporain à
Pascal Gielen Pascal Gielen (Bruxelles) est sociologue. Il est relié au Centrum voor Cultuursociologie de la K.U.Leuven, où il prépare une thèse en sociologie de l’art. Il est chargé de cours en critique théatrale au G.G.S. - Theaterwetenschappen (U.I.Antwerpen) et est l’auteur d’articles sur l’art et le théâtre parus dans des revues comme De Witte Raaf et Etcetera. Eva González-Sancho Eva González-Sancho (Bruxelles) est curatrice. Depuis 1999 elle dirige l’Etablissement d’en face à Bruxelles, où elle organisa récemment les expositions des artistes Dora García, Imogen Stidworthy, Michael Van den Abeele, Harald Thys. Elle fut également curatrice aux Ateliers Internationaux d’Alsace et de Lorraine, et y réalisa un projet avec les artistes Lara Almarcegui, Olivier Dollinger, Serge Lhermitte en Michael Van den Abeele. Isabelle Graw Isabelle Graw (Berlin) est éditeur-fondatrice de la revue d’art Texte zur Kunst. Elle est l’auteur de Silberblick (ID Verlag, 1999) et travaille momentanément à une publication consacrée à des femmes-artistes. Entre 1995 et 1998 elle fut chargée de cours à la Jan Van Eyck Akademie à Maastricht, et entre 1995 et 1997 elle dirigea une Meisterklasse für bildnerische Erziehung in de Kunsthochschule für angewandte Kunst à Vienne. Elle publie régulièrement dans Artforum et dans des quotidiens comme Taz, Die Zeit, et Literaturen. Rainier Grutman Rainier Grutman (Ottawa) est professeur agrégé de lettres françaises à l’Université d’Ottawa, Canada. Il est romaniste de formation (études à Namur, Louvain, Madrid et Montréal), il a signé de nombreux articles (p.ex. dans la Routledge Encyclopedia of Translation Studies, Londres, 1998) et un ouvrage, Des langues qui résonnent (Montréal, 1997, prix Gabrielle-Roy), sur le plurilinguisme littéraire. Hou Hanru Hou Hanru (Paris) est historien de l’art, critique indépendent et curateur. Parmi ses expositions récentes: Paris pour Escale (Musée d’art moderne de la ville de Paris), My Home Is Yours, Your Home Is Mine (Samsung Museum, Seoul, Korea 2000, Opera City Gallery, Tokyo, Japan, 2001), Unlimited NL.2 (De Appel Foundation, Amsterdam, 1999), Gard de l’Est (Casino, Forum of contemporary art, Luxembourg, 1998), Cities on the Move (1997, Wiener Secession, Vienna, Austria, 1998, CAPC, Bordeaux, France, PS1, New York, U.S., 1999, Louisiana Museum, Denmark, The Hayward Gallery, London, Bangkok, Kiasma Museum of Contemporary Art, Helsinki). Arnaud Hendrickx Arnaud Hendrickx (Bruxelles) est architecte. Il est chargé de cours à la Hogeschool voor Wetenschap en Kunst, Departement Architectuur, Sint Lucas, Bruxelles. Fabrice Hybert Fabrice Hybert (Paris) est artiste.
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Le débat abstrait sur le lieu adapté pour un centre d’art contemporain traite par moments trop peu des qualités plutôt pragmatiques d’un endroit. Au contraire, il provoque une grande effervescence concernant l’impact que la localisation d’un centre artistique pourrait avoir sur la vie de la ville, concernant la nature de la rénovation urbaine ou le jugement sur l’urbanisme porté lors du choix d’un lieu précis. La manière inégale dont les propriétés indirectes comme la signification et l’influence sont attachées à la localisation menace ainsi de fétichiser le lieu.
Pour qui se prend l’architecte? Le projet de DTN aborde de manière concise l’obsession problématique de la définition significative d’un lieu pour le centre artistique. Les architectes ont réussi à esquiver la question tout en y répondant avec précision. Leur proposition concerne autant la politique du centre artistique lui-même et réduit son noyau fixe à un programme administratif et logistique. La ville est colonisée en fonction d’une programmation temporaire: un atelier pour un artiste résident, un espace pour la durée d’une exposition, un auditorium pour une série d’exposés, une place pour un événement, une façade pour une projection temporaire. De toute évidence, cette colonisation est pensée à partir d’un concept de diffusion changeante sur toute la ville. Le centre est constitué d’un noyau fixe qui peut ensuite être implanté ailleurs lorsque c’est possible. Comme exemple, DTN situent le centre
87 Jean-Paul Jacquet Jean-Paul Jacquet (Bruxelles) est curateur et critique d’art. Moritz Küng Moritz Küng (Bruxelles, Lucerne) est curateur d’expositions indépendant depuis 1993. Parmi ses expositions récentes: Desperate Optimists (Festival a/d Werf, Utrecht, 2000), Orbis Terrarum - ways of worldmaking (Musée Plantin Moretus, Anvers, 2000) et Metro>Polis - Brussels underground (Bruxelles/Brussel 2000). Jean-Pierre Le Blanc Jean-Pierre Le Blanc (Bruxelles) est photographe et critique d’art. Tom Leenders Tom Leenders (Gand) est ir.-architecte et urbaniste. Il est assistant au département d’architecture et d’urbanisme de l’Université de Gand (UG), où il prépare une thèse de doctorat sur l’urbanisme des zones extra-urbaines en Flandre. Il est également actif au sein du laboratoire de recherche urbanistiques Labo S&S (UG) et a publié dans la revue Archis. Dieter Lesage Dieter Lesage (Bruxelles) obtient son titre de docteur en philosophie en 1993 à l’Université catholique de Louvain. Il est aujourd’hui chargé de cours au département RITS de la Erasmushogeschool Brussel. Il est l’auteur de Het lijk van de componist. Over John Zorn (Louvain, 1993), Onzuivere gedachten. Over het Vlaanderen van de Minister-President (Anvers, 1996), Namen als gezichten. Essay over de faam (Louvain, 1996), Zwarte gedachten. Over België (Anvers, 1998). Il est co-redacteur, avec Herman Asselberghs, de Het museum van de natie. Van kolonialisme tot globalisering (Bruxelles, 1999). Sven Lütticken Sven Lütticken (Amsterdam) est historien de l’art et critique. Il est actuellement relié au département d’histoire de l’art de la Vrije Universiteit Amsterdam et membre de la rédaction de la revue d’art De Witte Raaf. Kobe Matthys, Agence Agence (Agentschap) est un réseau de collaboration entre particuliers créé en 1992 à Frankfurt a.M. par Kobe Matthys. Membres d’Agentschap sont, parmi d’autres Andreas Behr, Lieven De Boeck, Alexandra Dementieva, Romana Perecinec, Wilfried Prantner, Mafalda Ribeiro dos Anjos, Rebecca Verreth, Tristan Wibault, Elke Zimmermann, Guy Zurkinden. Agentschap est actif entre autres à Aix-la-Chapelle, Amsterdam, Anvers, Brooklyn, Bruxelles, Fribourg, Graz, Lisbonne, Toronto, Zagreb. En termes légaux une agence est décrite comme une relation de confiance basée sur le consensus entre différents partis ou personnes. Un premier parti (un agent) s’engage à représenter un autre parti (un ‘principal’) par rapport à un troisième parti (un public). Un agent est un intermédiaire. Les agences agissent au nom de personne et de tout le monde. Comme toutes les agences Agentschap prend activement part à la réalité avec l’identité de la non-identité, ce qui la rend simultanément fictive et réelle. Matt Mullican Matt Mullican (New York) est artiste. Dirk Pültau Dirk Pültau (Gand) est historien de l’art. Il écrit sur l’art est est chargé de cours en sociologie de la musique au RITS à Bruxelles. Il est membre de la rédaction de la revue d’art De Witte Raaf. Dorothee Richter Dorothee Richter (Bremen) est directeur artistique de la Kuenstlerhaus à Bremen. Elle est active comme curatrice et organisa plusieurs symposiums, comme le projet international Female coalities (Bremen, 1996), le symposium international de curateurs Curating Degree Zero sur l’art comme intervention, comme critique sociale et comme intervention (en collaboration avec le curateur Barnaby Drabble, Bremen, 1998) et le symposium international Dialoge und Debatten, Dialogues and Debates sur les positions féminsites dans l’art contemporain (Bremen, 1999). Depuis 1998 elles est chargée de cours à l’Université de Bremen.
Stella Rollig Stella Rollig (Vienne) est auteur, critique d’art et curatrice. De 1994 à 1996 elle fut curatrice fédérale autrichienne pour les arts visuels. C’est dans l’exercice de cette fonction qu’elle fonda en 1994 le Depot. Kunst und Diskussion. Elle y est aujourd’hui membre du comité exécutif. Jorinde Seijdel Jorinde Seijdel (Amsterdam) est historienne de l’art et journaliste indépendante. Elle est membre de la rédaction de la revue d’art De Witte Raaf. Shedhalle Zurich Shedhalle Zurich (Zurich) est une organistation d’art indépendante, crée en 1986. Shedhalle est dirigée par une équipe composée actuellement des curateurs Elke aus dem Moore et Frederikke Hansen, des administratrices Agnes Bieber et Sarah Mehler et de l’assistante technique Ruth Kunz. Luc Steels Luc Steels (Bruxelles) est filologue, philosophe et informaticien. Il dirige le Sony Computer Science Laboratory à Paris et est professeur d’informatique à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). Il est le fondateur et le directeur du VUB Artificial Intelligence Laboratory, où il effectue des recherches - entre autres par biais de projects comme Talking Heads - sur l’intelligence artificielle et les capacités linguistiques à l’aide de robots. Olga Van Oost Olga Van Oost (Bruxelles) est licentiée en histoire de l’art et archéologie et en journalisme. Elle est assistante depuis 1999 au département de journalisme de la Vrije Universiteit Brussel (VUB), où elle prépare une thèse de doctorat sur la gestion des musées en Belgique. Tjebbe van Tijen Tjebbe van Tijen (Amsterdam, Tokyo) a étudié la sculpture au début des années ‘60. De 1965 à 1970 il était impliqué dans des projets expérimentaux combinant art et technologie comme expanded cinema, environments et d’autres happenings. De 1973 à 1998 il était curateur au Centrum voor de Documentatie van Moderne Sociale Bewegingen à l’Université d’Amsterdam et au Internationaal Instituut voor Sociale Geschiedenis. Depuis 1988 il travaille à des installations multimédia interactives: Imaginary Museum Projects (IMP). Il réalise momentanément à Tokyo une ‘Psychogéografie Littéraire’ de cette ville. Pour plus d’info: http://people.a2000.nl/ttijen/Index.html Michael Van den Abeele Michael Van den Abeele (Bruxelles) is artiste. Tijl Vanmeirhaeghe Tijl Vanmeirhaeghe (Gand) est ir.-architecte. Il réalisa son stage chez l’architecte Wim Cuyvers et fut lauréat du Meesterproef 1999. Richard Venlet Richard Venlet (Bruxelles) est artiste. Depuis 1999 il est chargé de cours au département d’architecture et d’urbanisme de l’université de Gand (UG). Bart Verschaffel Bart Verschaffel (Louvain) est philosophe, chargé de cours en théorie de l’architecture au département d’architecture et d’urbanisme de l’Université de Gand. Il est l’auteur de De Glans der Dingen (Vlees & Beton, 1989) et Figuren. Essays (Vlees & Beton, 1995). Il est membre de la rédaction de la revue d’art De Witte Raaf.
à la Gare Centrale. Cette décision ébranle à nouveau la lucidité de leur proposition. Le choix de la Gare Centrale n’est-il pas dû en bonne partie relatif à la fascination exaltée de l’habituel prétendu? Ce choix d’emplacement doit ainsi à nouveau reposer sur la pleine signification de l’endroit plutôt que sur un programme d’exigences prédéterminé. Dans le projet de DTN, le centre d’art contemporain doit obligatoirement interagir avec la ville. Cette proposition peut facilement être considérée comme une ingérence indésirable de l’architecte dans la politique du centre artistique. Parallèlement, DTN renvoient l’ascenseur au bon moment: en ramenant l’interaction entre le centre et l’environnement urbain à un choix de lieu en fonction du programme temporaire du lieu lui-même, la responsabilité de la localisation est de nouveau placée entre les mains du centre. La question finale reste de savoir si un centre d’art contemporain peut adopter une responsabilité urbanistique. Si cela dépendait de nous, la réponse à cette question commencerait toujours par ce que la ville signifie pour le centre et pas l’inverse. Donc, pour paraphraser John F. Kennedy à l’envers: don’t ask what you can do for the city, ask what the city can do for you! J
Kristiaan Borret Tom Leenders B -sites
14 december 2000
C o l o p h o n Cette publication est une production de: Bruxelles 2000, ville européenne de la culture de l’an 2000 ACRB: Association pour un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles (Koen Brams, Wouter Davidts, Jean-Paul Jacquet, Moritz Küng, Jan Mot) VA&S: Département d’Architecture et d’Urbanisme, Université de Gand Coordination Bruxelles 2000 Comité de gestion: Robert Palmer (Intendant), Roger Christmann, Annick de Ville, Guido Minne Coordinatrice de programmation arts plastiques: Annick de Ville Assistante: Brigitte De Clercq Presse: Karine Ven Publication B -sites. A propos de la Place d’un Centre d’Art et de Recherche à Bruxelles Rédaction: Bert Balcaen, Wouter Davidts, Dieter De Clercq, Lieven De Boeck, Tijl Vanmeirhaeghe Rédaction finale: Wouter Davidts, Tijl Vanmeirhaeghe Conception graphique et couverture: Tijl Vanmeirhaeghe Contributions visuelles: Tijl Vanmeirhaeghe (p. 22 - Lard Belge), Michael Van den Abeele (p. 27), FLC-EXTENDED (p. 29), Richard Venlet (p. 30) Traduction: Berlitz Translations (Editorial, Davidts, Seijdel, Richter, Hanru, Davidts & De Clercq, Borret & Leenders), Centre de Traduction de l’Université de Gand (Graw, Breitwieser, Gielen, Shedhalle, Verschaffel, Steels, Küng, Rollig, Lütticken), Roland Depoorter (Mullican), Charles Franken (Blotkamp, Pültau, Lesage) Images: Alain Géronnez (p. 80-85) , Ilse Joliet (p. 46, 50, 51, 54), Jean-Pierre Le Blanc (p. 5, 6, 9, 13, 19, 24, 25, 36, 37, 45, 76), Kobe Matthys (p. 63-64), Tjebbe van Tijen (p.57-61) Impression: Imprimerie Cultura Wetteren Tirage: 1500 (750 Nl, 750 Fr) ISBN :……… EAN : ………. Dépôt légal: …… Toute reproduction à usage collectif du présent ouvrage par toute forme de reproduction, intégrale ou partielle, est interdite sans autorisation formelle de l’éditeur. Editeur responsable: Bruxelles 2000, Robert Palmer Remerciements: Tous les auteurs, Carl Bourgeois, Griet Byl, Barry Caers, Cultura Wetteren, Wim Cuyvers, Brigitte De Clercq, Mil De Kooning, Jan De Meester, Agnes De Neve, Karin Depoorter, Roland Depoorter, Sonia Dermience, Annick De Ville, Frank Devienne, Lionel Devlieger, Fredie Floré, Noel Floré, Hugo, Luc Huygh, Sandra Joliet, Fabienne Martin, Bart Missant, Sandra Spillebeen, Robin Vanbesien, Tim Van Den Broeck, Bart Verschaffel, Christophe Vervenne, Jef Vervoort, Etienne Wynants.
Bruxelles/Brussel 2000 ville européenne de la culture de l’an 2000: Sous le Haut Patronage de LL.MM. le Roi et la Reine Bruxelles/Brussel 2000 ASBL/VZW est soutenue par: La Ville de Bruxelles La Communauté Wallonie-Bruxelles (Communauté Française de Belgique) De Vlaamse Gemeenschap Die Deutschsprachige Gemeinschaft De Vlaamse Gemeenschapscommissie van het Brussels Hoofdstedelijk Gewest La Commission Communautaire Française de la Région Bruxelles-Capitale La Région de Bruxelles-Capitale L’Etat Belge La Commission Européenne La Fondation Roi Baudouin Et les partenaires associés suivants: